Avec la proposition d’une obligation de travail de 15 à 20 heures pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), Emmanuel Macron a ouvertement rejoint un camp dans lequel, au reste, il était déjà présent depuis cinq ans : celui qui confond l’aide sociale avec « l’assistanat ».
Mais dans le macronisme réel, le vrai assistanat est ailleurs. C’est celui des entreprises et des détenteurs de capitaux. Et c’est précisément cet assistanat qui se dessine dans l’économie politique de l’actuel régime qui règne en France. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la situation sociale du pays et la réponse apportée par le gouvernement Castex et le projet du candidat-président. Leur priorité est de garantir le capital, quoi qu’il arrive.
La morsure de l’inflation
La question économique centrale du moment réside dans le risque inflationniste, initialement causé par les perturbations des chaînes logistiques et de la production par la pandémie de Covid-19 et aggravé par la guerre en Ukraine. À la fin février, l’indice des prix à la consommation non harmonisés (plus représentatif des prix réellement payés par les ménages parce qu’il n’inclut pas les dépenses de santé remboursées) affichait une hausse annuelle de 3,6 %. Et selon la dernière note de conjoncture de l’Insee, publiée le 16 mars, l’inflation pourrait atteindre, avec un prix du pétrole stable à partir de fin mars, un taux de 4,5 % « au cours du deuxième trimestre ».
L’élément central de cette affaire est qu’à la différence de ce qui s’est passé jusqu’à la fin de 2021, cette hausse de prix commence à se diffuser aux biens et services en dehors des produits énergétiques. À fin mars, l’Insee table sur une hausse annuelle des prix des produits manufacturés de 2,5 % et des services de 2,6 %.
Face à une telle situation, la question immédiate est immanquablement celle du partage du poids de cette inflation importée entre le travail et le profit. Lorsque les entreprises répercutent la hausse des coûts des matières premières dans leurs prix sans toucher à leurs salaires, elles préservent leurs profits. Lorsque les salaires suivent les prix, ce sont les profits qui s’ajustent. C’est là le choix principal de politique économique dans un moment comme le nôtre.
[© Graphique Insee]
Dans ce cadre, les autorités disposent d’outils permettant de protéger le travail et, partant, la demande. Le premier est le contrôle des prix sur un certain nombre de produits stratégiques, qui contraint les entreprises concernées à réduire leurs profits pour préserver les revenus réels de la majorité de la population. Le second, c’est évidemment une politique de soutien aux salaires, qui permet de faire pencher la balance dans ce partage du coût de l’inflation.
Les perspectives de l’Insee sont, de ce point de vue, inquiétantes. Les salaires français sont incapables de suivre la hausse des prix. Le salaire moyen réel non agricole par tête devrait reculer de 0,4 % au premier trimestre 2022, après un recul de 0,2 % au dernier trimestre de 2021. Or, comme on l’a vu, le pire reste à venir en matière de hausse des prix.
Mais peu importe. Le gouvernement prend des mesures cosmétiques qui évitent de toucher aux bénéfices des entreprises privées, comme le « chèque énergie » ou le « bouclier énergétique ». D’ailleurs, si ces mesures ont pu modérer l’indice des prix, elles n’ont pas préservé les revenus réels des ménages.
Ces derniers sont d’ailleurs en chute libre : l’Insee table sur un recul du pouvoir d’achat par unité de consommation, l’indicateur qui rend compte le plus parfaitement le niveau de vie réel, de 1,4 % à la fin du premier trimestre. Autrement dit : l’érosion des salaires se transmet avec violence au reste de la société puisque les Français doivent vivre de plus en plus nombreux avec ces salaires.
Le « dérisquage » du capital
Cette baisse des revenus des ménages et des salariés n’est pas le fruit du hasard. C’est celui d’une politique économique que le président sortant a promis, le 17 mars, de poursuivre et d’intensifier. La priorité absolue est donnée à la protection du capital et des profits.
