Ses propos ont surpris, voire scandalisé. Et ils ont plongé dans l’embarras le favori de la prochaine présidentielle brésilienne, ainsi que ses alliés. Dans une interview accordée au quotidien espagnol El País, publiée le 20 novembre, le leader de la gauche brésilienne Luiz Inácio “Lula” da Silva a été interrogé sur la récente et controversée réélection du président Daniel Ortega. Un scrutin qui s’est déroulé sans véritable opposition, cette dernière ayant été évincée par Ortega.
“Tout politicien qui commence à se croire indispensable ou irremplaçable commence à se transformer en petit dictateur”, répond l’ex-président brésilien de 76 ans, “favorable à l’alternance” politique. Pourtant, il ajoute :
“Nous devons défendre l’autodétermination des peuples. Pourquoi Angela Merkel peut-elle rester seize ans au pouvoir, et pas Daniel Ortega ?”
“Angela Merkel a gouverné pendant seize ans […] mais elle n’a jamais mis aucun de ses opposants en prison”, rétorque la journaliste d’El País. Déconcerté, Lula répond ne pas “pouvoir juger ce qu’il s’est passé au Nicaragua”. Mais “si Daniel Ortega a fait emprisonner des chefs de l’opposition pour qu’ils ne se présentent pas aux élections […], il a totalement tort”, finit par admettre le leader historique du Parti des travailleurs (PT, gauche).
Quelques jours auparavant, le PT avait publié sur son site un communiqué dans lequel il saluait la victoire électorale du dictateur, qualifiée de “grande manifestation populaire et démocratique”. Une note vite retirée, officiellement pour “ne pas avoir été soumise à la direction” de la formation politique.
“Flirt avec l’autoritarisme”
Les adversaires du camp “pétiste” n’ont pas manqué de réagir. Pressenti pour se présenter au prochain scrutin, Sergio Moro, l’ancien juge qui avait fait incarcérer Lula pendant dix-neuf mois (avant d’être considéré comme “partial” par la Cour suprême brésilienne) et ex-ministre de la Justice de Jair Bolsonaro, a déclaré sur CNN Brasil :
“Je trouve que c’est préoccupant quand quelqu’un qui veut être candidat à la présidentielle flirte avec l’autoritarisme.”
Le général Augusto Heleno, chef du cabinet de sécurité de la présidence, a quant à lui tweeté :
“Lula se moque de l’intelligence de la population et du régime démocratique. […] Le vote populaire le condamnera, pour de bon, lors des élections de 2022.”
Ex-presidente Lula, em entrevista ao El Pais, debocha da inteligência da população e do regime democrático. Omite o que ele fez de mal ao Brasil. Compara o ditador Ortega com Angela Merkel. VOTO popular o condenará, de vez, nas eleições de 2022. “Porque no te callas ?”
— General Heleno (@gen_heleno) November 23, 2021
Les propos de l’ex-métallo préoccupent aussi certains de ses alliés, qui “veulent un ‘pétiste’ modéré” pour le scrutin de 2022, affirme Folha de São Paulo. “Il n’est pas crédible qu’un homme politique sophistiqué, expérimenté et bien informé comme Lula ne connaisse pas le contexte de l’emprisonnement des opposants à Daniel Ortega”, reconnaît un éditorialiste de l’hebdomadaire de gauche Carta Capital.
Selon lui, “la défense persistante par Lula et d’autres [politiciens] de gauche” ailleurs dans le monde “des autoritarismes de leur côté du spectre idéologique n’est pas un indicateur d’un danger autoritaire, mais d’une brutale incohérence, découlant [surtout] de motivations affectives et identitaires” aux enjeux “politiques et moraux”.
Lula trébuche
Pourtant, “les ‘pétistes’ savent que leurs rivaux vont exploiter les déclarations généreuses de Lula sur les régimes de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua pour peindre une fausse image d’un désengagement de la démocratie”, déplore un éditorialiste de Folha de São Paulo :
“L’hésitation constante de l’ex-président à condamner les avancées autoritaires dans le monde ne révèle aucune tentation dictatoriale. Mais [cet] épisode montre que, au nom de ses liens internationaux, Lula et le PT sont disposés à s’encombrer d’un problème inutile pour 2022.”
Dans un article d’opinion, un de ses confrères du quotidien O Globlo souligne d’abord le “but marqué” par Lula, ennemi juré de Jair Bolsonaro, lors de son récent déplacement en Europe, pendant lequel il a rencontré plusieurs chefs d’État et de gouvernement, dont le président français. Selon O Globo, il a montré qu’“il a encore du prestige à l’étranger”, contrairement à l’actuel président brésilien, “vu comme un paria au sein de la communauté internationale”.
Mais avec son interview à El País, lors de sa dernière escale européenne, Lula “a trébuché sur le ballon” : “En relativisant l’arbitraire, l’ex-président donne des munitions à ceux qui l’accusent de transiger avec l’autoritarisme de gauche et il collabore avec les adversaires qui tentent de le comparer à [Jair] Bolsonaro.”
Et l’auteur de conclure :
“La question démocratique sera au centre du débat brésilien en 2022. Bolsonaro incite au coup d’État et a déjà signalé qu’il tenterait de renverser la table s’il est vaincu. Ceux qui veulent le battre ne pourront pas hésiter dans la défense des libertés civiles, ici ou à l’étranger.”
Courrier International
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