Une panoplie d’idéologies d’extrême-droite ratissant large et poussant à droite les Conservateurs
Les idéologies hétéroclites de cette extrême-droite, du libertarisme antiétatique au fondamentalisme chrétien patriarcal en passant par l’ésotérisme élitiste et surtout l’identitarisme anti-immigrant et raciste, permettent de ratisser large. Ce ratissage permet de fusionner les personnes mécontentes et frustrées sous la houlette de leaders dit charismatiques se disputant avec acharnement la première place. Dans tous les cas, « Il s’agit d’une vision du monde profondément inégalitaire, axée sur ‘’l’épuration des plus faibles’’, analyse [Martin Geoffroy, sociologue et directeur du CEFIR]. ‘’On a tout le discours eugéniste typique de l’extrême droite, là-dedans. C’est la loi du plus fort… ou de celui qui se pense le plus fort !’’ lance-t-il.[…] ‘’On dit : ‘les vieux, laissez-les mourir !’’’ (Alexi Ross, Complotisme : « Les mouvements d’extrême droite sont très bons pour récupérer les mécontentements », Pivot, 31/01/22 [1]).
Ce mouvement ne sort pas de nulle part. De la meurtrière « liberté » anti-climat à celle anti-sanitaire en réaction contre la gestion néolibérale de ces crises il n’y a qu’un pas. Il est franchi par les leaders de l’extrême-droite dont la base sociale sont les petits patrons mais qui prétextent une mensongère majorité populaire. S’y rajoutent la connivence policière et la frange politicienne conservatrice la plus à droite :
"Le « Convoi de la liberté » qui paralyse Ottawa depuis vendredi ne fait pas que ressembler au mouvement United We Roll [pro-pétrole et anti taxe carbone de 2019, NDLR] : il s’agit de sa continuation. Tamara Lich, qui a lancé la campagne de sociofinancement GoFundMe qui a maintenant accumulé plus de 10 millions de dollars, et Patrick King, le mobilisateur albertain et auteur de diatribes virales sur la supériorité raciale anglo-saxonne, sont deux des vétérans du mouvement des Gilets jaunes derrière le convoi actuel, toujours selon le Réseau canadien anti-haine. Comme en 2019, le Convoi de la liberté s’approprie une cause populaire et populiste pour susciter des appuis au-delà de ses propres réseaux. […]
On nous jure pourtant encore qu’il s’agit d’un mouvement de camionneurs, même si ceux-ci sont vaccinés à près de 90 %, même si l’Alliance canadienne du camionnage désavoue le convoi. […] En se prenant en photo le pouce en l’air avec les manifestants et en laissant libre cours au harcèlement des citoyens et des journalistes, les policiers d’Ottawa ont encouragé le mouvement, qui envisage désormais de bloquer les centres-villes de Toronto et de Québec [et jusqu’à Vancouver, NDLR] dans les prochains jours [ce qu’ils n’ont pas jusqu’ici réussi à faire, NDLR]. Et en répétant, sans le prouver, qu’il s’agissait d’un mouvement par et pour les camionneurs, les conservateurs ont aidé l’alt-right à récolter des millions de dollars qui iront certainement en partie à leurs futurs projets." (Emilie Nicolas, La grande (con)fusion, Le Devoir, 3/02/22)
« La mobilisation des camionneurs a servi de catalyseur pour précipiter la crise de direction du parti Conservateur du Canada, l’opposition officielle à Ottawa, amorcée par sa mauvaise performance lors des élections générales fédérales de 2021. Le chef Erin O’Toole a été contraint à la démission à la suite de ses tergiversations vis-à-vis sa rencontre d’une délégation de camionneurs-artisans loin de la colline parlementaire ce qui a mécontenté les deux ailes du parti. La fusion de 2003 entre le traditionnel, au nom contradictoire, parti Progressiste-Conservateur et l’Alliance canadienne de l’Ouest canadien n’a jamais unifié solidement le parti Conservateur déchiré entre les « Red Tories » et la droite dure. Immédiatement, le doctrinaire libertaire et bilingue Pierre Poilievre, porte-parole en matière de finances ayant clairement appuyé les camionneurs et donné favori, s’est porté candidat à la chefferie » (Radio-Canada, Pierre Poilievre se lance dans la course à la chefferie conservatrice, 5/02/22).
L’omicron tue les gens vulnérables mais non les gouvernements assassins
Ce mouvement réactionnaire remplit le vide de la gauche aux abonnés absents qui n’a jamais proposé une politique de (quasi-)covid-zéro comme la Nlle-Zélande qui cumule 10 décès covid par million le 4 février 2022 par rapport au 902 du Canada et au 1564 du Québec. Pourtant, la Nlle-Zélande est une économie néolibérale très ouverte mais qui a sévèrement contrôlé ses frontières. Son succès n’a rien à voir au fait qu’elle est une île comme le disent les nationalistes électoralistes qui cherchent toujours des excuses pour justifier la catastrophe québécoise. Ce pays n’est pas le seul à faire mieux que le Québec. La performance de la Nlle-Zélande se compare à celle de la Chine (3), à Taïwan (36), à la Corée du Sud (134), au Japon (152), en en étirant l’élastique à la Norvège (268) et à la Finlande (371). (Mal)heureusement, le Québec peut se comparer avantageusement aux ÉU, le cancre de la classe (2708) parmi les pays dominants et fait un peu mieux que l’UE (2158), les sous-cancres. Cette gestion pandémique meurtrière des cancres et sous-cancres, en laissant les variants proliférer faute de stratégie covid-zéro mondiale et de levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins, isole les Nlle-Zélande et consorts ce qui sans doute à terme les condamne à un difficile changement de cap.
