Le 4 février, sur le plateau suivant la deuxième vague de la pandémie dans le pays, CGT, FSU et Solidaires avaient appelé à une journée de mobilisation avec les syndicats étudiants et lycéens, face aux plans de suppressions d’emplois et de licenciements, contre le « plan de relance » du gouvernement et la réforme annoncée de l’assurance chômage. Le 5 octobre, ce front sera élargi à Force ouvrière (FO) qui veut aussi mobiliser contre l’annonce d’attaques contre les retraites, la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage et contre les baisses de pouvoir d’achat. FO, par contre, a demandé que ne soit pas même pas évoquée dans la plate-forme la question du passe sanitaire et de ses conséquences pour les salarié·es.
Une gestion de classe de la pandémie
Entre ces deux dates, tout aura été fait côté gouvernemental pour maintenir les questions sociales en dehors du champ politique, occupé par la gestion d’Etat de la pandémie. Macron a géré la pandémie dans le seul intérêt des classes dominantes, masquant derrière le « quoi qu’il en coûte » les pertes d’emplois, les baisses de salaires, les conditions de vie dégradées des classes populaires, avec le renforcement des violences sexistes, des féminicides, des discriminations.
Mais, pendant le Covid, la politique patronale de Macron a continué : une politique systématique de baisse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) de 45,1 à 43,5% durant le quinquennat, la poursuite de la diminution de l’impôt sur les sociétés de 33,3% à 22% sur la même période, représentant les principaux buts de Macron : baisse de la redistribution budgétaire et démantèlement des services publics (dont on voit tous les jours les effets dans les hôpitaux, les écoles, les transports, les services administratifs).
Le plan de relance de 100 milliards de septembre 2020 a surtout consisté en une baisse durable de 20 milliards des impôts de production : une aide salutaire qui a aidé les grandes entreprises françaises à verser 52 milliards de dividendes au titre de l’année 2020. Entre mars 2020 et mars 2021, la fortune des milliardaires français a battu tous les records : elle a augmenté de 170 milliards d’euros, soit une hausse moyenne de 40% en un an. La fortune de Bernard Arnault a augmenté de 62 milliards d’euros, celle de Françoise Meyer-Bettencourt de 20,7 milliards d’euros.
En même temps, la multiplication des catastrophes climatiques et le rapport du GIEC ont mis en avant la fuite en avant criminelle des gouvernements capitalistes. Face à cette avalanche de richesses au profit des plus riches, la morgue de classe s’est renforcée ces dernières semaines par les remarques écœurantes de Blanquer sur « les écrans plats », la suppression des repas à 1 euro pour les étudiants, la volonté de remettre en marche la réforme des retraites et surtout la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage, au prétexte mensonger qu’un chômeur gagnerait plus avec ses allocations que lorsqu’il était en emploi, assertion démentie, au lendemain de l’annonce de Castex par la DARES elle-même.
Malgré l’accentuation de cette politique de classe au profit des grandes entreprises et des plus riches, les seules questions traitées à grand renfort de médias par le pouvoir furent, ces derniers mois, les questions d’identité nationale, d’immigration et de sécurité, avec les lois sécuritaires et « contre le racisme ». Distiller le racisme pour mieux diviser les salarié·s allait de pair avec la volonté d’invisibiliser, de dépolitiser les questions sociales, d’en faire tout autant de questions individuelles ou de faits divers. Le pouvoir jetait un voile de plomb sur les dégâts sociaux de la pandémie, venus exposer et aviver les plaies d’inégalités et de discrimination largement ouvertes les années précédentes.
Imposer les questions sociales
Pourtant, les questions sociales sont et ont été depuis 9 mois les questions primordiales que se posaient au quotidien les classes populaires face à la précarité, à la mise au chômage total ou partiel, aux dégâts subis par les services publics, au premier rang desquels la santé publique et l’Education nationale. Toutes ces questions vont ressortir avec force, d’autant plus si les effets du Covid s’amoindrissent dans les prochaines semaines et le 5 octobre représente en cela, quel que soit son succès immédiat, un défi pour le mouvement social dans son ensemble.
