Voilà plus d’un an maintenant que le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed,, a envoyé ses troupes, accompagnées de contingents alliés venus de l’Érythrée voisine, pour destituer les autorités locales issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Depuis novembre 2020, des milliers voire des centaines de milliers de personnes auraient trouvé la mort.
La sale guerre
Ce conflit sanglant, une “guerre très sale” de l’aveu même d’un général éthiopien, est marqué dans les deux camps par d’épouvantables atrocités visant très largement les populations civiles.
Les viols collectifs seraient monnaie courante,, et d’innombrables massacres, qui dans certains cas ont fait plusieurs centaines de morts civils, ont été rapportés. Ce nettoyage ethnique auquel se livrent les forces éthiopiennes et érythréennes a fait aussi plus de 2,2 millions de personnes déplacées.
Des mois durant, la guerre a fait rage à huis clos, sans qu’il soit possible de vérifier les exactions dont filtraient de terribles récits : l’accès au Tigré était interdit à la presse comme à l’aide humanitaire.
Enhardi par ce black-out, Abiy Ahmed est allé jusqu’à déclarer au Parlement éthiopien que pour la prise de Mekele, la capitale du Tigré, l’armée n’avait fait aucune victime civile.
Mais il n’a pas fallu longtemps pour que les preuves s’accumulent, et des enquêtes menées par des médias étrangers ont levé le voile sur la brutalité de ce conflit, également à l’origine d’une famine qui touche des millions de personnes. Aujourd’hui les combats continuent, et des frappes aériennes, de drones notamment, s’abattent régulièrement sur des zones où vivent des civils. La guerre s’est désormais étendue au-delà des frontières du Tigré pour toucher les régions voisines de l’Afar et de l’Amhara.
Une enquête forcément biaisée
Les accusations se sont multipliées, au point de déclencher une condamnation générale de l’Éthiopie et des appels à la transparence. Ainsi mis sous pression, le gouvernement d’Ahmed a cédé : une équipe d’experts de l’Organisation des Nations unies (ONU) serait autorisée à enquêter sur les possibles atrocités commises au Tigré, mais à condition qu’elle le fasse en collaboration avec une agence d’État, la Commission éthiopienne des droits de l’homme (CEDH).
Au terme de travaux de terrain entamés en mars 2021, l’équipe ONU-CEDH a publié son rapport final en novembre dernier, qui conclut que tous les belligérants se sont rendus coupables d’atrocités.. Fort opportunément, ce rapport répartit équitablement les responsabilités, alors même que, selon de très nombreux travaux journalistiques, l’essentiel des exactions commises depuis le début du conflit sont le fait de soldats érythréens.
Pour ses détracteurs, les auteurs de cette enquête officielle ont minimisé de possibles crimes de guerre des soldats éthiopiens et érythréens.
D’autres déplorent que leur champ d’investigation n’ait pas été élargi : le rapport fournit en effet très peu de données sur les crimes commis dans les zones de l’Amhara actuellement occupées par les forces du TPLF.
Mais pour ceux qui ont survécu aux massacres au Tigré, cette enquête ne pouvait être impartiale. Au Tigré, tout le monde ou presque était farouchement opposé à ce que la CEDH enquête sur les atrocités commises dans la région.
“On ne peut pas espérer de la CEDH qu’elle se penche sur les crimes de ceux qui la financent”, résume Gebre, dont le nom a été changé pour des raisons de sécurité. “Je n’ai aucune confiance en eux, et je n’attends rien de vrai de leur part”, nous dit cet homme depuis Mekele, la capitale régionale.
Des images atroces
Gebre fait partie des dizaines de personnes qui ont fui Mahbere Dego, une ville du centre du Tigré qui a été le théâtre d’un des massacres les mieux connus de cette guerre. Il témoigne longuement de ce qu’il a vu et vécu dans cette partie rurale de la région.
En janvier 2021, “des soldats éthiopiens ont débarqué dans la ville et kidnappé tous les hommes et jeunes garçons qu’ils ont pu y trouver, raconte-t-il. Aucun de ceux qu’ils ont emmenés n’avait livré le moindre combat. Ils n’ont même pas pu trouver d’armes dans les maisons quand ils ont fait leurs fouilles. Nous n’avions aucune idée de ce qu’étaient devenus les hommes enlevés, jusqu’à cette vidéo.”
