Introduction
Le 8 mai 2007, Pierre Khalfa diffuse sur une liste email d’Attac un texte d’analyse concernant le résultat de la présidentielle [1]. Le lendemain, Pierre Rousset lui envoie un mot pour l’informer qu’il a mis son texte en ligne sur le site Internet d’Europe solidaire sans frontières (ESSF), mais qu’il trouve « honteux » le chapitre qui porte sur le bilan de la gauche et de la gauche de la gauche. Une demi-heure plus tard, Khalfa enjoint Rousset de s’expliquer : Qu’est-ce que « tu trouves honteux, la critique de Royal ou les conséquences de l’absence de candidature unitaire ?, à moins que les 4 % de la LCR suffisent à ton bonheur ! »
Il s’en suivit un long échange de mails, que nous reproduisons ci-dessous après n’avoir apporté que quelques corrections de forme afin de lui garder sa spontanéité. Il ne faut évidemment pas demander à un tel échange polémique de courriels la même précision ou le même soucis des nuances qu’à une étude de fond. Mais il est plus vivant qu’un pensum et les propos sont parfois vifs.
Ce dialogue informatique a permis d’aborder de nombreuses questions. Quatre jours plus tard, arrivant à son terme, il n’a bien entendu pas permis de surmonter les désaccords – ni même souvent de s’accorder sur la définition du désaccord. Mais il a fait surgir quelques questions clés, sous-jacentes, à commencer par l’analyse de la période, des rapports de forces et de la façon dont, en conséquence, se pose aujourd’hui (ou ne se pose pas) la question de notre participation à un gouvernement. Ce qui contribue à son intérêt.
Les intertitres sont évidemment de la rédaction et les points de vue exprimés ne le sont qu’à titre individuel.
D’un mail à l’autre
Au début était l’irritation réciproque
Pierre Rousset – 9 mai 2007, 13h16
Dans la position qui est la tienne, tu ne devrais pas pouvoir te permettre de présenter une analyse où :
– Tu te contentes du tour de passe-passe : comparer les chiffres globaux à la gauche du PS (pour les Verts ?) en 2002 et 2007 sans tenir compte des contextes électoraux radicalement différent — et sans détailler ce que signifie un succès (car s’en est un) face à cinq échecs (car s’en sont) à la gauche de la gauche. Il ne s’agit pas de « suffire » au bonheur, mais d’aider à la réflexion. Pas de la clore. Il y a eu 6 tests en une élection à la « gauche de la gauche », c’est quand même une matière à réfléchir...
– Faire « comme si » cette fameuse unité dynamique, large et gagnante, qui aurait prolongé le 29 mai sur le terrain électoral était une possibilité évidente, qui ne demandais même pas à être revisitée deux ans plus tard. Aucune réflexion rétrospective sur ce qui aurait été réellement possible en matière d’unité et sur quel terrain elle pouvait se forger. Et sur pourquoi les avertissements que la LCR avait formulés sont devenus tristes réalités (du maintien de la candidature Buffet dans une problématique « toute la gauche » au ralliement à la social-libérale Royale du « candidat unitaire » en plein milieu du guet électoral). [2]
– Pas un mot sur le caractère destructeur du « bovéthon » [3]. et des pratiques bovétistes (ou des micros appareil et des egos). Sur la démagogie de la « gagne » (présence au second tour !). Sur l’hyper-sectarisme d’une campagne qui annonce la création d’une nouvelle formation politique (laquelle ?) contre les partis existants — et qui place tout le monde, de Le Pen à Besancenot — dans « la même bande » pour reprendre la formule de José Bové [4]. Faute d’expliciter quoi que ce soit, la seule conclusion que peut tirer le lecteur un peu averti de ton propos, c’est que l’élection de Sarkozy, c’est la faute aux fameux égoïsmes d’appareils du PCF et de la LCR. C’est même notre faute si le PS bascule là où il penchait...
– La partie de ton texte sur la gauche offre le schéma type de tous ceux qui ne veulent surtout pas ouvrir débat et réflexion sur deux ans d’expérience. Et surtout pas une réflexion critique et autocritique. Ton texte est un étouffoir : avec l’autorité qui est la tienne, il contribue à verrouiller le débat.
Ais-je moi-même évolué me demanderas-tu peut-être ? Oui, beaucoup. Mais vers une critique plus acide des dangers contenus dans ce qui s’est fait au nom de l’unité ou au nom de « l’alterorganisation » (?). Et vers des questions très problématiques sur les coupures entre milieux et générations, sur l’évolution en fin de vie d’une génération (la nôtre), sur les modes d’organisation, etc. J’espère trouver un jour le temps d’écrire sur ces derniers points.
Je cherche désespéramment des textes de « votre » bord qui me permette de pousser plus loin réflexions et discussions. Tous les grands ténors se sont fait discrets, effaçant leurs traces et nous rendant coupables. Quand j’ai vu arriver ton texte, je me suis dit : voilà peut-être enfin ce que j’attends... Et vlan, me voilà déçu.
Non, je ne suis pas content du résultat de la présidentielle. Mais oui, il y a quelque chose de très chouette dans ce qui s’est passé avec la campagne Besancenot. Non, les 4% ne résolvent pas la question de l’unité. Mais oui, avec la qualité de la campagne en plus de du score, il y a une expérience positive sur laquelle apprendre. On apprend de l’échec (candidatures unitaires), mais aussi de ce succès-là. Ou l’on s’aveugle.
Pierre-très-faché [Rousset]
Pierre Khalfa – 9 mai 2007, 13h45
Mon texte ne portait volontairement pas sur les responsabilités des uns et des autres dans l’échec d’une candidature unitaire, justement pour ne pas entrer dans le type de débat que tu poses et qui me paraît dérisoire, ce d’autant plus que je n’ai rien à justifier en la matière (le « votre bord » est assez insultant) puisque je n’ai participé à aucune campagne et que je porte un jugement sévère sur celle de Bové. Il est significatif que tu y aies vu une critique de la LCR, alors même que je ne parle absolument pas de son attitude. Mon texte avait trois objectifs principaux : 1) faire a minima une analyse de la période, évitant le catastrophisme 2) essayer de comprendre pourquoi Sarkozy avait gagné 3) pointer là-dedans la responsabilité de la gauche.
Mais je vais cependant répondre à tes points. Ma conviction profonde est que la LCR n’a pas voulu de candidature unitaire en prétextant des divergences politiques qui auraient pu très bien se résoudre. Ne pouvant pas cliver réellement sur le programme, elle l’a fait sur la stratégie par rapport au PS, alors même qu’un accord était possible puisque tout le monde était d’accord sur deux points clefs : faire barrage à Sarkozy au second tour et pas de participation gouvernementale en position minoritaire en terme de rapport de forces, ce qui excluait donc toute participation à un gouvernement social-libéral. En fait la LCR et le PC ont joué la même partition. Aucun des deux, pour des raisons similaires, ne voulait de candidature unitaire et donc la LCR accusait le PC de vouloir reproduire la gauche plurielle et le PC accusait la LCR de vouloir faire simplement du témoignage. Tous les deux espéraient l’emporter dans les urnes et devenir la force politique dirigeante à gauche du PS.
Concernant la LCR, il faut avoir une vision assez groupusculaire pour se satisfaire du résultat. Certes vous écrasez LO et le PC, mais considérer que 4 % est un succès, alors même que rien LO+LCR faisaient 10 % en 2002, et que vous fait moins qu’en 2002, c’est très fort ! Evoquer la situation politique différente pour justifier cela, c’est une tautologie, car justement le propre d’une stratégie politique s’est de s’adapter aux situations nouvelles.