Les centristes de droite et de gauche disent qu’il faut équilibrer économie et santé pour justifier les morts pandémiques sans compter ceux qui meurent prématurément d’autres causes à cause du débordement du système de santé et de l’épuisement de ses travailleuses et travailleurs. L’estimation des décès excédentaires de The Economist (The pandemic’s true death toll [2]) par rapport à la normale donne un cumul de 6000 à 10 000 décès par million pour le Canada, soit un total de 228 000 à 380 000 morts, contre un estimé négatif pour la Nlle-Zélande dû au ralentissement des activités sociales et aux mesures sanitaires. Pourtant les indices d’activité dit normale par rapport à la situation prépandémique calculés par The Economist (The global Normalcy index [3]) étaient légèrement supérieurs en Nouvelle-Zélande (et en Chine) par rapport au Canada. On voit mal l’émergence d’une réaction anti-mesures sanitaires dans un contexte de réussite de la politique sanitaire.
Ce graphique du New-York Times du deux février 2022 montre bien que l’omicron tue. C’est une pandémie qui tue spécialement les personnes âgées et immun-supprimées et, eh oui, les personnes non-vaccinées, qu’il faut toutefois distinguer de « no-vax » idéologiques. Rien à voir avec un banal rhume. Ce qui nécessite le maintien des mesures sanitaires dans un esprit covid-zéro.
Ne pas le faire est se rendre complice de meurtre. Les gouvernements du Canada et encore plus des ÉU et de l’UE sont des gouvernements assassins. Ils sont de plus en plus à la remorque de la droite extrême réclamant la « liberté » d’exploiter et d’opprimer auxquels aspirent les petits patrons (avec l’appui de leurs employées se sentant abandonnées). Cette classe dite moyenne est coincée entre le marteau des milliardaires que la pandémie enrichit plus que jamais (Denise Byrnes Directrice générale d’Oxfam-Québec et cinq autres signataires, Le variant milliardaire, La Presse, 17/01/22) et l’enclume de la politique pandémique yo-yo des gouvernements qui les appauvrit tout en les mettant à bout de nerfs.
La gauche, refusant la stratégie covid-zéro, abandonne le terrain à l’extrême-droite
De stratégie covid-zéro, il n’est point question chez les Solidaires (ni chez le NPD fédéral). De dire La Presse canadienne (QS et le PQ sont du même avis que Duhaime sur le confinement, Le Devoir, 1/02/22) « À l’instar du controversé Éric Duhaime [chef du parti Conservateur québécois d’extrême-droite en montée fulgurante dans les sondages, NDLR], le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS) estiment qu’il est anormal de subir un confinement encore aussi strict alors que si peu de patients suffisent à engorger le réseau de la santé. » Si QS se retrouve pris en souricière en si mauvaise compagnie c’est que devant la crise du système de santé, il est incapable de faire autre chose que de dénoncer les coupes passées tout en proposant des correctifs à la petite semaine dont certains vont à contre-sens comme des « tickets-restaurant » promus à la une de leur site web. Proposer un plan alternatif aurait créé un sentiment d’espoir et une avenue de mobilisation qui aurait été bénéfique sur la santé mentale de la population travailleuse attirée, par défaut, par l’appel à la « liberté » de l’extrême-droite.
Quel plan alternatif ? On peut/doit mettre à profit la pandémie pour commencer à effectuer la transition vers une économie pro-climat et non revenir à une économie basée sur la croissance du PIB. Tant que le système de santé est sur le bord de la rupture, et il l’est pour un bon bout de temps avec le rattrapage à faire une fois la pandémie maîtrisée en endémie, et que les morts s’accumulent on peut/doit fermer tous les productions et services non essentiels (et imposer 100% des profits extra dus à la pandémie de ceux et celles essentiels si ce n’est les exproprier) de sorte à recycler en permanence ou temporairement la main-d’œuvre devenue disponible vers les productions et services essentiels.
On pense d’abord à la santé publique : vaccination jusqu’à le faire maison par maison, traçage qui ne se fait plus, embauche dans les CHSLD, RPA, hôpitaux à partir des infirmières jusqu’à l’entretien et aux cuisines, soutien aux gens malades, gens mal pris et en détresse sous la supervision des CLSC et du communautaire, production de PPE dont des N95 pour tous les travailleuses essentielles. On pense aussi à l’école, y compris la réquisition de locaux libres afin de baisser la densité populationnelle des classes faute d’aération adéquate consciemment oubliée, aux CPE et, last not the least, à la construction de logements sociaux éco-efficients. Et même du côté essentiel, on peut/doit envisager la baisse de production de viande étant donné la contamination facile dans les abattoirs, quitte à la rationner, en autant que céréales, légumineuses, fruits et légumes, etc. soient disponibles.
Ce qui importe n’est pas de sauver l’économie c’est-à-dire les profits du patronat mais de sauver les vies humaines à court terme comme à long terme. Ainsi fonctionne une société humaniste incompatible avec le capitalisme. Déjà à Ottawa, Québec et à Vancouver, des pétitions et contre-manifestations, dont des travailleuses de la santé à Vancouver, ont commencé à s’organiser même si elles sont sporadiques et peu nombreuses. Mais les camionneurs de la « liberté » ne sont après tout que quelques milliers dont la puissance factice est proportionnelle à la grosseur de leurs camions et à leurs tonitruants klaxons.
Marc Bonhomme, 6 février 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca