Dans une récente diatribe contre les musulmans, le chef du gouvernement de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, s’est insurgé contre “les gens qui disent ‘abba jaan’” [expression utilisée par les musulmans s’exprimant en ourdou pour s’adresser à leur père], et a laissé entendre, à tort, que sous les gouvernements précédents, l’aide alimentaire était uniquement attribuée aux musulmans au détriment des autres Indiens.
Il clame haut et fort sa haine des musulmans, son intolérance, son dégoût de l’opposition et son impatience à l’égard des subtilités de la Constitution [laïque]. L’État qu’il dirige s’est ainsi dangereusement éloigné des valeurs d’inclusivité, de liberté et d’égalité assurées par la Constitution. Il s’en est également pris aux sympathisants “sans vergogne” des talibans en Inde. L’ironie de la chose étant que son gouvernement pratique l’intolérance religieuse et l’incitation à la violence, exactement comme les talibans.
Une instrumentalisation de la police
Sous son gouvernement, la distinction entre les milices hindouistes et la police est devenue floue, ce qui permet à la police de fonctionner officiellement avec ces groupes d’autodéfense. Les milices pensent bénéficier de l’impunité pour leurs violences ; la police est régulièrement inondée de propagande antimusulmane.
Tuer une vache, ou être accusé de faire du commerce de viande bovine, est désormais un crime de haute trahison. Le gouvernement de l’Uttar Pradesh a en effet souvent utilisé la loi sur la sécurité nationale (NSA) pour arrêter des personnes qui s’étaient rendues coupables d’abattage de vaches : sur 139 personnes emprisonnées en vertu de la NSA en 2020, 76 étaient accusées d’avoir tué des vaches.
La police de l’Uttar Pradesh a fièrement annoncé aux médias ses succès sur trois ans, à savoir 6 476 “confrontations” – plutôt des fusillades extrajudiciaires contre de prétendus criminels, dont la plupart sont mutilés à vie. La majorité d’entre eux étaient de petits délinquants, voire des innocents, et beaucoup ont été inculpés pour “abattage de vache”.
Criminalisation des mariages entre hindoues et musulmans
Autre “crime” gravissime figurant en tête des priorités du gouvernement de l’Uttar Pradesh, celui des mariages interconfessionnels, entre hommes musulmans et femmes hindoues, qu’ils qualifient de “djihad de l’amour”. Adityanath a ordonné aux hauts fonctionnaires de police d’enquêter sur ces couples et, en novembre 2020, le gouvernement a adopté une ordonnance pour lutter contre ce qu’il décrit comme une “conversion illégale d’une religion à une autre”.
En un mois à peine, 86 personnes ont été inculpées dans 16 affaires impliquant des accusations de conversion par amour ou de mariage de femmes hindoues à des musulmans. Mais il n’y a eu aucune tentative de pénaliser les hommes hindous qui épousent des musulmanes ; cela ne correspond pas à la fable du “djihad de l’amour”.
Le gouvernement de l’Uttar Pradesh ne cache pas son hostilité envers ses citoyens musulmans – “les gens qui disent abba jaan”. Ces derniers mois, à l’approche des élections dans l’État, qui auront lieu en début d’année prochaine, la violence des campagnes – officielles et sur les réseaux sociaux – contre les citoyens musulmans, et autres minorités et dissidents, a dangereusement augmenté.
Citoyens abandonnés par l’État
Des familles musulmanes auraient accepté “volontairement” de céder leur maison aux alentours du temple Gorakhnath, apparemment pour contribuer à renforcer sa sécurité. Rappelons que le grand prêtre de ce temple n’est autre que Yogi Adityanath.
Le mois suivant, la brigade antiterroriste de l’État a affirmé avoir démantelé un réseau musulman qui aurait contraint plus de 1 000 personnes à se convertir à l’islam. Les chaînes de télévision et les journaux en hindi en ont fait leurs choux gras. Mais de nombreuses personnes contactées par des journalistes indépendants ont affirmé que leur conversion était volontaire. La vente de viande et d’alcool a été complètement interdite à Mathura. Les lynchages sont en hausse, le plus souvent avec la protection tacite de la police.
Les musulmans ne sont pas les seuls à être menacés par le bras armé de l’État. Les personnes qui osent s’exprimer ou dénoncer des vérités dérangeantes, ceux qui manifestent pacifiquement, les dalits [anciennement appelés “intouchables”] et les victimes de violences sexuelles s’exposent à la colère du pouvoir. Mais en période d’adversité, comme lors de la pandémie de Covid-19, ce sont tous les citoyens, sans exception, qui sont abandonnés à leur sort par un État indifférent, à l’orgueil démesuré.
Répression des contestations
Le viol de filles pauvres ou dalits n’est pas un phénomène nouveau dans l’Uttar Pradesh, mais la volonté éhontée de la police de terroriser les victimes et de protéger les violeurs influents socialement ou politiquement est spécifique à ce gouvernement.
S’exprimer ou écrire contre les actions de l’État, sans parler d’organiser des actions, est également devenu dangereux dans l’Uttar Pradesh. Les manifestants, pour la plupart pacifiques, contre la loi sur la citoyenneté [n’accordant la possibilité de devenir indien qu’à des réfugiés non musulmans] ont fait l’objet de 10 900 ouvertures d’enquête par la police. Vingt-deux personnes ont été tuées par des tirs de la police, 41 mineurs ont été arrêtés, 500 plaintes ont été déposées à l’encontre de manifestants accusés d’avoir endommagé des biens publics,
Un extrémisme allant à l’encontre de la Constitution
Pis, lors de la deuxième vague de Covid-19 dans l’État, alors que des rapports faisaient état d’un manque criant d’oxygène, de tests et de lits d’hôpitaux, le dirigeant de l’État n’a voulu voir, une fois de plus, qu’un sinistre complot visant à diffamer son gouvernement.
Yogi Adityanath a refusé de reporter les élections locales et au moins 1 600 enseignants qui tenaient les bureaux de vote sont morts parce qu’ils ont été exposés au virus. Une fois de plus, les familles endeuillées n’ont eu droit à aucune excuse, seulement des démentis furieux.
Certains signes inquiétants portent à croire que cet extrémisme hindouiste gagne les dirigeants d’autres États comme l’Assam, l’Haryana et le Madhya Pradesh. Pendant ce temps, l’Uttar Pradesh est en train de devenir une dystopie hindouiste, sans être aucunement freiné par l’esprit de la Constitution.
Harsh Mander
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