En cette aube fatidique du 18 décembre 2021, l’ennemi, composé d’un nombre extraordinairement élevé de policiers et de militaires, y compris les unités d’élite et mécanisées, a lancé une attaque meurtrière contre le camarade Tripon, qui se trouvait alors seul, dans un village éloigné quelque part à Kapatagan, Lanao del Norte, en violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu signé entre le gouvernement de la République des Philippines et le Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa - Mindanao (RPM-M) [Parti révolutionnaire des Travailleur.es – Mindanao].
Menant toujours une vie de guérillero, ce camarade aimable et paternel se déplaçait de village en village dans sa zone d’opérations, à des heures indues, pour échapper aux poursuites constantes, mais traitresses, de l’ennemi. À l’aube, le camarade Tripon avait déjà pu quitter la maison où il avait passé la nuit avant que l’ennemi, guidé par des traîtres et des personnes contrevenant à la politique du Parti, n’exécute le raid. Il naviguait dans l’obscurité à la limite de Cabongbongan de Sultan Naga Dimaporo et de Pulang Yuta de Kapatagan, tous deux à Lanao del Norte, avec son fidèle carabao [1] Lorsqu’une unité des forces de blocage de l’ennemi, qui se trouvait en position d’embuscade, l’a repéré. L’important volume de feu des fascistes s’est avéré écrasant, même pour le combattant résolu et vétéran qu’il était. Tripon a rendu son dernier souffle sans voir l’aube se lever. Ses presque 40 ans de service révolutionnaire ont pris fin.
Comme beaucoup d’autres guérilleros, le camarade Tripon était connu sous différents noms. Il était aussi très populaire sous le nom de « Jojo », et a pris le nom de « Zandro » dans les dernières années de sa vie clandestine. Comme tout bon cadre, il a été affecté à divers domaines de travail : dans les communautés de colons migrants [chrétiens originaires du nord et du centre de l’archipel philippin], dans les communautés moros et dans les communautés des peuples indigènes. Il a également servi le mouvement à divers titres et dans différentes circonstances : en tant qu’élément à temps plein de l’unité régulière, chef d’escouade, vice-commandant (CO) du peloton, CO du peloton, vice-commandant de la compagnie, CO de la compagnie, et en tant qu’officier politique du peloton, de la compagnie et des unités de partisans dans les zones urbaines. Il a également été membre du personnel du Front à Lanao, et est devenu membre du comité régional du parti. Il a également été un membre respecté du Commandement national des opérations (CNO) de l’Armée révolutionnaire des Peuples (Revolutionary Peoples’ Army, RPA).
Tripon a rejoint la lutte révolutionnaire à l’âge de 18 ans. Cependant, son éveil a commencé bien avant cela. Il a grandi dans un village reculé, typique, composé de petits agriculteurs et d’ouvriers agricoles. Très jeune, il a fait l’expérience directe de la dureté des combats quotidiens de la vie. Son village a fini par devenir une base de masse de la révolution, et c’est là qu’il a commencé à acquérir son éducation politique auprès des camarades plus âgés.
Il a finalement rejoint la branche armée de l’ancien parti maoïste [Parti communiste des Philippines – CPP] en tant que régulier. Pendant ses années de formation, il était considéré comme un camarade responsable et attentif aux politiques du parti. Sa nature discrète lui a valu de bonnes relations avec les communautés qu’il servait et avec les camarades des zones urbaines. Jusqu’à son décès, les camarades les plus anciens ne se souvenaient pas d’un cas où une plainte avait été déposée contre lui par la base de masse ou par des camarades.
Lorsqu’il est devenu un membre à part entière de l’unité armée régulière, il a développé une relation amoureuse avec une camarade de l’université d’une zone urbaine qui, plus tard, a rejoint à plein temps l’unité de guérilla de Lanao. Cependant, cette relation a été de courte durée et est devenue le premier test de l’engagement du camarade Tripon dans la révolution. Avec une autre camarade, la première partenaire de Tripon a été tuée dans une embuscade tendue par les troupes ennemies quelque part entre les limites des municipalités de Kapatagan et de Sultan Naga Dimaporo, toutes deux dans la province de Lanao del Norte. Bien que dévasté, Tripon a tenu ses engagements en tant que membre de l’unité armée. Il s’est battu et a considéré la mort de son partenaire comme une motivation supplémentaire pour poursuivre ses engagements révolutionnaires.
