Le Comité d’aide aux victimes de l’amiante (CAOVA) n’a pas eu de difficulté à susciter le soutien de la population à sa pétition « Justice pour les victimes de l’amiante » [1] qu’il déposait au Grand Conseil du canton de Vaud le 24 avril dernier. Entre quelques stands à Payerne, Lausanne, Yverdon et Nyon et les retours par la poste, 3000 paraphes ont été engrangés en moins de trois mois. Les échanges pendant cette récolte ont démontré que la population était bien informée, tant sur le problème de l’amiante que sur les solutions proposées par CAOVA, grâce à l’émission de Temps présent « Mourir de l’amiante, en silence » et aux nombreuses informations diffusées par les médias et la presse syndicale d’UNIA et Comedia. La demande faite à l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les risques de l’amiante et réparer les dégâts que son usage a causés a été comprise et soutenue.
Cette sensibilité de la population aux problèmes des cancers d’origine professionnelle contraste avec le silence des pouvoirs publics. Une passante, à qui l’on demandait si elle était suffisamment au courant du problème de l’amiante avant de signer notre pétition, répondait sans détour : « Tout le monde est au courant… sauf les autorités ». En effet, qu’ont-elles fait de concret depuis la première des innombrables alertes publiées par la grande presse en 30 ans [2] pour empêcher que les 100 kg d’amiante par habitant introduits en Suisse cessent enfin de les intoxiquer ?
La balle dans le camp des autorités vaudoises
Les nombreuses questions, motions, interpellations ou initiatives parlementaires adressées aux gouvernements cantonaux et fédéral à propos de l’amiante depuis 23 ans en Suisse n’ont pas ébranlé leur laxisme. C’est pourquoi CAOVA a voulu interpeller « l’autorité suprême du Canton » qu’est le Grand Conseil, censé porter « une attention particulière à toute personne vulnérable » comme le veut la Constitution vaudoise. Pourtant, son président, Jean-Marie Surer qui réceptionnait la pétition nous a fait comprendre, un peu gêné, que même approuvées par les député-e-s, l’exécution des mesures proposées par CAOVA dépendrait du bon vouloir du Conseil d’État… Et puis, on se souvient que tout en lisant notre pétition, le député Daniel Brélaz nous disait qu’il voulait bien la signer, mais que notre démarche ne servirait de toute façon à rien…
Après les provocations d’Eternit, les tracasseries de la SUVA et les dérobades de certains médecins, les proches des morts de l’amiante ont admis qu’ils étaient indésirables en osant réclamer la réparation morale et financière du tort qui leur a été causé. Pourtant les député-e-s qui, en allant siéger au Palais de Rumine, regardaient un à un la vingtaine de portraits de ces morts-là – la moitié ayant travaillé à Eternit Payerne –, devaient bien admettre que des travailleurs mouraient, la retraite à peine entamée. Et puis, en dévisageant les veuves et les malades de l’amiante qui déposaient la pétition, ils devaient peut-être douter du fait que l’article de la Constitution vaudoise « Toute personne a droit aux soins médicaux essentiels et à l’assistance devant la souffrance » ait été respecté. Sans illusions donc, CAOVA poursuit sa lutte, convaincue que la défense de la santé, comme celle de tout droit humain, dépendra davantage de la mobilisation des exclu-e-s que du bon vouloir des élu-e-s.
Les patrons contre-attaquent
Côté patronat, craignant une décision politique défavorable, Eternit s’en est pris à Bernard Borel, député vaudois, qui a eu l’outrecuidance de s’inquiéter du rôle de garant de la santé publique que devrait jouer le Conseil d’État dans la problématique de l’amiante [3]. Pour désamorcer la dynamique que pourrait prendre cette légitime inquiétude, « Eternit (Schweiz) AG », appuyé par la SUVA, a invité les député-e-s du canton de Vaud de la région Broye-Vully à une « rencontre » dans son usine de Payerne, le 13 février dernier. CAOVA n’ayant pas encore d’élu-e-s, n’a pas été invité et ignore tout du discours de Monsieur Anders Holte, directeur, sur le « Postulat de Monsieur Berhard (sic) Borel » !
Mais l’acharnement d’Eternit n’en est pas resté là. L’idée de cette pétition a germé lors du Séminaire International à Payerne des 2-3 juin 2006 [4]. On se souvient des manœuvres de la direction d’Eternit pour dissuader les salarié-e-s d’y assister [5]. Le séminaire ayant été un succès, la direction a tenté d’en étouffer l’écho. Suite au téléjournal « Tagesschau » du 3 juin 2006 relatant le séminaire, Eternit s’en est pris à la Télévision Suisse, l’accusant d’insinuer que l’entreprise aurait divulgué des « affirmations inadmissibles et diffamatoires », qu’elle causait du tort à ses salarié-e-s et menaçait ceux et celles qui oseraient s’en plaindre publiquement. Plus cocasse, Eternit dénonçait le fait que notre séminaire aurait réuni de nombreuses victimes des usines de Niederurnen et Payerne alors que, selon ses mouchards, il n’y en aurait eu que quatre de Payerne et aucune de Niederurnen !
On connaissait la phobie d’Eternit pour la liberté d’expression des salarié-e-s, son goût de l’espionnage de leurs faits et gestes, mais on ignorait que leurs agents ne sachent compter que jusqu’à trois et soient si peu physionomistes ! Lors de nos prochains séminaires, il faudra nous attendre aux micros ou caméras cachés, comme au temps du flicage et fichage des récalcitrants en suisses !
Bien que le Conseil Suisse de la Presse ait ramené Eternit à la raison, le 25 avril [6], il est à craindre que les menaces de cette multinationale contre la liberté d’expression, qui a déjà muselé des milliers de salarié-e-s, finissent par anéantir leur volonté de réclamer justice. Le droit du plus fort menace de plus en plus le Droit tout court. Rien de bien nouveau : pour Stephan Schmidheiny, ce n’est pas dans une société démocratique, mais « dans une économie de marché libre que l’homme est le mieux à même de réaliser la qualité de la vie à laquelle il aspire » [7] … le marché du renard dans le poulailler !
Notes
1. Voir solidaritéS n° 102, du14 février 2007 : Amiante : briser le mur du silence.
2. Dr. D. H. « L’amiante : des fibres minuscules mais dangereuses », 24 Heures des 12-13 avril 1975.
3. Postulat Bernard Borel du 6 nov. 2006.
4. Voir solidaritéS n° 89, du 14 juin 2006.
5. CAOVA vient d’éditer les actes du séminaire des 2 et 3 juin 2006 à Payerne sous le titre Ils ont jumelé leurs usines, jumelons nos vies, Brochure A4 illustrée, 70 pages, mai 2007, CHF 15.- à commander à l’adresse de CAOVA CP 5708, 1002 Lausanne.
6. « Eternit perd contre la Télévision Suisse. Le devoir de vérité n’a pas été enfreint », Die Südostschweiz, Glaris, 25 avril 2007.
7. « Marketing et éthique », Amiante-ciment n° 77, 1975.