Du 8 au 11 novembre 2021 s’est tenu en Chine le sixième plénum du XIXᵉ Congrès du Parti communiste chinois (PCC). Si les sixièmes plénums (réunions plénières des membres du comité central du PCC entre deux Congrès) sont traditionnellement dévolus aux questions idéologiques, celui-ci aura revêtu une importance particulière puisque y a été adoptée une résolution sur l’histoire du Parti, la troisième en cent ans d’existence du PCC.
L’enjeu est de convaincre le peuple chinois de croire en la mission historique du Parti pour la Chine – une mission incarnée par un homme providentiel, Xi Jinping.
Pourtant, il semble que cette résolution ne soit pas accueillie avec autant d’enthousiasme que prévu au sein du Parti : elle n’a pas encore été publiée quatre jours après la fin du plénum, mais on en connaît la teneur grâce à un communiqué de l’agence Chine nouvelle et à un éditorial du Quotidien du Peuple.
Le rôle des résolutions sur l’histoire du PCC
Les résolutions sur l’histoire du Parti remplissent les fonctions suivantes :
• tirer des leçons du passé pour orienter l’avenir du pays ;
• acter des changements majeurs dans l’idéologie ;
• cimenter le Parti autour d’une nouvelle ligne directrice ;
•imposer un leader en éliminant les factions rivales.
La première résolution, publiée en 1945, fait prévaloir la ligne de Mao contre la ligne pro-soviétique. Consacré autorité suprême sur les questions de théorie et de doctrine, Mao devient le président du PCC et sa pensée est inscrite dans les statuts du Parti.
La deuxième résolution, publiée en 1981, fait prévaloir le pragmatisme de Deng Xiaoping sur la ligne maoïste des radicaux de gauche. Évaluation critique de la période maoïste « fondée sur les faits », elle permet à Deng Xiaoping de lancer son programme de réformes et d’ouverture.
La résolution de 2021 ne vise pas à éliminer une faction rivale, dans la mesure où tous les opposants – connus – à Xi Jinping ont été éliminés par sa campagne de lutte contre la corruption, qui s’est apparentée à une véritable purge politique.
Elle entend cependant justifier l’abandon du consensus post-Mao sur la limitation des mandats des dirigeants et sur les réformes économiques, et répondre aux critiques internes au Parti. Si celles-ci s’expriment rarement directement, elles ont été perceptibles au début de la crise du coronavirus et ont été formulées explicitement par une transfuge du Parti réfugiée aux États-Unis, qui s’est faite la porte-parole de ce qui ne peut se dire à l’intérieur du système. L’enjeu est ainsi de préparer le XXe Congrès qui se tiendra à l’automne 2022, au cours duquel Xi Jinping devrait briguer un troisième mandat, en établissant l’actuel président et premier secrétaire du PCC comme l’homme providentiel dont la Chine a besoin pour la mener au zénith de son rêve de puissance et de prospérité.
Ce rêve est celui de tous les dirigeants et intellectuels chinois depuis la rencontre traumatique de leur pays avec l’Occident lors des guerres de l’opium au XIXe siècle.
Renforçant le culte de la personnalité de Xi Jinping comme pour mieux contrer les critiques dont il fait l’objet, le compte-rendu du plénum propose une vision hégélienne et épique de l’histoire, qui place Xi sur un pied d’égalité avec Mao et Deng en montrant comment il incarne la synthèse des deux dirigeants.
La résolution de 2021 : une épopée hégélienne
Tandis que la résolution de 1981 insistait sur les « erreurs » du Parti pour mieux les corriger, celle de 2021 se présente comme une réécriture héroïque et sublime de l’histoire.
Elle synthétise « les principales réalisations et expériences historiques de la lutte centenaire du Parti du point de vue de son développement stratégique global », montrant comment celui-ci est passé « de victoire en victoire ». Sous Mao, la Chine s’est levée, sous Deng elle s’est enrichie, sous Xi elle est devenue puissante, enchaînant ainsi les « grands bonds » pour « rattraper son temps ».
Il s’agit d’établir qu’une raison est à l’œuvre dans l’histoire, autrement dit, que le Parti a toujours raison.
Cette vision extrêmement laudative de l’histoire du Parti en tait les moments les plus sombres : la Révolution culturelle, qualifiée de « dix années de chaos » par la résolution de 1981, est complètement éludée, tandis que le Grand Bond en Avant est présenté à travers ses réalisations économiques dans la construction du socialisme.
Nulle mention de la famine qu’il a provoquée et de ses dizaines de millions de morts. Nulle mention non plus de la répression du mouvement démocratique de 1989.
L’enjeu est de rallier « le peuple, le Parti et l’armée » derrière le mythe national, érigé au rang de religion. La résolution s’inscrit en cela dans les efforts continus du PCC pour établir une orthodoxie qui se fonde depuis 2013 sur la dénonciation de toute interprétation alternative de l’histoire, désignée sous le label de « nihilisme historique ».
