Du 9 au 11 février 2022, Brest accueillera le One Ocean Summit, un sommet organisé à l’initiative du gouvernement français qui réunira chefs d’Etat, scientifiques, organisations non gouvernementales (ONG) et acteurs du monde économique afin de renforcer la coopération internationale pour la protection des océans.
Ces dernières décennies, les progrès en matière de conservation marine n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Alors que le changement climatique menace l’ensemble des écosystèmes, seulement 2,8 % de la surface de l’océan est à ce jour véritablement protégée des effets de la pêche. L’exploitation minière en eaux profondes semble imminente, la pêche industrielle continue d’être fortement subventionnée par les gouvernements et les plastiques sont devenus omniprésents dans les eaux du globe. Face à ces constats, en tant qu’ONG travaillant sur l’océan, nous attendons du One Ocean Summit des annonces politiques majeures qui permettront des avancées significatives pour la santé de l’océan mondial.
Préserver l’Antarctique
Nous souhaitons que les décideurs renforcent leur engagement pour un objectif mondial de protection d’au moins 30 % des habitats marins d’ici à 2030, avec un accent mis sur la « protection forte ». La science nous montre qu’une protection forte des écosystèmes, où toute activité préjudiciable à l’environnement est interdite, est le seul type de protection ayant systématiquement des bénéfices écologiques avérés, et donc des bénéfices humains essentiels à notre bien-être.
Nous attendons également que les chefs d’Etat réunis à Brest démontrent que la mise en œuvre de l’objectif de 30 % en 2030 commence dès à présent, en pleine concertation avec les usagers et les communautés locales, et avec les ressources financières adaptées. Nous espérons que le gouvernement français annoncera de nouvelles zones de protection forte, très attendues dans les terres australes, notamment dans les îles Saint-Paul et Amsterdam, ainsi qu’en Polynésie française. Nous attendons également que des projets de protection forte soient lancés dans les eaux de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée, où le retard français est criant.
Au niveau global, de 1 % à 2 % seulement des eaux internationales sont protégées, alors qu’elles représentent 64 % de l’océan mondial. Afin d’améliorer la gestion de ces eaux, aussi appelées « haute mer », les Nations unies se sont engagées à négocier un traité international, qui doit être finalisé lors d’une conférence organisée du 27 juin au 1er juillet. La France et les chefs d’Etat présents à Brest doivent exprimer leur soutien entier à la conclusion d’un traité fort, ambitieux et juridiquement contraignant pour les eaux internationales en 2022.
Par ailleurs, l’océan Austral, qui entoure l’Antarctique, nécessite une attention toute particulière en raison de la densité exceptionnelle de sa biodiversité. En 2011, la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique, chargée de la gestion de cette zone, a décidé à l’unanimité d’y créer un réseau d’aires marines protégées. Mais ces dernières années, cette décision a été entravée par les objections chinoises et russes à la création de nouvelles zones de protection, notamment dans les points chauds biologiques de l’Antarctique-Est, de la mer de Weddell et de la péninsule Antarctique. Pour sortir de cette impasse, le One Ocean Summit devrait adopter une décision politique pour relancer des consultations avec la Russie et la Chine, afin de maintenir le dialogue politique et la pression internationale.
Un des derniers espaces sauvages de notre planète
D’autre part, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) négocie actuellement la possibilité de lancer l’exploitation minière des eaux internationales. Nous souhaitons que le One Ocean Summit soutienne la demande de moratoire sur ce secteur naissant, adoptée lors du congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille [en septembre 2021]. L’exploitation devrait être interdite jusqu’à ce qu’il soit clairement démontré qu’elle ne nuira pas au milieu marin, n’entraînera pas de perte de biodiversité et n’aura pas de conséquence sur le stockage du carbone, et que les communautés potentiellement affectées soit informées et consentantes. Par ailleurs, l’AIFM doit être réformée pour assurer une gouvernance transparente et sans conflits d’intérêts. Les Etats devraient mettre en œuvre des politiques pour l’utilisation responsable des métaux afin de réduire la demande et d’éviter d’affecter l’un des derniers espaces sauvages de notre planète.
Enfin, la surpêche reste une menace majeure pour l’océan. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, un tiers des populations de poissons pêchées dans le monde est surexploité. La France se doit d’être exemplaire en matière de gestion durable des pêches, en plaidant pour des déclarations de captures plus précises et exactes dans le règlement de contrôle des pêches de l’Union européenne. Une telle précision est primordiale pour s’assurer de limites de captures durables et établies sur des bases scientifiques. Le One Ocean Summit est l’occasion pour la France de fédérer les pays autour de l’accord du Cap [signé en 2012] sur la sécurité des navires de pêche, un levier important pour lutter contre la pêche illégale ; à ce jour, il ne manque plus que la ratification de six Etats pour assurer son entrée en vigueur.
Ainsi, à travers le One Ocean Summit, les décideurs présents disposent d’une véritable opportunité politique pour accroître la prise en compte de la santé de l’océan dans les politiques internationales. Mais le temps n’est plus aux paroles et aux constats ; les solutions existent et il ne manque que la volonté politique pour les mettre en place.
Stephan Beaucher, délégué de l’ONG MedReAct en France ; Dona Bertarelli, coprésidente de la Fondation Bertarelli ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Claire Christian, directrice de l’Antarctic and Southern Ocean Coalition ; Bruno Dumontet, fondateur d’Expéditions MED ; Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France ; Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France ; Armelle Jung, chargée de projets scientifiques de l’association Des requins et des hommes ; Peggy Kalas, coordinatrice de la High Seas Alliance ; Matthieu Lapinski, président de l’association Ailerons ; Pascale Moehrle, directrice d’Oceana Europe ; Sian Owen, directrice de la Deep Sea Conservation Coalition ; Richard Page, directeur de Rise Up ; Jérôme Noël Petit, responsable France du Pew Bertarelli Ocean Legacy ; Geneviève Pons, coprésidente de Antarctica2020 ; François Sarano, fondateur de Longitude 181 ; Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement ; Steve Trent, directeur d’Environmental Justice Foundation ; Alexis Wargniez, président de l’Association pour l’étude et la conservation des sélaciens
Collectif