Pierre-aussi-en colère [Khalfa]
Pierre Rousset – 9 mai 2007, 14h49
Tu dis dans ton texte du 8 mai exactement ce que tu dis ci-dessus : même si tu ne nommes pas les coupables, tout le monde aura compris. Le procédé est particulièrement inélégant : porter la charge sans nommer et sans argumenter. L’unité (laquelle ?), affirmes-tu, était possible. La division est responsable de tout, y compris du « basculement » du PS et de l’élection de Sarko. Pour tous ceux qui te lisent, la conclusion est limpide : c’est la faute à la LCR. C’est effectivement « significatif » que je l’ai lu entre les lignes — et je ne suis pas le seul. Ce que tu sais fort bien.
Toute la partie sur la gauche est écrite pour faire porter le chapeau aux « diviseurs » (comprenez la LCR) : le basculement du PS est à notre crédit (!!!) et tout ce qui s’en suit. Logique implacable. Sur le thème de la division, tu es pourtant bien placé pour savoir le rôle très diviseur des bovétistes, des Alternatifs, des Alter Ekolo, des Electrons libres, des Egos et j’en passe (dont nos fort mal nommés « unitaires »). Ce qui s’est passé autour de Bové, c’est grave.
Sur l’appréciation du score à 4%, j’ai dis ce que j’en pensais dans ma réponse à Zappi [5]. Ce que je n’ai pas encore développé, c’est l’écho politique impressionnant de la campagne Besancenot (à notre échelle), en rapport avec son contenu politique. L’aspect qualitatif. Il y a beaucoup à apprendre à ce niveau. Mais cela vous passe à mille lieues au-dessus de la tête. Vous vous contentez des équations LCR = LO, Olivier = Arlette, tout cela est condamné à la même impasse historique. Pourquoi alors chercher apprendre de cette expérience ? Tu continues à répéter que je me « satisfais » de ce résultat. Mais est-ce que un succès pour cinq échec (à notre échelle) à un sens ? La LCR s’est retrouvée (malheureusement, pas heureusement) seule, parmi les organisations et « mouvances » à la gauche de la gauche. Mais elle ne s’est pas du tout retrouvée isolée (dans la société). Pourquoi ? Le constater ne résout ni les problèmes de construction ni les problèmes d’unité, je l’admets volontiers. Cela n’en est pas moins fort intéressant. Mais qu’est-ce qui t’intéresse dans notre expérience ?
Que tu continues à affirmer que le positionnement de la LCR n’était que « prétexte » après un épreuve multiple des faits en dit pour moi très long...
En quoi ton texte aide-t-il à pousser la réflexion ? Je ne vois pas. A quoi sert-il (dans cette partie, concernant la gauche), si ce n’est à conforter ton entourage politique ?
J’ai besoin d’interlocuteurs / débatteurs politiques. Ce texte ne me sert à rien (sinon à m’énerver). Je comprend que ce soit le cadet de tes soucis. Mais s’il ne me sert à rien, il ne servira pas à grand chose à beaucoup de monde (sauf ceux qui veulent rester dans leur ronron intellectuel).
J’attendrai donc autre chose, pour te relire avec plaisir...
Pierre [Rousset]
Quels étaient les possibles ?
Pierre Khalfa – 9 mai, 15h52
Je pense réellement que tu déraisonnes. D’abord, pour en avoir discuté avec d’autres, personne n’a lu mon texte comme « c’est la faute à la LCR ». Il faut être particulièrement sur la défensive pour le résumer à cela, ce d’autant plus que, justement vu ma position, j’ai toujours fait attention à ne pas attaquer la Ligue en public. D’ailleurs tu sais bien que plein de gens à Attac pensent que j’y suis !
Ce que je dis dans la partie que tu incrimines, et je n’ai lu de ta part aucun argument contraire, c’est que l’absence d’une candidature unitaire a eu des effets en chaîne, justement parce que mon analyse est qu’il y a eu un tournant anti-libéral qui aurait permis à une telle candidature de peser réellement sur la situation. Ce que l’on fait, ou l’on ne fait pas, a quelquefois (pas toujours) de l’importance ! Je pense d’autre part que cette candidature était possible politiquement et qu’une occasion historique a été perdue. Qui est responsable ? Pour moi d’abord les organisations politiques parce que justement ce sont des organisations. Certes la concurrence des individus a joué, mais en second lieu par rapport à la volonté de la Ligue et du PC de ne pas avoir de candidature unitaire.
En fait, toute ton argumentation repose sur le fait que rien n’était possible. C’est d’ailleurs exactement ce que dis le PC ! On retrouve dans les deux cas la marque traditionnelle des sectaires qui essaient de théoriser des désaccords ponctuels pour en faire des clivages de ligne. De ce point de vue, j’ai toujours pensé que, comme disait Lénine, « mieux valait un pas en avant que 1000 programmes ».
Ton analyse du score de Besancenot est assez curieuse. Que sa campagne, à l’échelle de la LCR, ait été un succès, sans doute. Qu’il vaut mieux que 4 % ait voté pour lui que de s’abstenir ou voter pour Royal, certainement. Et alors ? En quoi cela aide-t-il en quoi que ce soit à résoudre le problème politique central, pour moi, — mais ce n’est peut-être pas ton problème —, de la construction d’une alternative anti-libérale à vocation majoritaire ? En rien à moins de croire qu’elle passera par un grossissement linéaire de la LCR, ce qui pour moi relève du vœu pieu.
Amitiés quand même
Pierre [Khalfa]
Pierre Rousset, 9 mai 2007, 16h58
Je ne me sens en rien sur la défensive. Il est intéressant que tu interprètes toujours à tort ce que je suis censé penser (me « satisfaire » des 4%) ou sentir (« défensif »). M’enfin, la LCR est pilonnée depuis un an. Comment lire ton texte « hors contexte » ??? Je serais TRES étonné que ses lecteurs ne pensent pas que nous sommes les diviseurs (avec le PC), responsable de tout le mal. Pour un certain milieu, c’est tellement évident que cela va sans dire. D’ailleurs, c’est bien ce que tu as expliqué dans les mails précédents !
Entre « tout était possible » (ce que tu sembles penser) et « rien n’étais possible » (ce que tu me fais dire — encore une fois à tort), il y a une sacré marge. La « transposition » du 29 mai sur le terrain électoral était impossible (des fabiusiens à nous ? — de quoi parlons-nous ? C’était quoi le 29 mai, comme arc de forces ?). Rétrospectivement, on devrait pouvoir rediscuter des conditions de l’unité, au lieu de répéter sans cesse la même rengaine, finalement très abstraite.
Quatre point seulement ici.
1. Réduire une divergence politique à un « prétexte » interdit le débat. Je ne pense pas que le clivage pertinent soit aujourd’hui entre « réformes » et « révolution ». Mais il est bien sur la participation gouvernementale (et para-gouvernementale). Cela est confirmé en Europe et pas seulement en France. Si tu es d’accord avec cela (mais l’es-tu ?), tu dois bien reconnaître a posteriori que le désaccord est clivant avec le PC et les bovétistes réellement existants. Si tu n’es pas d’accord, c’est un désaccord politique important, pas une affaire de prétexte. « Un pas en avant vaut mieux que 10.000 programmes » ? Quand le pas en avant se solde par une unité qui vole en éclat en plein milieu de la bataille ?
2. Le piège, pour moi, c’est d’avoir placé d’emblée la question de l’unité avant tout sur le terrain électoral. Avec l’équation : entrer en politique, c’est entrer en élection... Et l’ambition : se présenter aux élections pour être élu dans un pays aux institutions particulièrement anti-démocratiques. Alors, dans une telle perspective, on doit prétendre que le clivage réellement existant sur la question du PS peut être temporairement ignoré.