C’est évidemment dans ce cadre strict qu’il faut comprendre le nouvel « interventionnisme » d’Emmanuel Macron. Sa « planification » ou ses « nationalisations » annoncées dans l’énergie ne sont pas ainsi des modifications de la nature de la politique économique macroniste, ce sont des adaptations de cette politique.
L’enjeu est évidemment de fournir le meilleur cadre aux entreprises pour bloquer toute revendication salariale et, in fine, permettre la meilleure génération de profits. De ce point de vue, on demeure dans une logique néolibérale : l’usage de l’État pour le bénéfice du capital.
Or cette logique est, depuis la pandémie, poussée à son extrémité. Les 240 milliards d’euros distribués pour sauvegarder les entreprises et prendre en charge une partie de leurs coûts ont laissé des traces tenaces qui sont au cœur de la nouvelle politique d’Emmanuel Macron.
Il semble que, désormais, à chaque sursaut de la conjoncture mondiale, l’État se presse pour « sauver les entreprises ».
La principale, c’est la logique persistante du « quoi qu’il en coûte ». Certes, officiellement, cette politique s’est terminée au 1er octobre dernier. Sauf qu’il n’en est rien. Les dispositifs de soutien par secteur ont été maintenus, ainsi que celui de l’activité partielle de longue durée (APLD) qui permet d’organiser la prise en charge par l’État à grande échelle des salaires.
Surtout, il semble que désormais à chaque sursaut de la conjoncture mondiale, l’État se presse pour « sauver les entreprises ». Mercredi 16 mars, le premier ministre Jean Castex et le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire ont annoncé un « plan de résilience » qui est intellectuellement fondé sur l’expérience du « quoi qu’il en coûte » : l’État prendra ainsi à sa charge une partie de la facture énergétique des entreprises les plus gourmandes en électricité.
Le montant de l’aide, en incluant les aides sectorielles plus ciblées pour certains secteurs comme le BTP ou le transport routier, se situe entre 4 et 4,5 milliards d’euros. Certes, Bruno Le Maire a beau jeu de prétendre ne pas « être dans une réponse du type “quoi qu’il en coûte” ». L’ampleur de la crise actuelle n’a rien à voir pour l’instant avec l’effondrement de la première vague du Covid.
Et c’est d’ailleurs bien le problème : au regard de l’impact de la crise sur les résultats des entreprises, cette réponse semble massive. Selon la note de conjoncture de l’Insee, le taux de marge des entreprises, autrement dit ce qui reste au capital lorsqu’on a payé les salaires et les autres coûts de production, ne reculera que de 0,4 point au premier trimestre 2022, à 32,4 %, soit un niveau encore historiquement élevé. Les perspectives d’investissement étaient encore bonnes, avec une hausse globale de 0,8 % sur le premier trimestre.
[© Graphique Insee]
Autrement dit, rien ne justifiait un tel empressement ni une telle sollicitude du gouvernement. Le capital a largement les moyens d’amortir le choc de la crise actuelle. Mais la réalité, c’est que, désormais, l’État est le garant de la résistance des entreprises aux crises. C’est un élargissement de ce que l’économiste roumaine Daniela Gabor a déjà mis en avant pour le secteur financier : le « dérisquage ».
En clair : l’État prend à sa charge les risques de l’incertitude liée au système capitaliste. C’est un autre nom donné au « quoi qu’il en coûte » et c’est bien la logique de ce qui a été annoncé ce 16 mars et qui, du reste, n’est qu’une première phase puisque Jean Castex s’est dit prêt à élargir le dispositif en cas de besoin des entreprises. Pour preuve : l’APLD, dispositif clé du « quoi qu’il en coûte », a été facilitée et prolongée.
Au titre de cette stratégie, on pourrait aussi placer les mesures dites de « protection » contre l’inflation censées protéger les ménages. En réalité, et à la différence des mesures de contrôle des prix, celles-ci sont des formes de subvention aux prix élevés, où les entreprises peuvent protéger leurs profits, soit par l’augmentation des prix dont l’effet sur le consommateur est pris en charge en partie par l’État, soit directement par une redistribution interne depuis une entreprise publique vers ses concurrentes privées, comme pour le bouclier énergie. Dans les deux cas, il s’agit bien de garantir aux entreprises des niveaux élevés de rentabilité.
