En 1999, le groupe Valdunes, l’un des plus importants producteurs européens de roues et d’essieux pour le ferroviaire, rachetait les Forges de Fresnes, à Fresnes-sur-Escaut (Nord), où travaillaient alors 127 salariés. Il n’en reste aujourd’hui que 59. En huit ans, Valdunes est parvenu à ses fins : mettre la main sur un procédé de fabrication unique et breveté (le triangle de frein assemblé par sertissage), sans jamais réinvestir dans l’outil de travail des Forges, et réutiliser une partie des bénéfices réalisés aux Forges sur d’autres sites (en Roumanie notamment). Alors que les Forges réalisent encore 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, qu’elles distribuent des dividendes, les salariés, eux, y laissent leur peau à petit feu.
Aux Forges, les réglementations française et européenne en matière de santé et de sécurité sont totalement bafouées. Les forgerons sont exposés, au-delà de toute norme et sans aucune protection, à la chaleur, aux vibrations, au bruit assourdissant du pilon qui résonne jusque dans les rues avoisinantes ; ils respirent quotidiennement les émanations de fumées qui sont directement évacuées... dans l’atelier, alors qu’il suffirait d’installer des capteurs ; les toitures des ateliers sont dans un tel état de délabrement que des pans s’effondrent sur les postes de travail ; ils utilisent des bacs à trempe où on a pu relever des taux de légionelle 220 fois supérieurs à la normale. La direction savait, mais elle ne les en a pas informés. Le site est infesté d’amiante, ce que la direction refuse de reconnaître, tout en faisant disparaître en catimini les plaques d’amiante trop visibles ! Pour couronner le tout, le site est contaminé par du cyanure.
Ces conditions de travail inouïes ont été relevées dans les études menées par des cabinets d’experts indépendants et transmises au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en octobre 2005. Deux ans après, aucune des préconisations des experts n’a été mise en œuvre et les conditions de travail n’ont fait qu’empirer. En février dernier, ulcérés, les salariés ont entamé une grève pour les salaires et les conditions de travail. Face au mépris de la direction, ils ont fait valoir leur droit de retrait. Sanctionnés une première fois sur leur feuille de paie pour ces jours non travaillés (des retraits de 500 euros en moyenne pour des salaires de 1 100 euros), treize forgerons subissent aujourd’hui une seconde sanction : ils sont mis à pied une semaine durant. Refusant toujours de reconnaître tout danger sur le site, la direction invoque l’utilisation abusive du droit de retrait.
En réaction, le 14 mai, le comité d’entreprise, le CHSCT des Forges et leur organisation syndicale, l’USTM-CGT, rendaient publiques les deux études d’experts lors d’une conférence de presse. Parmi les élus et les candidats aux législatives qui avaient tous (excepté le FN) été invités, n’étaient présents que la LCR, LO et un attaché parlementaire d’Alain Bocquet pour représenter le PCF. L’UMP et le PS n’ont même pas pris la peine de se faire représenter. Lorsque les forgerons ont pris la parole, ils ont témoigné, la voix brisée, des visites médicales et de la peur de leurs familles.
Les pouvoirs publics, alertés, se réfugient derrière leur devoir de réserve en période électorale. La médecine du travail reste aux abonnés absents : « À la Cram [caisse régionale d’assurance maladie, NDLR], ils ont des experts mais c’est nous, les ouvriers, qui devons tirer la sonnette d’alarme », dénonce Éric Porquet, le délégué CGT de l’entreprise. Mais à Valenciennes, le président de l’Association de santé au travail (Astav), Daniel Cappelle, n’est autre que l’ancien directeur des Forges de Fresnes ! Les forgerons de Fresnes ne comptent pas en rester là. Ils vont, à présent, saisir les prud’hommes. Si la direction peut les mettre à pied, elle ne les a pas mis à genoux.