L’unité (y compris politique) s’ancre sur le terrain militant si on ne veut pas qu’elle soit pervertie sur le terrain électoral (et ne me fais pas dire que je suis bêtement anti-électoraliste !!!!). Là encore, l’expérience Bové est parlante. Etait-il possible de poser la question de l’unité sur le terrain social avant de la poser sur le terrain électoral au sortir du 29 mai ? Je tends à le croire ; mais c’est à discuter.
La leçon pour l’avenir, c’est qu’il faut rompre l’équation « entrer en politique = entrer en élection = être élu ». On entre en élection sur la base d’une cohérence et d’une solidité extra-électoral ou on est perdant.
3. La démagogie a fait des ravages mortels dans le processus des candidatures unitaires. L’affaire du bovéthon est extrêmement grave. Etc. Sur tous ces terrains, les petites orgas, les réseaux et les egos ont beaucoup pesé. Sans une bataille frontale sur le principe d’organisation (et de la démocratie collective, militante), les ravages se poursuivront.
4. L’ampleur de la coupure entre la génération « type » des collectifs unitaires et la génération entrain de prendre forme politique est inquiétante. La campagne Besancenot a été beaucoup plus en prise avec cette dernière. C’est à réfléchir...
Tout cela, cela concerne le problème politique central de l’unité pour une construction d’une alternative. C’est tellement fatiguant de te lire reprendre l’antienne du « grossissement linéaire de la LCR »...
Amitiés aussi,
Pierre [Rousset]
La question de la participation gouvernementale
Pierre Khalfa – 10 mai 2007, 09h32
Résumons les points d’accords et de désaccords :
1) OK pour dire que le clivage pertinent n’est pas entre réforme et révolution. Mais tu ne dis pas ce qui est pertinent. Pour moi, c’est le clivage antilibéral/social-libéral.
2) C’est sur la base de ce clivage qu’il faut discuter de la question du gouvernement, qui n’est pas une question stratégique, mais tactique, c’est-à-dire, dépendant des rapports de forces. C’est pourquoi, je pense que la position correcte est de refuser d’aller dans un gouvernement dominé par les sociaux-libéraux, mais qu’il est possible d’y aller si nous sommes en situation de force. Tactique assez classique de « front unique » !
3) Dans ce cadre un accord était possible, pas évidemment avec les fabusiens, qui de toute façon n’en voulaient pas et personne n’a jamais proposé ça, mais du PC, à la Ligue, avec une partie des Verts...
4) Peut-être que cette unité était fragile, mais tu sais aussi bien que moi, que tout processus unitaire est de cette nature et ce qui compte, c’est le processus. En ce sens « un pas en avant vaut mieux que 1000 programmes » !
5) Tu es choqué que je reprendre l’antienne du grossissement linéaire de la LCR. Mais comment expliques-tu que pour les législatives la ligue refuse toute candidature unitaire, y compris avec LO !
Pierre [Khalfa]
Pierre Rousset, le 10 mai 07, à 15h56
Pierre,
Avant de commenter (brièvement) le résumé, une supplique et une remarque.
La supplique : j’ai véritablement besoin de textes de réflexion critique sur « leur » expérience de la part des animateurs (et compagnons de route) du processus des collectifs et (aussi) de la campagne Bové. Ce n’est pas essentiellement pour situer les responsabilités. Encore que je ne vois rien de « dérisoire » (pour reprendre ton terme) à ce que les responsables reconnaissent pour part au moins leurs responsabilités. Ce serait bienvenue. Mais l’essentiel, c’est la matière à réflexion. L’un des principaux reproches que je fais au chapitre « gauche » de ton texte est qu’il contribue à étouffer cette réflexion critique en alignant dans une logique implacable les fausses évidences. Je ne connais pas un seul texte de ce genre (réflexion critique) et je trouve cette absente très « questionnante ». Ceci dit, il en existe peut-être. Si tu en as sous le coude (et si tu ne veux pas contribuer toi-même), fais-les moi suivre. J’ai besoin d’interlocuteurs.
La remarque : il y a beaucoup à apprendre de la campagne Besancenot. Et c’est la seule à partir de laquelle on peut réfléchir à partir d’une expérience positive. On peut spéculer ce qui aurait pu être « si » après le 29 mai, l’unité (laquelle ?) avait été réalisée... Mais en quoi ne devrait-on pas, au nom de ce qui aurait pu être, chercher à apprendre de la présidentielle réellement existante ? L’intérêt de la campagne Besancenot, c’est que c’est la seule qui ait été « en prise » et à partir du résultat (et pas seulement des virtualités non réalisées) de laquelle on peut affirmer un possible (qui nous concerne tous, pas la seule LCR). Au-delà de la clarté du positionnement (voir ma réponse à Zappi), il y a des dynamiques très intéressantes, vis-à-vis de la jeunesse en particulier. Par exemple : Olivier, José et Marie-George pouvait partir de la même exigence. La campagne de Buffet restait statique. Celle de Bové sombrait souvent dans un lobbyisme fade (et sectaire). Et celle de Besancenot inscrivait cette exigence dans une dynamique radicale (même quand le point de départ, c’était la répartition des revenus sous Giscard !). Pourquoi serions seuls à être intéressés par cette expérience ? On peut aussi apprendre des autres campagnes (et il serait utile que ceux qui y étaient investis y revienne réellement...), mais là, on réfléchit plus sur l’échec ou le détail de l’expérience que sur un succès.
Sur tes 4 points.
1. Le clivage (dans le mouvement) actuellement pertinent est (effectivement) résistance/alternative anti(mondialisation)(néo)libéral et adaptation/accompagnement social-libéral. Etant entendu que, dans le contexte présent, ce clivage permet (et doit aider à) refonder et nourrir un anticapitalisme dont on a bien besoin.
2. Ton deuxième point me paraît bizarrement abstrait. Dans le monde et la France réellement existants (aujourd’hui), envisage-t-on sérieusement la possibilité de constituer un gouvernement dominé par les « antilibéraux » ? Dans quel rapport de forces ? Et appuyé sur quelles forces constituées ? Le PC et le PS, dans leurs rapports de forces réciproques ! J’ai peu apprécié la façon dont tu exonères le PS d’une bonne part de ses responsabilités dans ton texte. Il ne dépendait pas que de nous qu’il bascule à gauche au lieu de « basculer » à droite (« du coté où il penchait ») faute de contrepoids. Et la LCR n’a (malheureusement) pas les moyens de donner une nouvelle dynamique à gauche au PC, vu comment sa crise a pris forme.
La tactique de « front uni » tient évidemment compte des rapports de forces ! En particulier dans son niveau d’application : la question des rapports de forces ne se pose pas de la même façon quand on passe des résistances sociales à la question gouvernementale.
Toute l’expérience actuelle des gouvernements de « coalition » de gauche (ou centre gauche) avec la gauche de la gauche tournent au désastre pour nous (Italie, Brésil, Länders allemands..). Ce sont des cas typiques où des discours « gauche » (on va « hégémoniser »...) couvrent des abandons droitiers. Le 29 mai ne suffit pas à dire que la réalité des rapports de forces GOUVERNEMENTAUX est inverse en France que dans ces pays.
Tu touches-là à la divergence substantielle qui oppose par exemple le PC à la LCR — et qui n’a rien d’un « prétexte ».
