Premier Plan
Joséphine Simplon
À en croire les commentateurs de tout bords, le premier gouvernement du quinquennat de Nicolas Sarkozy serait un gouvernement inédit, un modèle « d’ouverture », mais aussi un gouvernement resserré - quinze ministres - et paritaire. Bref, un gouvernement prêt à l’action... Un peu de sérieux ! Certes, quelques têtes nouvelles font leur apparition, mais tous les postes clés sont détenus par des fidèles, des acteurs de premier plan de la campagne présidentielle et des poids lourds de la droite.
Les hommes et les femmes choisis ont un sens. François Fillon et Alain Juppé, numéros un et deux du gouvernement, ont en commun de s’être attaqué à la protection sociale et au droit à la retraite, en 1995 et en 2003, suscitant des grèves et des mouvements sociaux sans précédent. Dans la « nouvelle équipe », on retrouve aussi quatre ministres sortants du précédent gouvernement. Jean-Louis Borloo se retrouve à Bercy, alors que le ministère de l’Économie et des Finances a été coupé en deux. À lui l’emploi, la stratégie économique et les entre-prises. Et à Éric Woerth, trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy, les « comptes » : autrement dit, le budget de l’État, avec l’objectif annoncé par le nouveau ministre de « faire des économies » dans la fonction publique.
Avec ce découpage, on nous annonce clairement que les services publics, les fonctionnaires sont des coûts. Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé et ancien porte-parole de Sarkozy, arrive aux Affaires sociales, où il aura la charge des dossiers « chauds », comme les retraites, le service minimum et le contrat unique d’embauche. Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, devient ministre de l’Intérieur et Christine Lagarde, ancienne ministre du Commerce extérieur, devient ministre de l’Agriculture et de la Pêche : elle sera donc en première ligne pour les négociations à l’Organisation mondiale du commerce. Un signe est aussi donné à la droite traditionaliste, avec Christine Boutin et sa bible anti-Pacs et anti-IVG, qui hérite du ministère du Logement.
La nomination de Rachida Dati au ministère de la Justice est, sans aucun doute, l’un des atouts majeurs du nouveau gouvernement, en termes de symbole. Mais cela ne doit pas nous faire oublier qu’elle doit mettre en place les « peines planchers » et abaisser la « majorité pénale ». Tout un symbole, en effet ! Sarkozy en avait annoncé la création pendant la campagne, et c’est son ami le plus fidèle, Brice Hortefeux, qui est en charge du nouveau ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Cette initiative a, d’ores et déjà, provoqué la démission collective de huit universitaires des instances officielles de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration : ils considèrent que le rapprochement des deux termes s’inscrit « dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers ».
À l’annonce de la constitution du nouveau gouvernement, François Fillon s’est félicité bruyamment : selon lui, « tout le monde parlait d’ouverture depuis très longtemps, on l’a faite ». L’ouverture, ce serait avant tout Bernard Kouchner, membre du PS et nouveau ministre des Affaires étrangères ! Le « French Doctor » s’est souvent distingué par ses positions et était favorable, bien avant le premier tour de la présidentielle, à un rapprochement avec l’UDF. Il faut également se souvenir qu’il était favorable à une intervention française en Irak, ce qui le rapproche de l’atlantisme de Nicolas Sarkozy. Éric Besson, quant à lui, hérite d’un secrétariat d’État comme récompense de son départ bruyant de l’équipe de la candidate socialiste. On voit donc de quelle ouverture à gauche il s’agit, et cela ne doit pas nous étonner, vu la campagne menée par Ségolène Royal ces derniers mois. Quant à l’ouverture au centre, elle se résume à un seul nom : Hervé Morin, ministre de la Défense qui, pendant la précédente législature, vota les lois des gouvernements Raffarin et Villepin.
Au-delà de la poudre aux yeux médiatique, la dominante de ce nouveau gouvernement est que les postes clés sont tenus par une équi-pe dévouée corps et âmes à Sarkozy afin de mener une politique réactionnaire. La présidente du Medef, Laurence Parisot, ne s’y est pas trompée, en se réjouissant du nouveau gouvernement, qualifiant celui-ci « d’excellente nouvelle ». Ce ne sont pas les premiers actes tout en symbole - Guy Môquet, EADS, écologie... - qui nous endormiront : le gouvernement, actuellement en campagne, doit ronger son frein en attendant les législatives. Mais certains de ses membres sont d’ores et déjà au travail : le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, propose de hâter la suppression de la carte scolaire. Une chose est sûre : Sarkozy et Fillon veulent avoir les pleins pouvoirs pour réaliser leurs attaques antisociales dès cet été. L’heure est donc à la construction d’un front unitaire de résistance contre la politique de Sarkozy et à la construction d’une alternative anticapitaliste.
Tract de la LCR du 21/05/07
Le 10 juin, votons pour les 500 candidats de la LCR !
