Le 4 octobre dernier, à Hamamatsu, dans le centre du Japon, Gen Suzuki s’est rendu à l’antenne du tribunal du district de la région afin de soumettre une requête qui pourrait changer le sort de toutes les personnes transgenres du pays, comme le rapporte la chaîne publique NHK.
Cet homme transgenre de 46 ans, qui est inscrit en tant que femme à l’état civil, veut faire reconnaître par la justice japonaise que l’identité de genre d’une personne doit être respectée “sans qu’une opération chirurgicale soit nécessaire”, souligne The Mainichi.
Au Japon, pays où le mariage gay n’est toujours pas légalisé en dépit de l’approbation de la majeure partie de la population, la loi impose encore des conditions archaïques pour modifier la mention du sexe sur l’état civil. Les personnes transgenres sont en effet contraintes à être stérilisées chirurgicalement et doivent être dotées d’organes génitaux ressemblant de près à ceux de l’autre sexe.
“L’État m’impose une opération”
L’opération de réassignation de sexe étant très coûteuse, environ 80 % des trans jettent l’éponge et sont contraints de garder juridiquement le sexe assigné à leur naissance, rappelle NHK. Une aberration pour Gen Suzuki :
“Tout ce que je veux, c’est vivre avec le sexe dans lequel je me reconnais et qui correspond à mon apparence. Le fait que j’ai toujours des ovaires n’a rien à voir avec mon identité de genre qui est masculin. Que l’État m’impose une opération que je ne veux même pas relève du non-sens !”
Selon lui, ces conditions imposées par l’État sont contraires à la Constitution du pays, qui stipule l’égalité devant la loi et le respect de la personnalité de l’individu. Il a donc décidé de saisir la justice en espérant faire changer les choses.
“Dans l’état civil et d’autres documents officiels, ces personnes continuent de subir le déni de leur vie, sans parvenir à changer le sexe qui n’est pas le leur. Il s’agit d’une violation des droits de l’homme dont on ne devrait pas détourner les yeux”, a argumenté son avocate, Yoko Mizutani, dont les propos ont été rapportés par le journal régional Shizuoka Shimbun.
Des discriminations qui pèsent lourd au quotidien
Ne pouvant pas modifier juridiquement leur sexe, les Japonais transgenres souffrent de discriminations de manière quotidienne, détaille la chaîne NHK. C’est le cas de Chihiro Ueda. Bien qu’elle mène sa vie en tant que femme depuis seize ans, il est toujours indiqué qu’elle est un homme sur sa pièce identité, ce qui constitue une véritable barrière dans sa recherche d’emploi.
“De nombreuses fois, j’ai soumis ma candidature pour travailler comme caissière ou dans un restaurant. Mais lors des entretiens, ma candidature est pratiquement toujours refusée. Et même si je réussis à obtenir un poste, ils ne me laissent jamais servir les clients. C’est une humiliation permanente.”
“Incapable de trouver un travail stable, elle et sa mère dépendent de la pension de réversion de son père, décédé. Leur situation financière est loin d’être aisée”, raconte la journaliste de NHK. Malgré toutes ces discriminations quotidiennes, Chihiro Ueda confie que son coming out lui a enfin permis de “respirer”. Elle ne comprend cependant pas l’utilité d’imposer une opération :
“Le corps humain n’est pas une machine. C’est une humiliation d’exiger des gens comme moi d’enlever ou de faire pousser les parties génitales comme s’il s’agissait d’échanger des pièces détachées.”
“Une violation des droits de l’homme” selon l’OMS
Même avec ses amies qui comprennent et acceptent sa situation, elle ne se sent pas totalement à l’aise et préfère toujours se coucher dans une chambre à part quand elle voyage avec elles [quand les Japonais voyagent entre amis, les hommes et les femmes dorment dans une chambre différente]. “Quelque part, j’ai toujours peur qu’elles me considèrent comme un homme”, confie-t-elle.
À rebours du Japon, les pays européens ont procédé à la levée de ces conditions ces dernières années. En Allemagne, par exemple, si la personne concernée vit avec le sexe de son choix depuis plus de trois ans, elle peut modifier celui qui lui a été assigné à la naissance dans l’état civil. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres institutions internationales ont quant à elles publié en 2014 un communiqué commun dans lequel elles qualifient de “violation des droits de l’homme” l’obligation de l’opération de réassignation de sexe.
Courrier International
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.