Pendant longtemps Rikaarda Maa pensait que les peuples autochtones étaient impuissants à riposter lorsqu’une compagnie de palmiers à huile s’emparait de leurs forêts coutumières. Mais aujourd’hui, elle n’a plus peur de défendre sa terre ancestrale.
Rikaarda Maa, de son petit nom Rika, est une femme du peuple awyu, du village d’Ampera, dans le district de Boven Digoel, en Papouasie. Pour cette mère de famille à la tête de la contestation, ces spoliations sont une vieille histoire :
“Depuis 2011, de nombreuses compagnies sont entrées sur notre territoire.”
Ainsi, l’une de ces compagnies a obtenu en 2017 un permis pour l’exploitation d’une plantation de palmiers à huile sur une superficie de 39 190 hectares. Depuis trois ans, elle tente de forcer le peuple awyu à libérer les terres de sa concession. En vain.
Menaces et intimidations
Rika est déterminée. Pas question d’abandonner ses droits coutumiers, même si elle est souvent la cible de menaces et d’intimidations de la part de certains membres de sa propre communauté qui sont appâtés par la compensation de 10 millions de roupies [613 euros] que leur fait miroiter la compagnie.
Rika a compris qu’elle ne pouvait pas se battre seule. En 2018, elle a dressé une cartographie des autres mamas papoues prêtes, comme elle, à défendre leurs forêts coutumières. Elle a commencé par rédiger une pétition contre la compagnie d’huile de palme qui voulait annexer les terres de sa communauté, puis a recueilli les signatures d’autres femmes.
Selon Rika, il était pratiquement impossible d’inviter des hommes dans leurs rangs. Elle l’explique :
“Les ‘mamas’ réfléchissent plus sur le long terme que les hommes qui, eux, se laissent facilement tourner la tête par 100 000 roupies [6,10 euros] et un paquet de cigarettes.”
Rika est confrontée au fait que les femmes papoues n’ont pas le droit de participer aux délibérations et aux décisions concernant les terres coutumières. Un domaine réservé aux hommes.
Droits coutumiers
Pourtant, les femmes assurent les fonctions nourricières du foyer et, partant, l’avenir du clan. Mais rien n’arrête cette institutrice à l’école catholique Santa Theresia Kali Win. Elle défend les forêts de son peuple avec son groupe de prière. Bien que comptant seulement dix femmes, il est devenu le moteur de la résistance.
Les mamas ne se contentent pas d’organiser des prières régulières. Elles rédigent des panneaux pour faire valoir leurs droits conformément à la Constitution indonésienne. “L’article MK no 35/PUU-X/2012 stipule que les forêts coutumières sont des forêts situées sur le territoire coutumier d’un peuple autochtone, et non plus des forêts d’État.”
Elles ont également planté des croix des deux côtés de la route nationale, du village d’Ampera jusqu’au district de Fofi, ainsi que les emblèmes du droit coutumier de leur peuple. Moyen de rappeler que la déforestation est un tabou, un interdit absolu.
La forêt, une “mama”
Toujours en 2018, Veronika Manimbu, autre femme papoue, appartenant au peuple mpur, a prononcé un discours devant le ministère de l’Environnement et des forêts à Jakarta. Face à une foule de manifestants dont les terres ont été accaparées par les sociétés d’huile de palme, Veronika n’a pas hésité à lancer :
“Il n’y a pas de terre papoue vacante.”
Veronika incarne vraiment le dicton de son peuple, “la forêt est une mama”. Pour elle, la forêt est une “entité vivante” garantissant la vie et l’avenir de tous les membres de la communauté de la vallée de Kebar.
Januaryus Sedik, autre mama du peuple mpur qui se bat activement auprès de Veronika, dit que les femmes autochtones sont “les piliers des peuples autochtones pour la défense de leurs droits”. Elle ajoute :
“Là où nous vivons, dans la région de la tête d’oiseau [ainsi appelée car elle ressemble sur la carte de Papouasie à la tête d’un oiseau de paradis, symbole féminin], les femmes sont tenues en haute estime, si bien qu’il n’est pas rare que ce soit elles qui dominent les mouvements de contestation.”
Propriété foncière patriarcale
Rasella Malinda, chercheuse de l’association Pusaka Bentala Rakyat, accompagne les mamas de Boven Digoel dans leur lutte. Elle explique le faible pouvoir des femmes dans la structure foncière papoue. Elles ne sont titulaires que de l’usufruit. C’est pourtant elles qui ont la relation la plus intime avec la forêt :
“Quand les hommes bradent leurs droits forestiers aux compagnies, les femmes perdent l’accès à la forêt.”
Elles n’ont alors plus comme choix que de travailler comme ouvrières, de faire des petits boulots au jour le jour pour pouvoir nourrir leur famille.
Rasella entend souvent les termes employés par les femmes autochtones de Boven Digoel pour parler de la forêt. Ainsi, Valentina Wanopka, une des forces motrices du village de Subur contre l’expansion des plantations de palmiers à huile, compare la forêt à une pharmacie :
“Dans la forêt, nous avons beaucoup de médicaments gratuits et d’une grande variété.”
Mama Valen – le petit nom de Valentina – fait pression sur les autorités locales et provinciales, notamment avec Lidia, autre mama. Toutes deux ont ainsi obtenu des audiences au Parlement régional et avec les maires, et pu cartographier les zones forestières coutumières. En outre, elles barrent l’accès à leurs terres avec des croix et les emblèmes de leur peuple, et vont même jusqu’à imposer des amendes pour toute personne qui y entre sans autorisation.
Force collective
La secrétaire générale de l’Alliance des peuples autochtones de l’archipel, Rukka Sombolinggi, considère que les représentantes des militantes de Papouasie, telles que Rikaarda, Valentina et Veronika, constituent une direction collective du mouvement.
“En surface, on ne voit qu’une personne, mais derrière se cache une structure solide, qui ne cesse de se consolider.”
Selon elle, il reste à ces femmes à développer des efforts considérables pour s’emparer de l’espace public. De sorte que leurs voix soient entendues à égalité avec celles des hommes papous, traditionnellement propriétaires des droits fonciers.
Dina Pramita
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