Nicolas Sarkozy vient de composer un gouvernement de choc. Il fait une grande opération de communication sur le thème de l’ouverture, mais les ministres choisis à commencer par les deux premiers, François Fillon et Alain Juppé ont en commun de s’être attaqué à la protection sociale et au droit à la retraite en 1995 et 2003. Ils ont suscité des grèves et des mouvements sociaux sans précédent. N’ayons aucun doute sur leur détermination à appliquer le programme antisocial de Sarkozy : cadeaux aux patrons sous la forme d’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, remise en cause du droit de grève avec le service minimum dans les transports, démolitions du code du travail avec le contrat unique visant à faciliter encore le licenciement, nouvelles attaques contre la sécurité sociale menaçant tant le droit à la santé que celui à la retraite, destruction de la fonction publique et nouvelles privatisations.
L’intitulé du « Ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale » annonce clairement la couleur : répression et fermeture des frontières, encore moins de régularisations et encore plus d’expulsions de familles et d’enfants sans-papiers. Et ce n’est pas la présence de Rachida Dati qui va empêcher les discriminations. Il y a aussi des personnalités qui ne trompent pas : l’ordre moral est au pouvoir avec, par exemple, Christine Boutin, ennemie acharnée du droit à l’avortement et du PACS, proche des milieux catholiques les plus réactionnaires.
La direction du PS pleurniche sur la « récupération » et le « débauchage ». Mais il faut être tombé bien bas pour regretter des individus comme Besson ou Kouchner ! Depuis le temps qu’il dérive vers la droite et soutient la politique étrangère des USA, Kouchner ne se renie pas vraiment en ralliant Sarkozy. Le plus surprenant est qu’il soit encore présenté comme caution de gauche !
Au-delà des personnes, ce que montre ce gouvernement c’est, plus encore que l’habileté de Sarkozy, la minceur de la différence entre les projet politiques libéraux de droite et ceux étiquetés de gauche. Non, Besson n’est pas plus à droite aujourd’hui que quand il soutenait Ségolène Royal. Le PS n’a pas été un outil efficace pour combattre la politique de Chirac et de son gouvernement pendant 5 ans, il n’a pas été un rempart contre l’élection de Sarkozy et ne sera pas plus utile pour résister à sa politique.
Il faut une vraie gauche de lutte
Pour résister à Sarkozy, il faut une politique vraiment à gauche, une politique qui impose le partage des richesses et qui remette en cause le pouvoir absolu des patrons et des actionnaires. Pour gagner plus, il faut le Smic à 1500 euros net et l’augmentation des salaires de 300 euros, pour lutter contre le chômage il faut interdire les licenciements et imposer le contrat stable pour tous, pour garantir le droit au logement il faut construire un million de logements dans le cadre d’un service public, pour mener une politique écologique, il faut arrêter l’EPR et sortir du nucléaire. Ces mesures d’urgences ont été défendues par Olivier Besancenot lors de l’élection présidentielle, elles sont aussi celles des 500 candidatures aux législatives soutenues par la LCR. Pour montrer que notre détermination et nos espoirs sont intacts votons le plus à gauche possible ! C’est un vote qui comptera pour l’avenir, pour encourager nos résistances face au gouvernement et au Medef.
TRANSFUGES DE GAUCHE
Convergences droite-Parti socialiste
Galia Trépère
Alors que Sarkozy et Fillon se félicitent d’avoir associé quelques personnalités de gauche à leur gouvernement, les dirigeants du PS crient à la trahison. Les transfuges ne sont pourtant que le produit, au-delà des appétits personnels de pouvoir, des convergences entre la droite et le PS.
En lançant la campagne des législatives, le nouveau Premier ministre de Sarkozy, François Fillon, s’est félicité d’un gouvernement ayant réalisé « l’ouverture comme aucun autre gouvernement ne l’a fait ». En revanche, « ce n’est pas une ouverture vers les socialistes que de débaucher individuellement un certain nombre de personnalités », s’est plaint Jospin. Et il faut reconnaître que l’opération de Sarkozy a connu un réel succès. Après le ralliement, au soir du premier tour de la présidentielle, d’Éric Besson, ex-secrétaire national à l’économie au PS, à l’équipe de campagne du candidat de l’UMP, on a vu se faufiler, dans les bureaux de Sarkozy, dès sa victoire connue, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, Claude Allègre, ancien ministre de l’Éducation, Anne Lauvergeon, ancienne collaboratrice de Mitterrand et actuelle présidente du trust Areva, Jean-Pierre Jouyet, un ami intime de Hollande ainsi que Bernard Kouchner - la plus grosse prise de Sarkozy -, plusieurs fois ministre dans des gouvernements socialistes, à la Santé et aux Affaires étrangères entre autres.
La passation de pouvoir entre Kouchner, désormais ministre des Affaires étrangères de Sarkozy, et Douste-Blazy a donné lieu à d’émouvantes scènes d’embrassades entre les deux hommes, qui ont rappelé comment ils s’étaient plusieurs fois succédé l’un à l’autre dans des gouvernements de cohabitation. Au début des années 1990, Kouchner avait mis son image de Médecins du monde au service des interventions militaires que l’impérialisme justifiait alors au nom de l’humanitaire, se faisant photographier un sac de riz sur les épaules, lors de l’expédition de l’ONU en Somalie. En juillet 1999, après la guerre dirigée par l’Otan contre l’ex-Yougoslavie, il fut nommé administrateur civil de l’ONU au Kosovo. En septembre 2002, il était l’un des plus fervents partisans de la guerre contre l’Irak.