3. Contrairement à ce que tu dis, je crois qu’il y a toujours eu une ambiguïté concernant l’arc des forces « unitaires ». D’une part, je pense à l’évocation permanente du 29 mai (qui comprenait les fabiusiens) pour justifier l’objectif de la « gagne ». Et ensuite, je pense au discours démagogique sur la « gagne » lui-même — car nous savons tous que « gagner » électoralement n’était possible qu’avec le PS. Comme nous savons tous qu’il est bien trop tard pour voir le PS devenir une force radicale de contestation. Mais de toute façon, il y avait désaccord affirmé avec le PC (principale force du processus, et de loin) sur la question des rapports au PS (le « toute la gauche » du PC). On peut dire que la Ligue avait tort. Mais encore une fois (encore mille fois), on ne peut pas dire qu’il n’y avait pas désaccord !
4. Là encore, ton approche des processus unitaires me paraît bien abstraite. Nous parlions (et c’est tout le problème) d’une unité pour les législatives et la présidentielle. Dans ce processus-là, la question du gouvernement, des rapports politiques avec le PS et des blocs parlementaires (ou institutionnels : à la Marie de Paris, à la région...) devient clef — ce qui n’est pas le cas sur d’autres terrains. En ce sens, pour reprendre tes termes, « un pas en avant » ne vaut pas « mieux » s’il conduit un front fraîchement construit à voler en éclat à la première épreuve.
L’épreuve des faits devrait quand même avoir une certaine importance. Pour ouvrir une dynamique, la candidature unitaire devait avoir le profil radical de celle de Besancenot. Si nous avions pu faire une telle campagne avec un rassemblement de forces, oui, le résultat politique et électoral aurait été beaucoup plus bénéfique (on aurait quand même pas été au second tour !). Mais une candidature (réellement) unitaire « à la Bové » (sur un profil politique analogue, même avec un autre candidat) n’aurait probablement pas donné grand chose. Les résultats du PC et l’affaire Bové ne sont pas anecdotiques — ils sont TRES symptomatiques d’une paralysie historique de l’un et, de l’autre, des tentations à l’œuvre dans cette mouvance.
La question des conditions de l’unité est aussi importante que celle de sa désirabilité. Sur l’appréciation des conditions, on touche encore à des désaccords, pas des prétextes.
5. Pour les législatives, on est tributaire d’un double héritage. Celui de Jospin (encore merci !) qui fait qu’elles suivent d’un mois la présidentielle. La campagne des législatives prolonge celle de la présidentielle. Difficile de faire du neuf. Donc, deuxième héritage, celui de la présidentielle. Non seulement la campagne présidentielle n’a pas réduit les divergences, mais elles les a accentuées. Le sectarisme dément de la campagne Bové n’a pas contribué à l’unité ! Et dans le PC, j’ai l’impression que ce sont des courants identitaires qui sont loin de nous aimer qui sont à l’offensive. Par ailleurs, l’auto-division des soit disant « unitaires » a fait des ravages. Au sortir de la présidentielle, ni les comités Bové ni les collectifs unitaires n’ont de réalité nationale (et peu de réalité locale). On doit faire face à une campagne nationale et nous n’avons pas d’interlocuteurs nationaux : LO ne souhaite rien avec nous, le PC fait évidement cavalier seul (sur son association de financement), et que représente un Jacques Perreux (toujours directeur de campagne de Bové) [6] ?
Je ne sais pas s’il y a des exceptions locales réellement significatives. Mais le CONSTAT, c’est qu’il n’y a pas d’interlocuteur national pour une collaboration nationale aux législatives. Je ne m’en réjoui pas, je pense que ce n’est pas un cadeau d’être seul. Mais c’est quand pas la faute de la LCR si les autres se sont divisés au lieu de se construire comme ils l’avaient annoncé.
Alors, adieu l’unité ? Non.
Mais cela veut dire que l’on doit reprendre la question de l’unité et de l’« entrée sur le terrain politique » des cadres mouvementistes et syndicaux sur des bases différentes. J’en reviens à deux points mentionnés dans des mails précédents :
1. Le rassemblement d’une force politique de « transformation sociale » s’éprouve et s’enracine d’abord sur le terrains des luttes communes. Entrer en politique, ce n’est pas entrer en élection. Commencer l’unité par les élections fragilise considérablement le processus et rend très aléatoire son succès (du moins, s’il n’exprime pas une poussée sociale radicale pesant activement sur le processus — or précisément, en 2006, il n’y a pas eu un tel impact).
2. Le plus intéressant qui est apparu dans la campagne Besancenot, c’est l’affirmation politique d’une génération. C’est la clé. Or, nos organisations ne sont pas préparées à l’accueillir — même la LCR qui est pourtant la seule à être entré en résonance avec elle à l’occasion de la présidentielle. Le « milieu » des collectifs comprend des jeunes, mais c’est montré totalement étranger à ce processus-là. Une ignorance réciproque. On a un immense problème de construction devant nous. Sans réponses évidentes.
Pierre-à-Pierre
L’évaluation des rapports de force et la question des possibilités gouvernementales
Pierre Khalfa – le 11 mai 2007, 14h04
Tout d’abord, je tiens à te rappeler que je n’ai pas participé à la campagne Bové et je ne sais pas s’il y a eu des textes de bilan. Tu peux de renseigner auprès de celles et ceux qui en étaient partie prenante. Sur le fond, notre désaccord porte sur le fait que tu penses, en fait, qu’il n’était pas possible, après la dynamique du TCE, de constituer une force (je prend ce mot volontairement parce qu’il a un sens assez vague) politique capable de rivaliser avec le PS et de rééquilibrer la gauche en faveur des anti-libéraux. Je pense exactement le contraire. Pour moi, il était possible de s’engager dans une dynamique unitaire qui aurait pesé plus de 15 % des suffrages, affirmant ainsi sa vocation à être majoritaire à gauche. Evidemment ça ne s’est pas passé, mais ce fait n’infirme pas ma position sauf à mettre en œuvre une prophétie autoréalisatrice du type « j’analyse que cela n’est pas possible, j’agis de telle sorte que cela n’ait pas lieu, cela n’a pas lieu, j’ai donc eu raison de dire que c’était impossible ».
Au-delà, comme je te l’ai déjà écris, la participation au gouvernement est une question de rapport de force. Donc pas question d’y aller si on est minoritaire. Par contre le refus par principe d’aller au gouvernement n’est pas acceptable. Or c’est à quoi revient la position de la Ligue quand elle dit qu’elle n’ira au gouvernement que pour appliquer son programme, ce qui d’ailleurs signifie qu’elle ne peut même pas y aller avec d’autres forces anti-libérales ! Il est à craindre que la Ligue ait oublié quelques bonnes leçons du programme de transition qui, je te le rappelle, était pour Trotsky un programme de gouvernement avec les réformistes. C’est cette démarche qu’il faut reprendre aujourd’hui : construire un rapport de forces politique (et donc électoral) avec les sociaux-libéraux ; définir des points de rupture (pas tout le programme) décisifs avec le néolibéralisme et indiquer que l’on est prêt à gouverner sur cette base avec le PS. Soit le PS refuse (c’est le plus probable) et il en porte la responsabilité et donc le paie politiquement, soit il accepte et alors on forme un gouvernement sur ces bases. Voilà ce qu’il aurait fallu faire, mais évidemment cela supposait une candidature unitaire qui permette de créer une réelle dynamique et pas l’éclatement groupusculaire auquel on a assisté.
Tu dis que pour ouvrir cette dynamique, la candidature unitaire devait avoir le même profil radical que celle de Besancenot. mais en quoi le discours de Bové et même de Buffet n’était pas radicaux ? Le contenu de ce qu’ils défendaient était quasiment identique. Besancenot a fait un meilleur score pour deux raisons. La première, c’est qu’il passe bien médiatiquement, et c’est tout sauf négligeable, avec une expression claire et un profil « jeune ». La seconde, c’est qu’il a capté la frange la plus radicalisée de l’électorat anti-libéral, qui refusait le vote utile, pour qui l’essentiel était d’exprimer un vote de refus. C’est très bien, mais largement insuffisant.