La première question sociale soulevée par la pandémie est la santé, bien sûr, puisque la pandémie a touché et touche encore en premier lieu les quartiers, l’habitat populaire. Les salarié·es se côtoient souvent sans distanciation sur les lieux de travail et dans les transports (le télétravail n’a concerné qu’une minorité des salariés, et en premier lieu les métiers les plus qualifiés), les facteurs aggravants sont liés à la promiscuité dans des habitations empêchant tout réel isolement, aux facteurs de comorbidité dus au manque de suivi médical, à une alimentation de mauvaise qualité. En France comme ailleurs, les mêmes causes entraînent les mêmes effets. Le maintien en bonne santé est souvent un privilège de classe face à un réseau défaillant de services de santé publique et de services sociaux, un maillage défaillant de médecins généralistes.
Loin d’être stoppés par la pandémie et l’asphyxie des services de santé, Macron et son gouvernement persistent et signent. D’un côté, ils désignent les personnels de santé non encore vaccinés à la vindicte populaire, de l’autre ils maintiennent en silence les plans de suppressions de postes, de services, vantant la collaboration public-privé pour mieux asphyxier un secteur public en attrition : fusion de Bichat et Beaujon à l’AP-HP avec compression des moyens, Tours, Grenoble, Nancy, Aix en Provence, Reims, des centaines de lits supprimés dans les mois et les années venir, venant après les hécatombes des dernières années.
La misère hospitalière était venue au premier plan avant la pandémie. Cette dernière et le Ségur de la santé n’ont pas bâillonné la colère des soignantEs. En janvier, en juin, des journées unitaires de grèves et de manifestations ont eu lieu, ayant du mal à trouver un écho national. Mettant le projecteur sur la question de la vaccination obligatoire des seuls soignant·es, le gouvernement a essayé de diviser et de paralyser le milieu en le polarisant sur cette seule question pour masquer la question principale des moyens matériels et humains, des salaires, du maillage de santé publique.
Ainsi, par la faiblesse de ce maillage, la France est le pays d’Europe de l’ouest qui a le moins vacciné les plus de 80 ans (Source : ECDC, Données au 20/09/2021)… Doctolib et le bâton du passe sanitaire ne remplacent pas une politique de santé publique. De même, les mois à venir permettront de lister les dégâts du tout-Covid à l’hôpital, annulant, reportant par manque de moyens des interventions importantes, les dégâts pour la santé physique et mentale de la population. L’enjeu sur la question de la pandémie est de remettre le mouvement social en action, indépendamment de la parole d’Etat imposée par Macron.
L’incapacité du mouvement social
Plusieurs fronts d’organisations et de responsables politiques et associatifs se sont constitués depuis le printemps (avec notamment « Plus jamais ça ») essayant de refuser le piège du passe sanitaire – et du soutien de beaucoup (à commencer par la CFDT et le PS) à la politique sanitaire de Macron –, mettant en avant des exigences sociales et de choix de société face à la pandémie et à ses dégâts pour les classes populaires.
Ce fut le cas notamment de l’appel pétition lancé fin juillet contre la loi sanitaire du gouvernement et le diktat guillotine du passe sanitaire frappant les salarié·es à commencer par celles et ceux de la Santé. Malgré une certaine largeur de ce front (CGT, FSU, Solidaires, ATTAC, Copernic, EELV, LFI, NPA, PCF, PCOF,….), il n’a pas débouché sur des initiatives nationales propres de mobilisation, en août et septembre et, durant tout l’été, beaucoup se sont dérobés à la nécessité de faire passer, dans les mobilisations importantes contre le passe sanitaire, la voix et les propositions du mouvement social, face aux diktats macroniens et à la logique réactionnaire des courants antivax et des groupes d’extrême droite.
Dès début août, les fédérations Santé CGT et SUD lancèrent un préavis de grève contre le passe sanitaire obligatoire pour les personnels de santé, appels aussi à la grève des bibliothécaires. Mais, ces dernières semaines, et depuis les mises à pied de fait de milliers d’agents hospitaliers, il ne fut pas possible d’organiser une initiative nationale pour riposter à l’obligation du passe sanitaire. À une large échelle, le mouvement ouvrier et le mouvement social ont été inaudibles. De plus, celles et ceux qui localement ont tenté d’organiser des pôles du mouvement social dans les manifestations du samedi, quand cela était possible, sont restés isolé·es, sans création d’un rapport de force national, alors que beaucoup de salariéEs des secteurs concernés par la passe sanitaire, des milliers d’autres révolté·es par la politique et le mépris de Macron étaient partie prenante de ces manifs.
