Aujourd’hui, aux États-Unis, on connaît une reprise économique inégale. La situation de l’emploi s’améliore, ce qui théoriquement améliore le rapport de forces des travailleurEs. Un nombre extraordinaire de travailleurEs – 4,4 millions – ont quitté leur emploi en septembre dans ce qu’on appelle « la grande démission ». Les employeurs ont du mal à pourvoir les postes, ils sont donc contraints à des augmentations de salaire. Cependant, les syndicats ne représentent que 6,3 % des travailleurEs du secteur privé, tandis que seulement 10,8 % de l’ensemble des travailleurEs sont syndiqués.
Une « vague de grèves » ?
Dans ce contexte, il y a eu quelques grèves à l’occasion du renouvellement des accords d’entreprise, parfois dans des entreprises qui n’en avaient pas connu depuis des années. Quelque 1 000 mineurs ont commencé une grève en Alabama pour les salaires et les indemnités santé il y a sept mois, et ils sont toujours en lutte. En août dernier, après la rupture des négociations sur la nouvelle convention d’entreprise, le syndicat des boulangers a entraîné 1 000 travailleurEs de Nabisco dans une grève dans plusieurs États ; après un mois de grève, les salariéEs ont gagné sur plusieurs de leurs revendications. Le même syndicat a également déclenché une grève de 1 400 travailleurEs de Kellogg’s, qui dure maintenant depuis le 5 octobre. Chez John Deere, qui fabrique des tracteurs, 10 000 travailleurEs de l’United Auto Workers ont débrayé, une grève qui se poursuit depuis le 14 octobre, les travailleurEs ayant voté contre deux propositions d’accords négociées entre syndicat et direction (ils doivent se prononcer sur une troisième proposition). Par contre, en octobre et novembre, 65 000 membres de l’IATSE, le syndicat des travailleurEs du théâtre et du cinéma, et les 30 000 travailleurEs des hôpitaux Kaiser Permanente ont renouvelé leurs contrats sans que la grève ait été déclenchée.
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Le journal The Guardian a parlé d’une « explosion surprenante de militantisme ouvrier et de grèves » dans ce qu’il a appelé le « striketober » (l’octobre des grèves). Joe Allen, rédacteur du journal socialiste révolutionnaire Tempest, a parlé d’une « vague de grèves », tandis que Nelson Lichtenstein, dans le journal social-démocrate Dissent, a déclaré : « Ce n’est pas une vague de grèves », même si « nous en avons cruellement besoin ». En fait, contrairement aux grèves des enseignantEs de 2018-2019, une véritable vague de grève qui s’est propagée parmi 110 000 travailleurEs d’une même activité, les grèves récentes sont moins nombreuses et fragmentées entre diverses industries et syndicats. Nous avons en fait assisté à un certain nombre de grèves, mais pas à une vague.
L’importance des grèves
Pourquoi les socialistes se concentrent-ils sur les grèves ? Tout d’abord, souvent, un vote sur une proposition de contrat ou un vote sur une grève est le premier et peut-être le seul moment où les travailleurEs participent à la vie du syndicat. De nombreux travailleurEs ne votent pas pour élire leurs dirigeants locaux ou nationaux, de sorte que le vote sur le contrat ou la grève peut être la seule expérience démocratique des travailleurs au sein du syndicat.
Deuxièmement, alors que les responsables syndicaux mènent les négociations contractuelles et soumettent aux membres le vote sur une éventuelle grève, si ces derniers votent pour la grève, un changement peut s’opérer au sein du syndicat. L’organisation de la grève – piquets de grève dans les usines, mise en place d’équipes de piquetage, organisation de rassemblements de grève, envoi de délégations pour visiter d’autres syndicats ou des groupes communautaires – commence à attirer les travailleurEs dans l’action, leur donnant l’occasion de prendre des décisions et peut-être pour la première fois de se considérer comme le syndicat.
Prises de conscience
Troisièmement, une fois que la grève commence, lorsque les piquets de grève affrontent les directeurs ou les briseurs de grève et bloquent les camions, le caractère de la grève en tant que conflit réel entre les patrons et les travailleurEs devient clair. Les travailleurEs voient qu’ils et elles sacrifient leur salaire, alors que les actionnaires éloignés, les directeurs d’entreprise et les directeurs d’usine continuent à recevoir leurs salaires et leurs dividendes. Les travailleurEs, qui font des sacrifices ensemble, qui participent ensemble au piquet de grève et qui luttent ensemble contre le patron, développent un sentiment de solidarité.
Enfin, se retrouvant en conflit avec le patron et souvent confrontés à la police, les travailleurEs deviennent plus ouverts à une réflexion critique sur le « big business » et la politique. Lorsque cela se produit, les militantEs socialistes du mouvement ouvrier peuvent proposer des perspectives stratégiques, expliquer la critique socialiste du capitalisme et proposer une alternative socialiste révolutionnaire, l’idée que les travailleurEs devraient prendre le pouvoir et posséder et gérer collectivement l’économie. Tout cela fait des grèves, mais surtout des grèves de masse qui impliquent des dizaines ou des centaines de milliers de personnes, des événements très importants.
Jusqu’à présent, récemment, nous avons eu peu de grèves importantes ou militantes qui pourraient commencer à créer une conscience ouvrière plus radicale. Il ne fait aucun doute que nous y arriverons, mais nous n’en sommes pas encore là.
Dan La Botz