Sur tes deux derniers points.
1) Le problème n’est pas les luttes. Nous menons des luttes communes depuis des années. Le problème est justement comment passer des luttes menées ensemble à un processus électoral.
2) Il semble que des jeunes engagées dans la campagne, il y en a eu ailleurs que chez Besancenot, à commencer par Bové dont les meetings étaient pleins avec beaucoup de jeunes.
PK [Pierre Khalfa]
Pierre Rousset – 11 mai, 17h24
A PK,
Brèves (pas si brèves que ça, après coup) remarques sur tes dernières remarques.
1. J’ai compris que tu n’avais pas participé à la campagne Bové. Mais n’est-ce pas intéressant que celles et ceux qui l’on fait soient si muets ? (Salesse vient certes de faire une tribune dans Libé, mais il a opportunément oublié qu’il était l’un des principaux porte-parole de José Bové — et l’un des plus sectaires : il ne pipe pas un mot de cette campagne !) [7]. Si, par hasard, tu tombes sur des textes d’info et de réflexion sur cette expérience, fais-les moi quand même suivre...
2. Il est évidemment toujours difficile d’évaluer une histoire qui n’a pas eu lieu — à supposer qu’elle pouvait avoir lieu. Le chiffre de plus de 15% en 2007 était cependant extrêmement ambitieux. Ainsi que de devenir, toujours en 2007, majoritaire à gauche... c’est-à-dire normalement d’arriver au second tour de la présidentielle (et après ?). Car dans l’hypothèse d’une telle dynamique, on peut espérer que cela aurait considérablement réduit l’espace de Bayrou et de Le Pen. Ce n’est pas (seulement) par ironie que j’ajoute le « et après », mais pour souligner le niveau de l’ambition. C’est vrai que la LCR n’y a pas cru, à obtenir plus de 15% et à devenir majoritaire à gauche. Mais quand même, si cette dynamique avait été inscrite dans la réalité (potentielle), elle se serait exprimée d’une façon ou d’une autre : depuis l’élargissement réel — qualitatif — des collectifs jusqu’à des résultats électoraux plus convaincants (en sus d’Olivier). Je ne pense pas que la seule LCR avait les moyens d’interdire (afin de « ne pas avoir tort ») une telle dynamique. Reste le PCF. Et on touche à l’un des nœuds du problèmes.
Avec l’engagement complet du PCF, le processus que tu décris était aléatoire mais peut-être concevable. Sans cet engagement et dans les délais impartis, il était totalement inconcevable. C’était peut-être la principale clé du problème. Or, je n’arrive toujours pas à comprendre comment on pouvait croire que le PCF pouvait s’engager ainsi. Il est en crise profonde, mais ce n’est pas une crise dynamique, donnant naissance à une force radicale. Plus cela va, et plus il est institutionnellement dépendant du PS (il quémande aujourd’hui des circonscriptions au PS, car il se retrouve presque dans la même situation électorale que les Verts de ce point de vue : à de rares exceptions près, il ne peut plus accéder au second tour des législatives sur ses propres forces). Les courants dominants en son sein sont ou très réformistes ou (et) très identitaires/sectaires. La politique que tu lui (nous) souhaites lui est profondément étrangère... Et il reste en même temps, et de très loin, la principale force organisée à la gauche du PS. En dehors d’une montée de luttes sociales bien plus importante que ce qui s’est passé, la LCR ne faisait pas le poids face au PC — et elle ne pouvait rien lui imposer.
Disons (ce que je dis dans mon texte sur le Bovéthon) qu’à l’été 2005, il restait un certain nombre de points d’interrogation sur la dynamique politico-sociale en France, après le 29 mai. On a eu une première réponse à ces questions dès l’automne. Ce n’était pas une réponse positive, et le CPE n’a pas suffi à modifier en ce domaine la donne (il n’a d’ailleurs pas impacté les collectifs). Je ne reviens pas plus avant sur ce que j’ai écrit par ailleurs.
L’aréopage dirigeant du collectif national (hors PC) était aussi une clé de l’affaire (bien que secondaire). A mon sens son bilan est très inquiétant. Par delà le (véritable) problème des egos et des micros appareils, il y a des traits anti-démocratiques illustrés par le bovéthon et le succès de ce coup d’Etat Internet. Je renvoie là encore à mon texte. C’est un véritable talon d’Achille dans la gauche de la gauche qui est apparu (ce que je n’avais pas vu avant, c’est l’un des domaines où j’ai le plus « bougé » à l’expérience du processus des collectifs). Je suis réellement alarmé.
Je n’ai pas personnellement suivi la situation en France du printemps 2005 et ses suites. J’ai raccroché le wagon tardivement. Mais déjà en 2006 et plus clairement encore rétrospectivement, il m’apparaît clair que le type de dynamique que tu évoques ne correspondait ni aux rapports de forces fondamentaux ni aux principales forces politiques en théorie concernées (gauche du PS et PC avant toutes autres).
Bien sûr, on aurait pu mieux faire. Je ne pense pas que la LCR porte la responsabilité (pour l’essentiel) de ce que ce « mieux » n’ai pas eu lieu. S’il avait eu lieu, il aurait permis de faire un pas dans la construction des unités dont nous avons besoin, et aurait aussi permis d’avoir un impact plus important dans la présidentielle. Mais pas de battre le PS.
3. La question du gouvernement (dans une dynamique de transition) « à la Trotsky » ne se pose pas en France aujourd’hui vu les rapports de forces. Ce qui se pose en revanche concrètement comme question, vu les rapports de forces, c’est la destruction des forces de la gauche radicale dans des expérience de gouvernement sociaux-libéraux/libéraux-sociaux. On peut donner plusieurs exemples du second cas de figure en d’autres pays. Aucun exemple de celui que tu évoques.
On parle bien de la séquence 2005-2007. Je n’arrive tout simplement pas à comprendre comment tu peux envisager une situation où nous discutions de gouvernement avec le PS dans les conditions que tu présentes : soit le PS refuse notre proposition et il paie au prix fort son ancrage social-libéral, soit il accepte la constitution d’un gouvernement avec nous sur la base de points de rupture décisif avec le néolibéralisme. J’ai l’impression que l’on ne parle ni de la même situation ni du même PS (ni du même PC). Je ne discute pas les principes ou la théorie. Je ne vois pas comment on peut croire que tout cela pouvait s’incarner en 2005-2007. Là, je suis en panne de discussion. Il doit y avoir quelque chose qui m’échappe.
4. Dans mon précédent mail (ou celui d’avant), j’ai précisément soulevé la question : même quand Besancenot, Buffet et Bové partaient de la même exigence, la « dynamique » de la campagne n’était pas la même : radicale, statique, lobbyiste. C’est précisément ce qui est intéressant et cela, ce n’est pas avant tout une affaire de qualité du « casting » (qui compte) mais d’orientation travaillée (collectivement) et assumée. Qu’il faille ambitionner de capter plus que l’électorat Besancenot, certes. Mais si l’objectif est bien de construire une alternative radicale à gauche, c’est bien à partir de cette dynamique-ci qu’il faut le faire. Pas en faisant du Bové sans moustaches et plus jeune ou du Buffet plus énergique. C’est parce qu’elles étaient différentes que les campagnes ont donné des résultats différents. Et c’est à partir du succès que l’on peut réfléchir comment aller plus loin, beaucoup moins à partir des échecs.
