Est-il possible de contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5 °C ou 2 °C sans ne jamais mettre à l’index les énergies fossiles pourtant à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de C02 ? Non. C’est pourtant ce que font les négociations climatiques internationales depuis près de trente ans.
Comme si les Etats s’étaient mis d’accord pour discuter des symptômes, les gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère, sans traiter les causes, ces quantités astronomiques d’énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) qui alimentent notre insoutenable économie mondiale. C’est insensé. Extravagant même.
Mais une réalité implacable : depuis la première COP organisée en 1995 à Berlin, il n’a jamais été question de limiter à la source la production de charbon, de gaz et de pétrole. Les dizaines de milliers de pages de documents officiels issus des 26 COP ne comptent aucune trace de proposition visant à laisser tout ou partie des réserves d’énergies fossiles dans le sol.
Une production en hausse constante
Mieux, le terme « énergie » n’apparaît qu’à une seule reprise dans l’accord de Paris de 2015, lorsque l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) y est mentionnée (article 16). Les données du problème sont pourtant connues : les entrailles de la terre contiennent suffisamment de pétrole, de gaz et de charbon pour alimenter un réchauffement climatique supérieur de + 5 °C à 7 °C, hypothéquant les conditions de pérennité de l’existence humaine à la surface de la planète : à moins d’être climatosceptique ou complètement insensé, chacun peut convenir que nous faisons face à un trop-plein d’énergies fossiles (et non une pénurie).
Nous ne manquons pas d’études scientifiques pour étayer ce constat. La dernière en la matière, publiée le 29 septembre dans la revue Nature, estime que 60 % des réserves actuelles de pétrole et de gaz et 90 % des réserves de charbon doivent rester dans le sol pour avoir une chance de contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5 °C. Ce qui reviendrait à organiser une baisse de la production de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu’en 2050 et de 7 % pour le charbon. Une tâche difficile mais qui se révèle impossible si elle n’est même pas évoquée.
Organiser la décroissance de la production des combustibles fossiles n’est paradoxalement pas ce que prévoit l’accord de Paris, ni ce qui est à l’ordre du jour de la COP26. Au contraire : selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les Etats prévoient de produire deux fois plus d’énergies fossiles que ce qu’il faudrait pour rester en deçà de 1,5 °C. TotalEnergies veut ainsi augmenter de 25 % sa production d’hydrocarbures d’ici à 2030. En parallèle, les soutiens publics aux énergies fossiles s’accroissent, y compris en France (+ 23,8 % entre 2015 et 2019), tout comme le coût pour la collectivité de leur combustion (5 900 milliards de dollars par an – 11 millions de dollars par minute selon le FMI).
Des signes encourageants de changement
Les jeux sont-ils faits ? Probablement pas encore. Il existe même quelques signaux faibles intéressants, comme si la situation était en train d’évoluer doucement. Bien entendu, la pression de l’opinion publique a déjà poussé quelques investisseurs publics et privés à se retirer de certains projets, notamment dans le charbon. Cela va continuer.
Plus significatif néanmoins, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de reconnaître qu’aucun nouveau site pétrolier ou gazier ne devrait être engagé après 2021. A l’échelle de l’industrie pétro-gazière, habituée par l’AIE à se voir comme un secteur en croissance, c’est une déflagration. Celle d’un monde qui s’effondre et d’une promesse à confirmer.
La COP26 pourrait aussi être l’occasion de voir enfin la question de la fin des énergies fossiles entrer par la fenêtre. Non qu’elles deviendraient immédiatement un objet de négociation en tant que tel, mais parce que deux Etats proposent de réunir une « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA) qui regrouperait des pays et des juridictions qui se seraient engagés à progressivement ne plus délivrer de permis d’exploration et de production d’hydrocarbures.
Une promesse à confirmer
C’est à notre connaissance la première initiative diplomatique qui articule engagements climatiques et fin programmée de l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles. C’est là aussi une promesse à confirmer, qui risque d’être polluée et/ou marginalisée. En effet, jusqu’ici, les grandes puissances de la planète se sont toujours assurées que l’extraction des énergies fossiles et les subventions qui leur sont accordées reste un impensé des négociations climatiques internationales.
Alors que le réchauffement climatique est un défi à la solidarité internationale obligatoire, les grandes puissances ont instauré un pare-feu difficilement franchissable entre les politiques climatiques et la réalité énergétique de leurs économies respectives. Elles ont également doté le droit international de puissants mécanismes, visant à protéger les investisseurs du secteur des énergies fossiles, qui conduisent à ralentir, bloquer ou renchérir les politiques climatiques.
Ainsi, RWE, Uniper, Rockhopper, Ascent sont quatre entreprises qui poursuivent respectivement les Pays-Bas (deux fois), l’Italie et la Slovénie pour leur décision de sortir du charbon ou de restreindre l’exploitation d’hydrocarbures. Elles s’appuient pour cela sur le traité sur la charte de l’énergie et leur réclament des milliards d’euros.
Se retirer du traité sur la charte de l’énergie
A l’échelle mondiale, 3 300 accords comprennent des dispositifs de protection des investissements similaires. La France est ainsi poursuivie suite à la décision de ne pas prolonger la concession minière de la Montagne d’or en Guyane. Pour respecter la recommandation de l’AIE de ne plus ouvrir de site pétro-gazier dès 2022, il faudrait donc que les Etats puissent, sans craindre d’être poursuivis, ne pas prolonger toute une série de permis d’exploration et d’exploitation.
Pour ne pas risquer la paralysie des pouvoirs publics, il serait donc urgent de désarmer ces accords. Mais, là non plus, ce n’est pas à l’ordre du jour de la COP26. La convention-cadre des Nations unies sur le réchauffement climatique prévoit même que les mesures prises dans le cadre des COP ne puissent aller à l’encontre du droit du commerce et de l’investissement (article 3.5).
Comment dès lors réclamer plus d’ambition climatique de la part des pouvoirs publics alors que leur pouvoir de réglementation peut-être paralysé par ces recours intempestifs des industriels des énergies fossiles ? Voilà une équation extrêmement difficile qu’il faut pourtant résoudre d’urgence. Pour commencer à desserrer l’étau, l’Union européenne et la France ont une carte à jouer : se retirer collectivement du traité sur la charte de l’énergie et ainsi montrer que le droit des investisseurs ne peut prévaloir sur l’urgence à agir en matière climatique.
Maxime Combes (Economiste)