Celui-ci a été érigé au rang de crime par un amendement du code civil en février 2021 condamnant l’outrage aux héros et martyrs.
Xi Jinping, l’homme providentiel
La résolution présente l’ère Xi Jinping comme la synthèse entre le moment maoïste et le moment dengiste, les autres dirigeants, Jiang Zemin et Hu Jintao, étant englobés dans une même direction collective sous l’égide de Deng Xiaoping.
Sous Xi, le Parti n’a pas oublié la mission originelle qui l’animait sous Mao : la réalisation du socialisme (ou prospérité commune) et de la « révolution de la nouvelle démocratie ». Contrairement à Deng qui pensait que seul le marché pourrait sauver la Chine, il est désormais réaffirmé que « seul le socialisme peut sauver la Chine et la développer ».
Mais si Mao est pour Xi une source de légitimité, il ne représente pas un guide pratique.
Il n’est nullement question de revenir à la mobilisation des masses : la résolution met l’accent sur la stabilité et un nouveau mode de gouvernance plus efficace, dont Hongkong serait devenu le parangon.
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Elle met également en avant l’adaptation et le renforcement constants du Parti (alors que la politique maoïste avait failli le détruire), ainsi que, dans le prolongement du programme de réformes de Deng, le renforcement des institutions et de l’« État de droit ».
Enfin, la résolution affirme la poursuite de la politique d’ouverture, c’est-à-dire la volonté de la Chine de continuer à s’engager avec le reste du monde, alors que la Chine de Mao s’était repliée sur elle-même.
Or, dans les faits, Xi Jinping est revenu depuis son arrivée au pouvoir sur toutes les réformes politiques et économiques de Deng Xiaoping, tandis que la crise du coronavirus a achevé de refermer la Chine tout en renforçant le tournant totalitaire du régime.
Les réalisations de Xi Jinping, dont le plénum réaffirme le rôle de « noyau dirigeant », sont largement célébrées. Lui seul est venu à bout de problèmes auxquels la Chine était confrontée depuis trop longtemps comme l’extrême pauvreté, la corruption, la réunification avec Hongkong ou « un mode de gouvernance trop doux et laxiste » – sans doute une référence à l’époque de Jiang Zemin et Hu Jintao où les protestations avaient pris une ampleur sans précédent.
Lui seul pourra promouvoir l’autonomie scientifique et technologique de la Chine, parachever la lutte contre la pauvreté, le modèle de gouvernance chinois et la grande renaissance de la Nation chinoise.
Xi Jinping est présenté comme le dirigeant qui a redonné confiance et fierté au peuple chinois face à l’Occident :
« L’époque où la nation chinoise était massacrée et intimidée est révolue, et le développement de la Chine a depuis ouvert une nouvelle ère. »
Sa pensée, sanctifiée, est qualifiée de « quintessence de la culture et de l’âme chinoise ». Identifié au parti dont il réalise pleinement la mission, Xi Jinping incarne le rêve chinois d’une nation moderne et puissante.
Xi n’est pas encore l’égal de Mao (ni de Deng)
Mais si la stature de Xi Jinping est clairement rehaussée et singularisée, ce plénum ne fait pas de lui l’égal de Mao.
Le communiqué indique que le premier secrétaire du Parti « a réalisé un nouveau saut dans la sinisation du marxisme », soulignant ainsi son ambition d’être reconnu comme l’égal du fondateur du régime sur le plan théorique.
Mais sa pensée reste toujours désignée par la formule alambiquée « Pensée Xi Jinping pour un socialisme à la chinoise dans une nouvelle ère ». Le fait qu’elle n’ait pas été abrégée en « Pensée Xi Jinping » indique qu’elle n’a pas encore atteint la légitimité de la « Pensée Mao Zedong ».
De fait, sa vision du socialisme et de la démocratie reste encore très vague.
La manière dont seront définies la Prospérité commune et la Révolution démocratique promises au peuple chinois déterminera in fine le statut de Xi Jinping.
Or, pour cela, il lui faudra, selon la formule de Mao et à l’instar de Deng Xiaoping, « rechercher la vérité dans les faits », la prise en compte des défis concrets auxquels la Chine est actuellement confrontée étant singulièrement absente de cette vision mythifiée de l’histoire et du temps présent.
Si Xi Jinping est bien résolu à faire entrer la Chine dans une nouvelle ère, il n’est pas sûr qu’il en ait encore les moyens. Outre que, pour « améliorer la capacité du Parti à se battre et à répondre aux risques et aux défis », il lui faudra mettre sa résolution à l’épreuve du réel, l’absence d’abréviation de la pensée du président et les délais dans la publication du texte final de la résolution indiquent très certainement que Xi doit encore faire face à des réticences au sommet pour imposer pleinement son pouvoir.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Chloé Froissart, Professeur d’histoire et de science politique au département d’études chinoises de l’Inalco, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)