5. J’enfonce le clou. Le problème n’est pas (d’abord) de « passer à un processus électoral ». Le problème est comment passer à un processus politique, ce qui n’est pas la même chose. Il faut déjà avoir les reins politiquement et organisationnellement solides pour entrer dans le processus électoral de façon « active », massive ; sans se diviser, sans se faire neutraliser ou sans se faire coopter. L’expérience en ce domaine est parlante. On vient d’ailleurs d’en avoir une nouvelle illustration. Il faut discuter de la nouvelle force comme d’une force militante, pas COMMENCER par la mettre au cœur des alliances électorales et des institutions.
5. Bien sûr qu’il y a eu des jeunes dans la campagnes Bové (et Buffet et Voynet). Mais l’encadrement de ces campagnes était terriblement vieux. Et il n’y a pas eu la même « rencontre » qui s’est notamment conclue sur le vote. Je trouve la mouvance type des collectifs et (surtout) de leur « direction » excessivement vieille. Je crois qu’il y a une coupure de génération qui nous touchent tous, mais que le renouvellement de cadres est plus avancé dans le LCR (et pourtant !). Ce qui explique probablement pourquoi la campagne Besancenot à pu être collectivement pensée « plus jeune » que les autres (même dans la façon de prendre la défense des vieux — merci aux jeunes !). Cela ne résout pas pour autant les difficultés d’organisation de la nouvelle génération. Mais c’est mieux que rien.
Voilà, voilà,
Pierre
Pierre Khalfa – le 12 mai 2007
Quelques mots de réponse à ta réponse car, je pense que l’on arrive au fond du désaccord.
1) Tu as en partie raison sur le PC. Je partage ton analyse. Mais là aussi pas de prophétie autoréalisatrice. Ce n’est pas parce que le PC a, en définitive, fait ce qu’il a fait, que cela était inscrit au départ. Je pense que tu sous-estimes le rôle de la campagne TCE et la dynamique extraordinaire qui a existé dans cette période. Je comprends que tu ne la voies pas parce que tu n’étais pas là. Une anecdote : c’est la première fois de ma vie que je vois, dans une campagne unitaire, des gens de la Ligue et d’Attac coller des affiches du PC et inversement, et cela pas seulement à un seul endroit ! On pouvait penser justement que, sur cette dynamique qui avait vu un travail en commun de plusieurs mois, les choses évolueraient. Et d’ailleurs elles ont évolué puisque suite à cela il y a eu « un programme commun », les 125 propositions et avant cela la charte issue du collectif du 29 mai.
2) C’est dans ce cadre qu’il faut juger l’attitude la Ligue. Que tu le veuilles ou pas, elle a été perçue comme refusant toute candidature unitaire cherchant à tout prix à cliver au lieu de construire des convergences. Je ne reviens pas sur la question du gouvernement. Le texte des collectifs sur la stratégie posait ce problème de façon correcte et il n’y avait aucune ambiguïté sur le refus de reproduire la gauche plurielle, ni d’aller au gouvernement en situation minoritaire. La LCR l’a refusé. Tout ce qui l’intéressait était de présenter Besancenot. Ce faisant évidemment elle a augmenté considérablement les marges de manœuvres du PC qui a vu là l’occasion de faire porter le mistigri de la division à la LCR. Là où le PC s’est trompé, c’est qu’il a cru que les principaux animateurs des collectifs allaient s’aligner sur lui. S’il a cru cela, c’est parce que la bataille politique contre lui, notamment sur le fait que la candidature unitaire ne pouvait pas être issue du PC, n’a effectivement pas été menée. Il y a eu effectivement une illusion sur le fait que la direction du PC avait changé et donc qu’il fallait les aider, accepter de ne pas mener bataille...
3) Reste la question essentielle, celle des rapports de forces. Je pense que c’est là que nous divergeons totalement. Je ne vais pas répéter ce que j’ai écrit dans mon texte ou dans nos échanges, mais je pense qu’il y avait un espace politique considérable pour la gauche anti-libérale, ce qu’ont montré les résultats de 2002 et ce que montrent aussi ceux de 2007, puisque le cumul des voix n’est absolument pas dérisoire, malgré l’éclatement et le vote utile. La séquence 2005-2007 confirme ce fait : victoire au TCE, victoire au CPE. L’existence d’un tel espace s’explique par le tournant anti-libéral du milieu des années 90, le refus des solutions néolibérales dans la société qui permet que de forts mouvements sociaux puissent avoir lieu et surtout soient soutenus par l’opinion publique. Dire cela, ne veut pas dire que cet espace est ouvert à tout jamais. Il peut se refermer. On verra ce qui va se passer avec l’élection de Sarkozy qui peut effectivement marquer un tournant. Mais ce qui est sûr, c’est que de toute façon une occasion historique a été gâchée. Qui sont les responsables de ce gâchis ? Evidemment on peut gloser sur l’aller-retour de Bové, les egos des uns et des autres... mais fondamentalement le problème était ailleurs, dans l’attitude des forces organisées qui ont saboté ce processus.
4) Tu nies le fait de pouvoir engager d’emblée un processus électoral sans construire avant une nouvelle force militante. Je ne partages pas ton point de vue. Une chose est de dire qu’il faut vérifier dans les luttes un accord politique, ce qui a été fait en permanence, et qu’il faut se mettre d’accord sur le contenu politique et la stratégie, autre chose est de mettre comme préalable l’existence d’une force politique pour entrer dans un processus électoral. Autant dire que tu proposes à tout le monde de rejoindre la Ligue !
5) Tu parles de l’encadrement « terriblement vieux » de la campagne Bové, ce qui par ailleurs n’est pas totalement exact, mais je ne pense pas que la direction de la Ligue soit composée de jeunes de 20 ans !
Pierre [Khalfa]
Pierre Rousset – le 13 mai 2007
Sur tes dernières remarques.
1. C’est vrai que de ne pas avoir vécut directement la dynamique de la campagne du « Non » m’interdit de discuter « de l’intérieur » comment certains possibles ont été alors perçus. Du coup, je reste très prudent sur ce qu’il était le plus approprié de faire au lendemain du 29 mai 2005. En fait, je n’essaye pas de combler cette lacune — à d’autres de le faire. Mais je n’en ai pas moins reconnu la force de l’expérience, et c’est pourquoi j’ai mis longtemps à construire une critique du processus des collectifs tel qu’il a été conduit. Parce que je savais, même de loin, les aspirations qu’il cristallisait. Mais je ne vois pas comment on pouvait espérer transformer dans la foulée le PC — vieux parti, puissant appareil, dépendance vis-à-vis des élus, bilan critique de son histoire jamais tirée et collectivisée, etc., — mais restant beaucoup plus puissant que toutes les autres composantes du processus (une fois les socialos rentrés au bercail). Au vu de ce que sont devenus le PS et le PC, je crains qu’il ne s’agisse plus pour nous d’aider à « recomposer » une gauche vraiment à gauche, mais à la reconstruire.
2. D’autres rapports de forces globaux auraient peut-être permis de peser sur la crise du PC au point qu’il ne soit pas un obstacle (sans espérer qu’il devienne un moteur). Comme tu dis, c’est la « question essentielle » qui ressort au bout de nos échanges. Je pense que tu présentes une lecture beaucoup trop unilatérale de l’évolution de la situation depuis le milieux des années 90. On peut faire une liste des avancées : développement du mouvement altermondialiste, renaissance d’une conscience critique collective et d’une critique « systémique » du capitalisme, succession de luttes sociales et jeunes parfois très importantes ponctuées de quelques (rares) victoires... Mais tu connais aussi bien (et même mieux, en syndicaliste) le revers de la médaille : absence de continuité des luttes, pas de renforcement qualitatif des organisations (au-delà, du moins, de certaines percées comme la naissance d’Attac), graves défaites sociales avec ou sans combats, etc . [8]. La situation n’est pas totalement défensive — il y a eu (l’altermondialisme en témoigne) des aspects contre-offensifs. Mais comme tu le dis par ailleurs, les rapports de forces fondamentaux n’ont pas été inversés et l’offensive néolibérale se poursuit.
