• Que s’est-il passé à Tallinn ?
Ilya - Au moment du déménagement du monument, des milliers de jeunes russophones, qui sont concentrés dans une sorte de ghetto dans la ville, ont manifesté spontanément leur colère contre l’État pendant deux jours, et un jeune a été tué. Les sentiments exprimés étaient contradictoires, il s’agissait de chauvinisme grand russe mais aussi d’une exaspération sociale.
• Les Russes traitent les autorités et les nationalistes estoniens de fascistes...
Ilya - Ce n’est que de la propagande. D’une part, depuis l’indépendance de l’Estonie, en 1991, seuls ceux dont les parents étaient Estoniens avant 1940 peuvent accéder à la nationalité estonienne. Les autres, soit 30 % de la population, doivent passer un examen pour acquérir la nationalité. D’autre part, il faut se souvenir que, durant ce qui est appelé « l’occupation » soviétique, environ 10 % de la population estonienne ont été déportés par le NKVD, et que cette répression a touché toutes les familles. Le nationalisme estonien est donc complexe, c’est celui d’une petite nation opprimée, mais certains de ses défenseurs sont aussi très anticommunistes et d’extrême droite.
• Quelle est la situation des russophones dans les pays baltes ?
Ilya - Sur 1,4 million d’habitants en Estonie, 67 % parlent estonien et 30 % russe. C’est la même proportion en Lituanie. Dans ces deux pays, vous avez une société divisée en communautés : des écoles russes séparées, des zones urbaines où les Russes sont concentrés, des bars et des clubs spécifiques, etc. Il en est de même au niveau des partis politiques. À l’époque de l’URSS, la politique stalinienne considérait ces pays comme des régions russes où l’on pouvait s’installer sans en parler la langue. Après l’indépendance, en 1991, les gouvernements estonien et lituanien n’ont rien fait pour intégrer les minorités dans la nouvelle société. Ils ont, au contraire, aggravé les choses. Les russophones font partie des secteurs les plus pauvres de la société et les jeunes sentent qu’ils n’ont aucune perspective. Par-dessus cela, la Russie utilise la question des Russes des pays baltes pour ses propres manœuvres politiques et faire pression sur l’Union européenne.
• Y-a-t-il des groupes progressistes en Estonie ?
Ilya - Il y a peu d’organisations de gauche en Estonie. Il y a le Parti de gauche - ex-Parti communiste réformé -, qui a eu moins de 1 % des voix aux élections, et une nouvelle organisation de jeunesse altermondialiste, Rouge-Noir, implantée chez les jeunes parlant estonien, qui essaye d’avoir des activités anticapitalistes et antifascistes. Il n’y a malheureusement pas de liens avec la gauche en Russie.