Gebre fait référence à des images filmées par un téléphone portable, qui ont commencé à circuler sur Internet au début de mars, soit deux mois après les enlèvements. On y voit des soldats éthiopiens en uniforme s’exprimant en amharique, la langue véhiculaire de l’Éthiopie, abattre ces prisonniers au fusil automatique, avant de jeter leurs corps du haut d’une falaise.
Ces images terribles, filmées par les soldats eux-mêmes, montrent ces derniers riant et discutant tranquillement quelques minutes à peine avant le massacre, à quelques mètres de leurs futures victimes. Des extraits de la vidéo sont devenus viraux et ont été repris par des chaînes de télévision locales : c’est ainsi que le Tigré, où beaucoup n’ont pas accès à Internet, a appris la tuerie.
Des analyses approfondies menées par la BBC, CNN et d’autres médias ont permis d’attester l’authenticité des images, et d’affirmer que ces crimes avaient bien été commis par des membres de l’armée éthiopienne.
Des images satellite montrant un convoi de véhicules militaires non loin du lieu de l’exécution sont venues renforcer ces conclusions. Au moment des faits, seules les troupes éthiopiennes ou leurs alliés érythréens possédaient ce type de véhicules.
Un rapport et des impasses
Malgré l’ample couverture médiatique de cette tragédie, l’enquête menée conjointement par l’ONU et la CEDH ne s’est pas penchée sur le massacre de Mahbere Dego, qui n’est pas même cité dans son rapport final de 156 pages. Rapport qui fait l’impasse sur bien d’autres crimes pourtant solidement attestés.
Ainsi cette équipe mixte ne s’est-elle pas rendue dans la ville d’Aksoum où, à la fin de novembre 2020, des soldats érythréens ont tué des centaines d’hommes, jeunes et moins jeunes, qui n’étaient pas armés, souvent en les sortant de force de leur maison pour les abattre dans la rue.
Et l’enquête conjointe est aussi accusée de minimiser les événements sur lesquels elle s’est penchée, notamment un massacre commis par des soldats éthiopiens le 8 janvier 2021 à Bora, dans le sud du Tigré. Le Los Angeles Times a estimé que 160 hommes et jeunes garçons avaient été tués, quand le rapport ONU-CEDH donne un bilan estimatif de 70 morts.
“Les méthodes de travail des enquêteurs ont été limitées par la volonté d’une des deux entités, en l’occurrence la CEDH, qui est à la solde de l’un des belligérants”, résume Mukesh Kapila, un ancien fonctionnaire onusien, professeur émérite en santé publique et affaires humanitaires à l’université de Manchester, en Angleterre. “L’équipe n’a fait preuve d’aucune transparence ni dans ses investigations ni dans sa collecte d’éléments de preuves. Cette enquête n’a été malheureusement qu’une mascarade qui, pour les victimes, a ajouté l’insulte à l’affront, et qui sonne comme un encouragement pour les agresseurs.”
Pour ajouter au discrédit, poursuit Mukesh Kapila, les conclusions du rapport ne sont recevables devant aucun tribunal international, puisque l’enquête n’a pas été directement validée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Collecte de témoignages
Jusqu’à l’interruption des communications téléphoniques au Tigré le 28 juin, j’ai travaillé à la collecte de témoignages pour tenter de comprendre les événements précis autour du massacre de Mahbere Dego.
Il s’agissait notamment de réunir les récits de témoins et de proches des victimes. D’autres entretiens prévus en juillet ont d’abord été remis à plus tard, puis repoussés sine die quand il s’est avéré que les services téléphoniques au Tigré n’étaient pas près d’être rétablis.
Tous les témoins disent la difficulté de leur deuil après avoir vu des images des derniers instants de leurs proches. Birikti, qui, après avoir vécu toute sa vie à Mahbere Dego, est aujourd’hui installée en Europe, raconte :
“Imaginez, vous voyez et revoyez sans cesse l’assassinat de membres de votre famille.”
Parmi les hommes visibles sur les vidéos d’exécutions, elle a reconnu deux proches.
Les railleries lancées par les soldats tirant dans le dos de leurs victimes ne cessent de résonner dans sa tête, raconte Birikti. “Pendant des jours, je n’ai pas pu travailler, manger, vivre normalement. Aujourd’hui encore, je suis brisée.”