En ce qui concerne la séquence 2005-2007, ce qui me paraît très révélateur, c’est qu’il n’y a pas eu de dialectique directe entre le processus des collectifs et les luttes — soit par l’absence de luttes sociales amples (automne 2005), soit par déconnection (générationnelle ?) : le CPE en 2006. Dans ces conditions, je ne vois pas comment un investissement différent de la LCR aurait pu interdire au PC de poursuivre sa politique (vu les rapports de forces entre ces deux organisations). La LCR aurait peut-être pu se faire mieux entendre et comprendre, mieux préserver des jalons pour l’avenir — mais ce n’étais pas facile vu que son analyse plus sobre des possibilités heurtait les aspiration (légitime) des membres des collectifs et s’opposait à ce que je pense toujours être de la démagogie sur la « gagne » de bons nombres de membres du collectif national.
3. Parmi les facteurs qui permettent de comprendre la complexité de la situation, j’en noterais ici deux. D’un côté, les classes dominantes n’ont pas réussi à assurer une légitimité durable à leurs politiques ; c’est un véritable talon d’Achille pour l’ordre dominant. De l’autre côté (le nôtre), il n’y a pas d’avancées organisationnelles qui correspondent à la croissance des luttes (c’est une grande différence avec ce qui se passait dans les années 1960-1970). C’est notre talon d’Achille, car cela interdit d’assurer la continuité des expériences, de collectiviser leurs leçons et de réfléchir sur le « neuf », de stabiliser les rapports de forces à un niveau supérieur, de mieux articuler les différents champs de luttes, etc.
Plus grave, cette importance donné à l’organisation permanente est dénoncé par beaucoup comme un archaïsme. Plus grave encore, ce discours anti-organisations (cela va au-delà d’un discours anti-partis) entre en résonance directe avec l’idéologie dominante actuelle et cela lui donne une très grande force. On comprend très bien pourquoi il y a des réactions « anti-partis » et la nécessité de refonder des rapports différents (égalitaires, démocratiques) entre partis, syndicats et mouvements. Mais le bovéthon était l’anti-thèse de la démocratie militante. Or, il est toujours présenté dans les bilans des collectifs comme une reconquête citoyenne de la politique [9]. C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas renoncer à une bataille systématique sur ce front-là sous prétexte que la responsabilité essentielle reviendrait (par définition) aux partis existants. Voir, encore une fois, mon texte sur le bovéthon.
4. Je n’exclus pas la possibilité d’engager un processus unitaire d’emblée sur le plan électoral, mais je pense que c’est la voie la plus aléatoire. Mes cinq ans d’expérience au Parlement européen m’ont fait vivre de l’intérieur la force des mécanismes de neutralisation et de cooptation dans ce type d’institutions (ainsi, certes, que les possibilités d’actions qu’elles offrent !). Franchement, aller directement à l’élection en espérant réellement être élu SANS avoir les reins politiques et organisationnels solides, je crains que c’est aller au casse-pipe. Si possible (était-ce possible fin 2005 ?), il vaut mieux consolider d’abord les convergences unitaires sur les terrain politique des luttes. Et sélectionner des candidats à l’enracinement populaire et non pas institutionnel (mairie de Paris, conseil constitutionnel, assemblée, régions...). Bové n’était rien de tout cela, et pourtant...
Je ne vois pas en quoi soulever ce type de questions (aussi vielles que le mouvement ouvrier) signifie « proposer à tout le monde de rejoindre la Ligue ». Tu m’opposes toujours une logique binaire : où c’est l’unité telle que tu la décris, ou c’est la LCR qui prétend se construire seule. Ce n’est pas l’alternative dans laquelle je me situe. Je répète seulement et obstinément que « entrer en politique » (notamment pour des cadres du mouvement social) ne DOIT PAS être identifié à « entrer en élection ».
5. Ne crois pas les articles de Sylvia Zappi sur les « vieux » (en l’occurrence Sabado) dont les jeunes (en l’occurrence Besancenot) ne seraient que l’ombre. Certes, les « vieux » pèsent encore à la LCR et leur rôle est loin d’être devenu négligeable. La relève de génération est incomplète et le creux des 40-50 ans se fait toujours douloureusement sentir. Mais les 25-40 ans jouent maintenant un rôle très actif dans la Ligue. Je dirais même insolent.
Pierre, épuisé
Pierre Khalfa, le 15 mai 2007
Je voudrais te répondre sur un point non abordé dans les échanges précédents, concernant les partis politiques (sur le reste on a fait le tour). Tu dénonces, à juste titre, le discours anti-partis primaire de certains. Tu as raison. Mais pourquoi ce type de discours existe-il ? Outre le fait que l’attitude du PC et de la LCR confirme le fait que les organisations ont tendance à faire passer leurs intérêts de boutique avant l’intérêt général – et cela ne vaut pas seulement pour les partis -, il faut s’interroger sur le fond idéologique commun à leur attitude. Pour moi, il s’agit de la persistance d’une culture avant-gardiste qui ne voit dans les mouvements sociaux que des compagnons de route devant s’aligner sur la « ligne du parti ». Tu dénonces les collectifs comme de la « démocratie d’opinion » alors même qu’il s’agissait de dépasser les partis, sans nier leur rôle, en créant des structures où pouvaient se retrouver membres des partis ou pas. Ce que tu appelles de façon méprisante le « bovéthon », c’était tout simplement la volonté militante de ne pas se plier aux diktats de partis qui ne voyait que leurs intérêts propres au détriment de tout le reste.
Eléments de mise en perspective
Il a été proposé aux deux auteurs d’écrire un post-scriptum au débat plus « prospectif » : non pas sur les positions de l’autre (déjà débattues), mais sur les siennes. Ce n’est donc pas une conclusion à l’échange ci-dessus, mais plutôt l’annonce de réflexions à venir. Pierre Khalfa n’a pas eu le temps de répondre à cette invitation. Mais ce n’est que partie remise…
Pierre Rousset
Dans ce « post-scriptum » au débat avec Pierre Khalfa, je voudrais revenir sur quelques éléments aidant à « cadrer » le problème qui nous est aujourd’hui posé dans la construction d’une force politique radicale. En essayant de lier le bilan des deux dernières années aux interrogations sur que faire demain. Le débat reste aujourd’hui largement tourné vers le passé-présent. Il ne faut pas opposer ce regard rétrospectif à la nécessité de réfléchir l’avenir : la séquence 2005-2007 sera un point de référence dans la prochaine période. Il vaut beaucoup mieux que cette référence soit explicitée et assumée dans la clarté par les acteurs politiques et sociaux concernés, plutôt que de ne rester qu’implicite. Sans tenter d’être exhaustif, je cherche donc ici à mieux expliciter certaines « clés » de ma propre démarche. Soit quatre points :
1. Nous sommes victimes de nos succès. Tentons d’éclairer le débat sur la période, entre « optimistes » et « pessimistes », en notant que nous sommes, aujourd’hui, victimes de nos succès sur divers terrains. L’altermondialisme a connu un développement étonnant et enthousiasmant en quelques années. L’extrême gauche, en France, a atteint les 10% à la présidentielle de 2002. Le « non » au projet de Constitution européenne l’a emporté en 2005 — alors que le « non de gauche » était politiquement hégémonique —. La jeunesse a enterré le CPE en 2006… Mais, du fait même de ces succès, nous nous sommes retrouvés confrontés à des responsabilités auxquelles nous ne pouvions pas répondre rapidement : c’était tout simplement au-dessus de nos forces.