Claude Allègre, cible des manifestations enseignantes lorsque, ministre de Jospin, il entreprenait de « dégraisser le mammouth » de l’Éducation nationale, a fait connaître sa disponibilité pour une mission sur l’université et la recherche. Besson est devenu secrétaire d’État à la Prospective, Jouyet, aux Affaires européennes. Il faut ajouter à ce palmarès Martin Hirsch, jusqu’ici président d’Emmaüs France qui, après avoir accusé pendant la campagne les deux candidats de ne pas se préoccuper assez sérieusement des « travailleurs pauvres », a été promu haut-commissaire aux Solidarités actives, un poste où il va s’occuper de faire en sorte que les pauvres ne puissent pas toucher le RMI sans travailler.
« Le temps de la lutte de classe est fini », croit pouvoir se vanter, fort de ces succès, François Fillon. La lutte de classe que Fillon rêve de voir disparaître n’est évidemment pas celle, permanente, que mènent les classes privilégiées contre le monde du travail, mais bien celle des exploités contre le système. Mais l’ancien ami de Chirac, rallié à Sarkozy, prend ses désirs pour la réalité. L’intégration de personnalités de gauche à son gouvernement ne signifie pas la fin de la contestation sociale et politique. Il n’y a de transfuges, au-delà de l’arrivisme des uns ou des autres, que parce que le PS a fini par tellement ressembler à la droite, après avoir mené pendant des années une politique sur le fond identique à la sienne, que passer de l’un à l’autre ne saurait constituer, aux yeux de l’opinion, un reniement.
Voilà le secret de la réussite et de la force de Sarkozy. Pour le combattre, il faut une gauche de lutte, militante, ouvrière, qui ne pourra se construire qu’en rupture avec cette gauche de capitulation.
SARKOZY ET LES SYNDICATS
À nous de préparer la riposte
Galia Trépère
En envoyant leurs représentants chez Sarkozy, les directions syndicales ont signifié au nouveau gouvernement et au patronat qu’elles étaient disposées à négocier des réformes qui ne peuvent être que de nouvelles attaques contre le monde du travail.
Sarkozy a eu beau annoncer clairement la couleur dans son programme et afficher, de manière provocante, son amitié avec le milliardaire Bolloré, les dirigeants syndicaux se sont précipités chez lui dès qu’il a été élu, sans même l’ombre d’une revendication. À l’issue de deux jours d’entretiens, les 14 et 15 mai, ils se sont même montrés rassurants, accréditant aux yeux de l’opinion l’image que Sarkozy s’était employé à donner pendant sa campagne en allant dans quelques usines serrer la main des « Français qui se lèvent tôt ».
« Nicolas Sarkozy a placé ces rencontres avec les partenaires sociaux sous le signe d’une volonté politique d’écoute. C’est au fur et à mesure des futurs actes gouvernementaux que nous pourrons apprécier la concrétisation de cette volonté politique », a déclaré le leader de la CGT, Bernard Thibault. « Il n’y aura pas de passage en force sur les dossiers sociaux. Il y aura un respect du dialogue social », s’est félicité Jean-Claude Mailly, pour FO, en ajoutant qu’il était disposé, comme le préconise d’ailleurs le Medef, à conclure des accords sur le « service minimum », en clair contre le droit de grève, entreprise par entreprise. Quant au dirigeant de la CFDT, François Chérèque, reçu le premier, sans doute au vu des services déjà rendus, il a célébré cette « première » que constituent de telles rencontres avec un président à peine élu.
Vidées de toute force par leur politique d’adaptation aux exigences du patronat, qui les a conduites à négocier recul sur recul avec le Medef ou les gouvernements à travers ce jeu de dupes qu’est le prétendu « dialogue social », les grandes centrales syndicales sont incapables d’avoir une quelconque fermeté. La présidente du Medef, Laurence Parisot, avec qui les syndicats sont en concertation pour participer à l’élaboration de différentes réformes que souhaite l’organisation patronale, n’a pas manqué de se réjouir de cette attitude, y voyant la possibilité de faire accepter en douceur l’entreprise en cours de démolition des droits sociaux.
Mais la volonté de soumettre n’est pas loin de la séduction. Le bras droit de Sarkozy à l’Élysée, Claude Guéant, l’a fait savoir : « Je vois mal que les syndicats puissent aller contre l’avis du peuple français », ajoutant qu’ils ne représentaient « que 8 % des salariés ». La soumission des dirigeants syndicaux, qui bradent les organisations ouvrières, ne reflète heureusement pas exactement la réalité du mouvement social, sans quoi il n’y aurait pas eu de luttes d’ampleur ces dernières années. Bien des militants, salariés, jeunes, savent qu’ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour mener la bataille d’opinion, constituer des équipes militantes, prendre des initiatives afin de préparer la riposte d’ensemble nécessaire.