Lorsque l’État, sous le régime de Cory Aquino, a mis en œuvre le programme de conflit de faible intensité (LIC) contre l’insurrection, la stratégie de constriction graduelle mise en évidence dans son Oplan Lambat-Bitag (Operation Plan Net Trap) destiné à supprimer et à déraciner les guérillas. La mise en œuvre de cette stratégie impliquait la mobilisation et le déploiement massif de troupes ennemies composites de taille, au moins, d’une brigade. Tripon a été l’un des principaux protagonistes qui ont permis la mise en échec de ces opérations militaires massives de l’ennemi. L’ennemi a également déployé d’anciens guérilleros, qui s’étaient rendus, comme guides pour traquer les camarades. Les affrontements armés au cours de ces années ont été féroces et fréquents. Il est arrivé que les guérilleros et l’ennemi aient des affrontements armés jusqu’à trois (3) fois par jour. Pendant cette période, en dehors de ses tâches et engagements militaires actifs, Tripon a joué un rôle important en veillant à ce que l’engagement politique des camarades reste ferme et que leur moral soit bon. Il va sans dire qu’il a joué un rôle déterminant dans la mise en échec de l’OpLan de l’ennemi dans le deuxième district de Lanao del Norte.
Le camarade Tripon faisait partie des camarades de l’unité armée qui ont participé à la mise en œuvre de l’expansion planifiée de la base de masse dans les zones Bangsamoro de Lanao del Sur à la fin de l’année 1991. Il était l’un des chefs d’escouade d’une unité avancée de la taille d’une compagnie qui a été envoyée à Lanao del Sur pour établir un camp de base, qui a ensuite été appelé Camp Ariel [2]. Il a participé à l’organisation et à la consolidation des villages environnants du camp et a toujours été attentif et sensible à la culture et aux pratiques spécifiques de ces communautés moros. Pendant son séjour au Camp Ariel, il a aidé le Parti à régler de nombreuses querelles locales, appelées rido, entre clans moros.
Le courage de Tripon a également été mis à l’épreuve lors du Grand Débat de la Gauche philippine qui a éclaté au grand jour entre 1992 et 1994. En 1994, il a pris une part active à la formation de la structure du pré-Parti de la région centrale de Mindanao (CMR), le Parti communiste des Peuples (PCP). Alors que de nombreux camarades de tout le pays et de tous les secteurs d’activité ont été désillusionnés et découragés par le débat, Tripon était parmi ceux qui ont réfléchi de manière critique, étudié, écouté et finalement pris parti. Il a participé à la synthèse du Front A de la région (qui englobe le deuxième district de Lanao del Norte) qui, historiquement, a adopté la position Rejectionniste [Pour les « Réaffirmistes », il fallait « réaffirmer » la validité d’une orientation remontant à 1968, position « rejetée » par les « Rejectionnistes » qui demandaient l’ouverture d’un débat sur l’actualisation de l’orientation du parti. Le noyau central de la direction a refusé l’ouverture du débat, ce qui a conduit à une série de scissions.].
Après la synthèse, Tripon s’est employé à consolider les différentes unités et milices du Front vers la position du Rejet. Il faisait également partie des camarades qui étaient chargés d’assurer la protection des différents visiteurs du Camp Ariel venant de Luzon et des Visayas, ainsi que de l’international, pendant la période du débat et en vue de la formation d’un nouveau parti. C’est au Camp Ariel que s’est tenu le premier congrès fondateur du Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa ng Pilipinas (RPMP).
Avec son rôle croissant de dirigeant au sein de l’unité armée, le camarade Tripon a, à de nombreuses reprises, participé ou dirigé diverses actions militaires défensives et offensives contre l’ennemi. La plupart de ces actions militaires ont eu lieu au sein du Front A. Presque toutes les actions ont été si réussies qu’elles sont devenues le « sujet de conversation du Front » et ont suscité l’ire des personnalités despotiques locales et des militaires fascistes.