Le forum social européen est le cadre au sein duquel s’est affirmée la nécessité d’opposer aux politiques de l’Union européenne des revendications articulées, un programme et une alternative commune aux mouvements sociaux du sous-continent. Cela souligne le dynamisme de ce processus — mais il s’agit d’une tâche que le mouvement ouvrier n’a pas accomplie ces quarante dernières années ! Il nous est très difficile de franchir rapidement un tel palier. De même, l’extrême gauche politique en France (qui au total comprend moins de 10.000 membres organisés) ne pouvait pas stabiliser son audience électorale à 10%, en particulier après le traumatisme du 21 juin 2002 (arrivée de Le Pen au second tour de la présidentielle). Malgré les aspirations unitaires, les convergences opérées contre la Constitution européenne ne pouvaient pas d’emblée se reproduire au même niveau sur le terrain électoral. Une victoire sur le CPE ne pouvait pas compenser instantanément de lourdes défaites, comme sur les retraites ou la sécu.
Faute de pouvoir répondre rapidement aux exigences nées de la situation et de nos succès, nous piétinons — ce qui est un facteur de crise. C’est en quelque sorte une crise de croissance. Il vaut certes mieux vivre une crise de croissance que d’effondrement. Mais la crise n’en est pas moins dangereuse parce que durable : même dans le meilleur des cas, les solutions prendront du temps [10]. D’autant plus que les rapports de forces globaux restent défensifs malgré l’existence d’éléments de contre-offensive. Il faut en avoir conscience et c’est l’une des raisons pour lesquelles le débat rétrospectif sur les « possibles » est important pour « cadrer » les tâches à venir.
2. « Recomposer » et « reconstruire ». La notion de « recomposition » implique que l’on peut, dans une large mesure, construire le neuf en combinant des éléments du « vieux » . Ma génération (aujourd’hui 60 ans) a hérité de la précédente l’idée que des « pans entiers » du mouvement ouvrier traditionnel pouvaient être gagnés à la construction d’une nouvelle force révolutionnaire (en l’occurrence des « pans entiers » du PS et du PC). Ce schéma ne s’est pas réalisé, devenant obsolète, et nous l’avons progressivement abandonné il y a déjà longtemps. Un autre schéma ne s’est pas non plus réalisé : celui qui a donné naissance au PT brésilien, l’extrême gauche politique et des milliers de cadres du mouvement syndical œuvrant ensemble à la création d’un nouveau parti fortement enraciné. Vu l’état du syndicalisme en France, sa mise en œuvre apparaît pour le moins aléatoire.
Il ne s’agit pas d’opposer simplement le « neuf » à « l’ancien ». Le « neuf » est toujours (?) le produit d’une recomposition et d’une reconstruction. Mais disons que les schémas d’hier se fondaient avant tout sur la recomposition et qu’aujourd’hui il nous faut penser (tester) beaucoup plus la reconstruction. Problème d’autant plus compliqué qu’il concerne le mouvement ouvrier dans son ensemble et pas seulement le renforcement d’une force politique de gauche radicale.
3. La rupture de génération. Il nous faut probablement accumuler plus d’expérience pour tenter de théoriser de nouveaux « schémas » (usuellement trop restrictifs). Si bien des leçons du passé restent valables (et même essentielles), il y a aussi un changement radical de période entre les précédentes grandes expérience de construction (les années 60-70) et aujourd’hui (avec, en charnière, la naissance de « nouveaux » mouvements dans les années 1990). La mondialisation néolibérale aidant, la bourgeoisie tente d’imposer un nouveau mode productif et un nouveau mode de domination (expérimenté précocement dans des pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne). Cela provoque d’importantes modifications dans l’organisation du salariat. Après le creux militant des années 1980-1995, la jeune génération politique n’a plus du tout les mêmes références historiques et idéologiques (programmatiques) que celle des années 60-70.
Le développement de l’altermondialisme a représenté une nouvelle « expérience historique » au sein de laquelle la jeune génération a commencé à construire, à l’échelle internationale, une perception collective de la critique du capitalisme (c’est aussi l’un des lieux où la rencontre des générations d’hier et de demain a pu se produire). C’est un apport considérable. Mais cette « expérience historique » commune ne suffit pas en elle-même à aborder les nouvelles tâches de construction. Notamment parce que, malgré son dynamisme, elle répond insuffisamment à la question du pouvoir et de l’organisation.
L’accumulation d’expériences qui permettent de penser le « neuf » n’est pas achevée. Non seulement il n’y a pas de raccourci organisationnel à la construction d’une alternative politique, mais il n’y a probablement pas non plus de raccourci intellectuel permettant de clarifier rapidement les données stratégiques de demain. Mon hypothèse, c’est que nous devons faire preuve, dans une telle situation, « d’empirisme conscient » (pour reprendre une formule que nous avions inventée dans les années 1980). L’empirisme permettant de percevoir le « neuf » que la conscience (adossée à la théorie) aide à interpréter. Le passage d’une génération à l’autre n’est pas réussi d’avance ! Le risque est de rester aveugle au « neuf ». Mais le danger est aussi de perdre toute boussole à force de combattre « l’ancien ». Le risque et les dangers sont d’autant plus grands que la génération politique de l’altermondialisme a un talon d’Achille : l’organisation.
4. L’organisation, notre talon d’Achille. Il peut paraître paradoxal de voir une faiblesse en matière d’organisation dans un mouvement qui a fait preuve de tant de capacité d’action. Mais nous avons tous relevé une particularité de la période de radicalisation récente : les mobilisations ne se traduisent pas par une croissance correspondante des organisations (que ce soit les syndicats ou les partis). C’est une différence majeure d’avec la précédente période de radicalisation des années 1960-1970. Les exceptions (comme la naissance d’Attac) n’infirment pas la règle. Le mouvement syndical n’est pas resté immobile (formation de Solidaires, rebond de la FSU, réactivité de la Confédération paysanne…), mais il n’a pas pour autant surmonté sa faiblesse chronique. Tout cela pèse lourd dans les rapports de forces sociaux et dans notre capacité à réfléchir collectivement à ce que l’expérience contemporaine à de neuf.
Les rapports d’organisations du passé doivent être soumis à une critique acide, pour devenir plus démocratiques. C’est indispensable pour surmonter les défiances sur le rôle des partis (ou des syndicats) — et surtout pour tirer en ce domaine les leçons du siècle passé et refonder le projet de démocratie socialiste. Mais il n’y a pas aujourd’hui moins besoin d’organisation qu’hier. Des modalités d’action propre à la jeunesse ne sont pas transposables partout, sous peine d’abandonner à leur sort les plus démunis : les salariés soumis au harcèlement patronal, les femmes battues et les chômeurs de longue durée doivent être défendus au quotidien. C’est au quotidien aussi que le patronat mène la guerre de classe ; et que la résistance de classe s’affirme — et le quotidien exige continuité. Qu’entend-on par « alterorganisation » ? Mobilité, flexibilité et horizontalité ? Si tel est le cas, il serait important que les tenants de l’alterorganisation expliquent comment assurer, à partir de ces seules notions, la continuité de l’organisation.
Je ne pense pas que nous soyons condamnés à piétiner. Je pense qu’il est possible d’avancer dans la construction d’une nouvelle force politique radicale, anti-capitaliste. Mais en recherchant des angles neufs. Voici donc quatre thèmes, parmi d’autres, à partir desquels pourrait se discuter le lien entre le débat sur le bilan de la séquence 2005-2007 et celui sur les tâches des années à venir.