Cette faible présence dans ce qui fut, avec toutes ses contradictions, une importante mobilisation sociale pendant plus d’un mois contre la politique sanitaire du gouvernement, n’a pas préparé dans de bonnes conditions les nécessaires actions des semaines à venir, pas plus que l’absence d’organisation nationale de mobilisation unitaire interpro par les directions syndicales.
Mais depuis 9 mois, beaucoup de luttes disjointes ont eu lieu dans de nombreux secteurs professionnels. Le Covid a été l’occasion d’accélérer des réorganisations dans de nombreuses entreprises publiques comme privées, accélérant les licenciements, les suppressions de postes, des fermetures d’ateliers, de site d’agences, créant de nouvelles procédures de travail avec des baisses de rémunération. Témoignent de ces luttes, par exemple, la grève des chauffeurs de Transdev, la lutte victorieuse des femmes de chambre d’IBIS Batignolles, celle des salariéEs de Sanofi, des sous-traitants de l’automobile de STPI-PSA, la lutte des TUI, des PPG qui ont réussi, par leur lutte à bloquer en justice leur PSE. Le 19 juin, à partir des TUI et avec d’autres secteurs en lutte, a été organisée une manifestation nationale contre les licenciements, avec la participation de syndicats CGT et SUD et de l’Union syndicale Solidaires. Pendant des semaines, les intermittents du spectacle, les salariéEs de la culture, ont manifesté, occupé de nombreux lieux contre la réforme de l’assurance-chômage.
Les enseignant·es aussi se sont mobilisé·es, notamment le 23 septembre, dans un secteur où rien n’aura été fait pour augmenter les effectifs, alléger les classes, en créer de nouvelles, équiper les classes face à la pandémie. Pire, comme dans la santé, les objectifs du capitalisme néolibéral sont à l’œuvre, à l’instar de la loi Rilhac ayant pour but de dynamiter les équipes pédagogiques dans les écoles, accentuée par la proposition caricaturale d’expérimentation à Marseille de choix des enseignants par les directeurs.
La reprise de l’inflation, l’augmentation des prix de l’énergie, face aux pertes de salaires crée aussi une situation insupportable pour des millions de salarié·es, alors que la faible augmentation du SMIC va lui faire dépasser plusieurs salaires planchers de grilles salariales de branches.
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Les questions sociales, la question climatique et les discriminations, le rejet de la politique de Macron seront autant de questions au cœur du 5 octobre. L’enjeu est de donner une visibilité à toutes les exigences sociales exprimées de façon isolée ces derniers mois, de tendre à les faire converger et de les unifier dans un rejet commun des politiques patronales et gouvernementales. L’enjeu dépassera, évidemment, la seule journée du 5 octobre, et exige un plan de bataille qui n’émiette pas mais rassemble. Mais, vu les bilans des mois précédents, cette journée prend une importance particulière pour unifier les luttes sociales.
Mais l’enjeu est aussi de politiser ces luttes, de les faire converger dans un rejet commun d’un rouleau compresseur réactionnaire, d’une politique capitaliste face à laquelle les exploité·es et les opprimé·es n’arrivent pas à tracer une voie indépendante, faite d’unité des classes populaires autour de leurs intérêts communs, de solidarité, de justice sociale, d’exigences que des biens communs comme la santé, l’énergie, les transports deviennent des biens communs, gérés en fonction de l’intérêt des classes populaires ; la nécessité plus urgente que jamais de tracer une politique qui, en contrepoint radical au vent raciste et réactionnaire qui souffle de la droite macronienne à l’extrême droite, trace un programme anticapitaliste.
Face à une large apathie des directions syndicales, cela ne pourra être que le fait du regroupement et des initiatives des courants combatifs du mouvement ouvrier et du mouvement social.
Léon Crémieux