Avant le massacre, Mahbere Dego, les collines et les villages alentour avaient été le théâtre de violents combats entre soldats éthiopiens et érythréens, d’une part, et troupes affiliées au TPLF, d’autre part.
Au mépris de l’avalanche d’articles de presse sortis après l’apparition des images des exécutions, l’armée éthiopienne a nié que les soldats filmés aient appartenu à ses rangs, accusant les Tigréens d’avoir employé des acteurs pour produire les vidéos.
“Ils ont utilisé des uniformes de l’armée éthiopienne qui nous ont été dérobés”, a assuré le général Mohammed Tessema, porte-parole de l’armée, lors d’une conférence de presse en avril 2021. “Il s’agissait de comédiens, et les hommes qui s’effondrent sur les images font semblant de tomber après des tirs qui visent à côté. Personne n’est mort. C’est une tentative de manipulation de la part de la communauté internationale.”
“Voir l’armée nier l’évidence m’a totalement abasourdi”, raconte Biniam, originaire, lui aussi, de Mahbere Dego, qui vit aujourd’hui au Canada. “J’ai perdu trois amis dans ce massacre, je ne m’en remets pas, ils étaient comme des frères. Le chagrin va durer. Je ne veux plus entendre parler de cette armée.”
Le récit de Birikti, qui repose sur les échanges qu’elle a eus avec des proches qui étaient sur place dans les jours qui ont suivi l’enlèvement des victimes, concorde avec celui de trois autres habitants. Celui de Gebre notamment, qui a échappé de justesse au massacre pour rejoindre Aksoum, qui pouvait encore être un refuge.
Gebre se trouvait ainsi à Mahbere Dego à la mi-janvier, raconte-t-il, quand un contingent de soldats éthiopiens est arrivé dans la ville. On entendait en permanence des explosions dans le lointain, mais les combats semblaient cantonnés aux montagnes, et les citadins ne prêtaient plus trop attention au bruit.
“Personne n’a fui avant que les militaires n’entrent dans la ville, se souvient Gebre. Des jeunes dans les faubourgs de la ville les ont vus venir, ils se sont mis à courir vers la ville pour prévenir la population, les soldats à leurs trousses.”
“J’en ai vu se faire poursuivre ainsi, et j’ai un vu un soldat tirer en l’air, continue Gebre. J’ai eu peur, j’ai couru me réfugier dans la maison de ma famille.”
Nombre de ceux qui tentaient de fuir ont été débusqués de leur cachette dans la ville et emmenés, d’autres ont été arrêtés chez eux. “Les soldats ont vu ma tante devant la porte, je pense que c’est pour ça qu’ils ne se sont pas arrêtés, raconte Gebre. S’ils avaient vu des hommes, ils auraient défoncé la porte pour venir me chercher.”
Les hommes ainsi arrêtés ont été passés à tabac puis emmenés en dehors de la ville ; on n’a ensuite plus eu de nouvelles d’eux. Les pires craintes de Gebre ont été confirmées deux mois plus tard, par les images atroces du massacre.
Comme d’autres témoins, il estime qu’une trentaine d’hommes et de jeunes garçons ont été enlevés à Mahbere Dego.
Parmi eux, deux proches de Birikti, Gebremedhin Gebretsadkan, un paysan et ouvrier de 34 ans, et son cousin de 18 ans Kiros Gebremedhin. La jeune femme assure qu’aucun des deux ne participait aux combats ; Kiros était étudiant et travaillait parfois avec son cousin pour une entreprise de fabrication de pavés et de briques.
Gebreselassie, originaire lui aussi de Mahbere Dego, a quitté la ville en février. C’est de Mekele qu’il nous raconte que des soldats éthiopiens sont allés chercher d’autres hommes dans les villages alentour pour les conduire auprès des autres prisonniers, près des falaises. En tout, les captifs étaient plus de 70, estime-t-il.
“Nous avons identifié bon nombre d’entre eux. Les soldats les ont amenés au bord d’une falaise aux abords de la ville, et ils ont bouclé la zone pour empêcher quiconque d’approcher.”
