Des casques et des gilets pare-balles, mais aussi des missiles antichars, des systèmes de défense antiaériens. Avec les 450 millions d’euros débloqués par l’Union européenne, certains pays membres vont financer la résistance de Kiev face à l’invasion russe par l’envoi d’armes.
Cette décision historique de la part de Bruxelles, qui rompt avec la traditionnelle non-belligérance de l’UE, a été immédiatement saluée par la presse du Vieux Continent mais, au milieu des applaudissements, quelques voix discordantes ont commencé à s’élever. En particulier dans la presse de gauche italienne.
“Le pacifisme n’est pas négociable”
Si personne ne remet en question l’identité de la victime et celle de l’agresseur dans le conflit, certains se demandent si la solution “armée” est la seule envisageable. Pour ce journaliste du quotidien libéral de gauche Il Riformista, la réponse est non : “Le pacifisme n’est pas négociable”, écrit-il, ajoutant qu’il s’agit là d’“un principe qui n’existe que s’il est appliqué sans exceptions. La guerre juste n’existe pas, il s’agit toujours de la négation de la politique.”
Pour le camp des “opposants” à l’envoi d’armes, l’argument selon lequel Kiev ne peut opposer des fleurs aux fusils russes ne tient pas dans la mesure où l’envoi de matériel militaire aura pour seule conséquence d’aggraver le conflit, faisant encore plus de morts.
Pis, argumente l’historien de l’art Tomaso Montanari dans les colonnes de la revue progressiste Micromega, “prolonger et aggraver cette guerre pourrait jeter de l’huile sur le feu, et conduire, presque mécaniquement, sans qu’on ne s’en rende vraiment compte, à une apocalypse nucléaire”. Prendre ce risque, c’est faire preuve de “cynisme” selon l’auteur, qui fustige un comportement dangereux et hypocrite de l’Occident qui, jusqu’à hier, a toujours mené ses guerres et s’est montré complaisant avec Vladimir Poutine.
Le président russe, justement, est au centre de la réflexion du directeur de la rédaction de Domani, qui ne se dit pas opposé à l’envoi d’armes en Ukraine, mais argumente que celui-ci doit être “calibré avec notre objectif, qui ne doit pas être d’annihiler Poutine, mais de décourager l’invasion et de sauver les vies des civiles”.
Le média romain prévient que le but n’est pas de pousser le conflit jusqu’à provoquer la chute du chef du Kremlin. Le titre s’étonne du “surprenant retour d’une rhétorique guerrière qui était morte et enterrée. Même de la part de la gauche.”
“Il n’y a pas de paix parmi les pacifistes”
De nombreux militants se retrouvent aujourd’hui face à un dilemme poignant : comment se montrer solidaire de l’Ukraine tout en refusant un envoi d’armes pourtant demandé explicitement par Kiev ? Le débat agite les rangs du mouvement pacifiste, qui prévoit une grande manifestation samedi 5 mars à Rome.
Parmi les mots d’ordre affichés par celle-ci, précise un autre article de Domani, “on exige un cessez-le-feu, des aides humanitaires, l’accueil des réfugiés, le début d’une négociation sous l’égide des Nations unies et un arrêt de la fourniture d’armements”. Un dernier point qui n’a pas plu à la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) – un des plus importants syndicats du pays –, qui a décidé de se désolidariser de l’initiative. “Nous ne nous reconnaissons pas dans des slogans tels que ‘neutralité active’”, ont fait savoir ses porte-parole. Selon le syndicat, on ne peut pas prendre le risque d’apparaître “équidistant des deux camps qui font la guerre”. D’où la rupture inévitable.
“Il n’y a pas de paix parmi les pacifistes”, conclut, ironique mais amer, le quotidien de gauche.
Beniamino Morante
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