Lorsqu’un nouveau parti national a été formé, le commandant de la composante armée, Ka Ariel, le commandant général de l’unité armée régionale du parti, qui est devenu plus tard un martyr, a joué un rôle plus actif et plus mobile. Pendant ce temps, Ka Tripon est devenu le commandant de facto des unités armées dans les deux (2) provinces de Lanao. Dans l’une des histoires qu’il a racontées lors d’une pause pendant un cours de base du parti à la campagne, le camarade Tripon a rappelé qu’à l’époque où un nouveau parti national a été formé après la scission avec les maoïstes, ils ont envoyé des lance-roquettes [Rocket-propelled-grenade] (RPG) aux camarades des Visayas et de Luzon en échange d’une mitrailleuse M30 des Visayas.
Les activités militaires et politiques du camarade Tripon ne se sont pas limitées aux provinces et aux villes de Lanao. À la fin des années 1990, il a fait partie des camarades qui ont dirigé un contingent armé de la taille d’une compagnie qui a été envoyé dans une autre province par bateau (de la marine des peuples révolutionnaires locaux) pour répondre à une demande d’assistance des forces de défense ancestrales d’une tribu indigène. La mission a duré près d’un an, ce qui a impliqué une immersion dans la culture et les pratiques de la tribu, l’entraînement militaire de ses Forces de défense, et a culminé avec le démantèlement des groupes armés privés et des « commandos perdus » [« lost-commands »] qui sévissaient dans les différentes communautés de la tribu, et la consolidation conséquente du pouvoir militaire des Forces de défense dans leurs communautés et le renforcement de leur gouvernance traditionnel.
Parmi les tâches que Ka Tripon avait accomplies, il y avait celle d’organisateur de la RPA dans les communautés. Dans les zones où il effectuait des travaux d’organisation, il est devenu la personne vers laquelle les masses se tournaient. Les gens s’adressaient à lui pour obtenir de l’aide concernant divers problèmes, notamment les conflits agraires, les problèmes de paix et d’ordre locaux, et même les problèmes personnels et familiaux. Il est très courant de ne pas trouver de cas de vol, de vol à main armée, de vol de bétail, entre autres, dans les zones où les camarades de la guérilla se sont organisés. En fait, les autorités locales et la police étaient furieuses parce que les villageois allaient généralement chercher de l’aide auprès du camarade Tripon et des autres camarades. Cela en dit long sur la confiance des masses à leur égard, et sur l’efficacité et la pertinence de leur travail dans les communautés. La forte relation du camarade Tripon avec la communauté est la raison pour laquelle il a fallu à l’ennemi d’innombrables tentatives pendant des décennies pour le liquider.
Dans les dernières années de sa vie, il faisait partie des camarades vétérans du groupe d’instructeurs de l’Académie politico-militaire (PMA) de la RPA. Les sujets habituels qu’il traitait pendant la formation étaient la tactique militaire et la simulation d’affrontements armés et d’embuscades. Pendant les pauses et la nuit, le camarade Tripon partageait souvent ses expériences vivantes dans l’organisation et le combat militaires. Mais il n’était pas le genre de personne à submerger ses auditeurs. Malgré son expérience vaste et colorée, il écoute toujours ce que les autres avaient à dire, même les jeunes camarades en herbe.
L’histoire du camarade Tripon a déjà retrouvé une « nouvelle vie » dans les veines de multitudes de jeunes camarades. Son expérience dans le mouvement révolutionnaire armé a déjà façonné des centaines, voire des milliers de guérilleros qui lui ont succédé. Son service désintéressé aux différentes communautés restera à jamais dans la conscience et le cœur des masses qu’il a servies et avec lesquelles il a vécu. Sa vie a peut-être pris fin, mais elle n’a pas été tuée par la mort de son corps. Le Camarade Tripon vit toujours. Un bon camarade vit pour toujours. La révolution socialiste continue à vivre.
Tripon a laissé une femme et un jeune enfant, et des milliers de compagnons d’armes qui s’inspireront toujours de son exemple.
1er janvier 2022
Récit issu de la mémoire collective des camarades du RPM-M et de la RPA, mise en mots par Inteng Tarusan. Cet article ne prétend pas être un récit complet de la vie et de la lutte du camarade Tripon. Tant de choses restent à raconter, à écrire.