La falaise de l’horreur
L’endroit décrit par Gebreselassie correspond aux sites où l’on a vu les otages livrés à des interrogatoires, avant leur mort. Grâce à des outils de géolocalisation en open source, Bellingcat et d’autres médias d’investigation ont pu identifier précisément les deux endroits où ont été réalisées les vidéos, près de falaises, à moins de 2 kilomètres de Mahbere Dego. L’un d’eux est aussi celui où les images satellite ont montré le passage d’un convoi militaire, dans un village que Gebreselassie dit être celui d’Enda Malka.
Sur les premières images des vidéos, les hommes capturés sont encore vivants : devant leurs captifs assis et silencieux, les soldats éthiopiens rient, bavardent et évoquent même une précédente exécution.
Si certains des militaires se demandent à haute voix si leurs prisonniers sont des informateurs ou des espions à la solde des rebelles tigréens, rien dans leurs échanges ne peut laisser penser que les victimes ont été capturées lors de combats.
Des militaires – probablement des officiers, vu leur âge – commencent à interroger plusieurs prisonniers ; l’un d’eux échange aussi par radio.
“Allez, debout ! Venez ici !” crie ensuite l’un d’eux aux otages. Un prisonnier portant un jean et un sweat à capuche à carreaux rouges et noirs se lève et s’avance vers les officiers : c’est Gebremedhin, assure Birikti. Alors qu’il marche vers eux, les officiers se tournent vers un jeune homme frêle, en qui Birikti reconnaît Kiros. Assis devant les militaires, vêtu lui aussi d’un jean, et d’une chemise blanche déboutonnée, il répond d’une voix à peine audible, en amharique, “18” – on lui a sans doute demandé son âge.
Les officiers se concentrent sur lui et commencent à le fouiller, l’obligeant à retirer sa chemise. Ils ne trouvent rien. Mais alors que le jeune homme tourne brièvement le visage vers la caméra, les yeux plissés par le soleil, son sort semble tout à coup scellé : “Ceux-là, on ne les relâche pas”, déclare un soldat hors champ.
Visiblement satisfait, un officier fait signe à un autre jeune homme assis non loin de lui : selon nombre des témoins que j’ai pu interroger, il s’appelle Hadgu Mewcha, c’est un étudiant de 22 ans. Vêtu d’une chemise rayée et enveloppé dans un châle, il est fouillé à son tour. Selon Birikti, Hadgu et son frère aîné Mengesha, 35 ans, faisaient partie des hommes raflés à Mahbere Dego.
La détention des victimes, de l’avis général, n’a probablement pas été longue. Dans les autres vidéos, ces hommes gisent à terre, morts, ou on les voit poussés vers la falaise et abattus.
Des charognards rôdent, attirés par des restes humains
L’un des soldats, qui filme la scène, incite un de ses collègues à participer à l’exécution et en sermonne un autre qui aurait gaspillé trop de munitions. Visiblement enthousiasmé par le massacre, il confie, à un moment, la caméra à un autre pour participer directement et aller achever ceux qui ne sont pas encore morts.
“Comme vous le voyez, nous avons jonché le sol de cadavres de woyane”, commente-t-il alors que la caméra se braque sur deux corps ensanglantés. “Woyane” est un terme péjoratif désignant les partisans du TPLF.
Une fois l’exécution terminée, les images montrent les soldats tirant péniblement les corps pour les jeter du haut de la falaise, comme pour dissimuler leurs actes. L’un des militaires regrette tout haut de ne pas avoir apporté d’essence pour les brûler.
“Mais oui, ça aurait été génial, entend-on le cameraman répondre. On aurait fait ça [une crémation] à l’indienne !”
Des semaines durant, les soldats éthiopiens ont campé dans les faubourgs de Mahbere Dego, retranchés derrière leurs véhicules garés là, sans que personne n’ose approcher. Finalement, raconte Birikti, des femmes ne supportant plus d’être tenues dans l’ignorance y sont allées.
“Plusieurs mères de la ville ont tué du bétail et, accompagnées de quelques anciens, elles sont allées au camp militaire pour servir un grand repas aux soldats, raconte Birikti. Elles les ont suppliés de libérer les prisonniers, mais ils les ont renvoyées chez elles.”
Selon Gebreselassie, qui confirme ce récit, les soldats ont accepté la nourriture et tenté de tranquilliser les mères en leur assurant que leurs hommes étaient “au travail” et seraient bientôt de retour chez eux.
