“Et si la gauche avait raté le coche à Québec ?” demande Pierre Mouterde, sociologue et essayiste, dans les colonnes du journal québécois Le Devoir. Un titre prenant le contre-pied des réactions très négatives au “convoi de la liberté”, qui bloque Ottawa depuis une dizaine de jours et aux rassemblements organisés dans d’autres villes du Canada les samedi 5 et dimanche 6 février pour protester contre les mesures vaccinales.
Si divers journaux ont souligné le rôle central de militants de l’alt-right dans la mobilisation des camionneurs contre la vaccination obligatoire, l’auteur du texte dit avoir vu autre chose samedi dernier à Québec, où un nouveau rassemblement est prévu dans dix jours.
J’étais a priori, tout comme beaucoup de citoyens de la ville de Québec, passablement indisposé par l’idée d’une manifestation de camions. […] Mais quelle ne fut pas ma surprise, cet après-midi-là, au-delà bien sûr des concerts assourdissants de klaxons et des ronronnements intempestifs des moteurs, de découvrir, tout près du Parlement [du Québec], des milliers de manifestants qui […] venaient simplement dire ‘qu’assez c’était assez’ et qu’il fallait en finir avec les mesures sanitaires.
Outre les chauffeurs et militants d’extrême droite étaient rassemblés “des jeunes, beaucoup de jeunes, des familles entières, des enfants, des gens d’âge mûr, des retraités, du monde ordinaire, comme on dit ici”.
“Exaspération sociale”
Dès lors, réduire cette manifestation “à des antivaccins ou à des fauteurs de troubles”, c’est selon lui risquer “de passer à côté de l’essentiel et de nous faire oublier cette question de base : pourquoi cette indéniable manifestation populaire d’exaspération sociale a-t-elle été lancée par la droite et n’a-t-elle pas été le fait de la gauche, elle qui s’est pourtant toujours fait fort de défendre les classes populaires contre l’arbitraire des puissants ?”.
S’il est favorable à une “vaccination massive”, le sociologue estime que “la façon dont ont été mises en place au Québec les mesures sanitaires fait partie de l’équation et a aussi à voir avec ce ras-le-bol populaire”. Il épingle en particulier le Premier ministre québécois, François Legault, qui “tout en se refusant à tirer leçon des compressions néolibérales à répétition passées dans la santé, n’a fait que réagir au coup par coup, dans l’improvisation, sans s’appuyer sur le personnel de première ligne (les infirmières) ou les acteurs du milieu, préférant les manières autoritaires, bureaucratiques et paternalistes”.
Et de conclure que la gauche ne devrait pas avoir peur “de se mettre au diapason des exaspérations et des peurs légitimes qui courent dans la société”.
Le Devoir
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