“Ils ont joué avec elles – imaginez-vous, des semaines durant, sans nouvelles de vos fils, de votre mari !”
Comme plusieurs témoignages concordants le racontent, les habitants de Mahbere Dego vont ensuite vivre l’horreur.
Au fil des jours et des semaines, un nombre exceptionnel de chats, chiens, hyènes et vautours se mettent à rôder aux abords de la ville, attirés par des restes de ce qui semble être des corps humains. La population commence à en tirer des conclusions.
Car la rumeur sur la présence des charognards se répand, poussant les habitants à accepter qu’ils ne reverront plus ces fils, ces maris, ces pères, ces frères.
Obstruction gouvernementale à toute enquête
Quand, en mars, les premières vidéos sur le massacre de Mahbere Dego commencent à circuler, les soldats stationnés sur la falaise quittent progressivement leur campement pour aller s’installer dans l’est de la ville, dans le lycée Sihul Michael.
Sur des images satellite du site de l’exécution réalisées le 7 avril, auxquelles nous avons eu accès, les véhicules militaires visibles sur des photos antérieures ne sont plus là.
Quand finalement ils peuvent se rendre sur les lieux de la tragédie, les habitants découvrent des ossements, ainsi que des vêtements et objets ayant appartenu aux victimes. Plus de 30 des victimes auraient été identifiées. Deux frères n’ont pu l’être, par leur famille, que grâce aux images.
Teklay Gebremedhin, un diacre âgé de 31 ans, a été reconnu en T-shirt vert olive, assis à l’arrière d’un important groupe de prisonniers, alors que des officiers commençaient à interroger et à fouiller plusieurs d’entre eux.
Dans la vidéo, son frère aîné Haile, 38 ans, professionnel de santé, ferait partie des corps qui ont été traînés après l’exécution, et des vêtements ont permis de l’identifier par la suite.
Selon la plupart des estimations, le massacre de la falaise aurait fait un peu moins de 80 morts. Mais à en croire les recensements effectués par des militants sur les réseaux sociaux, plus de 100 hommes auraient disparu. Samuel, un natif de Mahbere Dego qui se trouvait à Addis-Abeba quand nous avons échangé, avance que certains des disparus auraient pu être tués avant cette exécution de masse, dans le pilonnage des villages voisins par l’armée éthiopienne.
“Ils ont utilisé des armes lourdes contre ces hameaux et détruit des maisons, raconte Samuel. Mon cousin Woldetensae Kiflemariam est mort en tentant de fuir vers une forêt voisine avec sa femme et sa fille. Il avait à peine 48 ans.”
Pour ajouter à l’horreur, on peut voir dans des vidéos apparues en juin un officier éthiopien, qui a participé au massacre, déclamer fièrement à quelle unité il appartient. Cet homme, qui n’a pas encore été identifié, s’y présente sous le surnom de “Fafy” et dit appartenir à la 1re brigade de la 25e division de l’armée éthiopienne. Cette unité qui fait partie du commandement oriental de l’armée éthiopienne est basée dans la ville de Harar, à 515 kilomètres de la capitale, Addis-Abeba.
Dans quelle mesure ces faits avérés ont-ils pesé dans le rapport rendu par l’ONU et la CEDH ? Nul ne peut le dire. Dans un communiqué publié deux mois plus tôt, en avril, l’ambassade d’Éthiopie à Londres invitait les observateurs à attendre les conclusions de cette enquête conjointe. Pourtant, les images qui circulaient dès mars en disaient déjà beaucoup sur les événements survenus à Mahbere Dego. Les militaires qu’on y voit, officiers compris, savent qu’ils sont filmés et ne se soucient pas de pouvoir être reconnus. À qui s’interroge sur les raisons qui ont pu les pousser à filmer leurs propres atrocités, l’un d’eux clame sur des images que la vidéo sera un “souvenir”.
À la mi-décembre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution ordonnant des enquêtes complémentaires sur les crimes en Éthiopie, qui seront menées sans la participation de la CEDH. L’État éthiopien, qui s’oppose à cette résolution, a déclaré qu’il ne collaborerait pas avec les enquêteurs onusiens.
Zecharias Zelalem
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