Priorité au capital
En parallèle de cette fonction « assurantielle » désormais croissante de l’État, il y a une autre fonction, plus classique, mais toujours aussi implantée dans la pensée macroniste : celle du soutien direct au profit par la baisse du poids de la fiscalité et du coût du travail.
Rappelons que le quinquennat qui s’achève a permis de baisser de 25 milliards d’euros par an le poids de l’impôt sur les bénéfices des entreprises et qu’une grande partie des baisses d’impôts « pour les ménages » a été une baisse sur la détention de capital et ses revenus.
Mais rien ne semble assez pour la logique d’accumulation et voici que, jeudi 17 mars, le président candidat s’est soumis avec application au récit du patronat sur les impôts de production qu’il serait urgent de baisser. Un récit dénué de tout fondement scientifique, mais qui débouche sur la promesse d’une nouvelle baisse de 7,5 milliards d’euros de la Contribution sur la valeur ajoutée (CVAE).
Cette nouvelle promesse est intéressante. La CVAE est un impôt qui n’est pas proportionnel aux bénéfices mais à la valeur ajoutée. En théorie pure, son poids plus important sur la rentabilité incite précisément à améliorer la productivité, autrement dit la capacité de produire plus à moindre coût. Ce serait donc une « bonne incitation », notamment dans le cadre d’une politique d’innovation et de compétitivité. Mais si le but de la politique est simplement le flux de profits et sa redistribution aux actionnaires, alors la CVAE est une entrave.
À cela s’ajoute une vague promesse très inquiétante du programme Macron : celle de « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ».
Avec cette promesse, on voit toute la réalité du projet du président sortant : la fin de toute politique économique et simplement l’accumulation. Tout doit donc être soumis à cette priorité. En particulier le travail. Là encore, un coup d’œil au programme d’Emmanuel Macron permet de le confirmer.
Rappelons que la fonction de l’obligation donnée aux allocataires du RSA de travailler de 15 à 20 heures revient évidemment à fournir aux entreprises une main-d’œuvre gratuite permettant de faire pression sur le marché du travail. Au reste, l’impossibilité concrète de réaliser cette proposition va conduire à une forme de « militarisation » de la pauvreté, où l’on enverra des contingents de bénéficiaires réaliser des travaux ponctuels réclamés par les entreprises au nom de cette obligation. L’effet sur les salariés, notamment les plus pauvres, sera dévastateur.
À cela s’ajoute une vague promesse très inquiétante du programme Macron : celle de « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». On ignore de quoi il s’agit concrètement, mais le terme de « modernisation » en matière de droit du travail est synonyme de flexibilisation et de réduction de la protection du contrat de travail.
Comme les ordonnances de 2017 sont allées très loin, on peut craindre le pire dans ce domaine, comme les contrats zéro heure qui, au Royaume-Uni, permettent de mettre en place du travail à la tâche. Quoi qu’il en soit, ces mesures ont toujours le même effet sur le salaire : celui de le tirer vers le bas. C’est ce qui a été constaté aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis un demi-siècle. Dans un capitalisme de bas régime, où les gains de productivité sont faibles, cela assure un flux de profits croissant. Du moins à court terme, mais c’est là le seul horizon du capitalisme français.
Pour couronner le tout et s’assurer que l’ordre du capital règne à son avantage, le programme du président sortant comporte un ensemble d’éléments de discipline de la force de travail. On retrouve dans ce cadre les mesures de renforcement de la « participation » qui permettent de réduire la rémunération salariale en faisant dépendre les revenus du flux de profits et, finalement, de faire des salariés « des actionnaires comme les autres ». Mais on peut aussi y ajouter des mesures disciplinaires plus directes, comme la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui va accroître la pression sur les demandeurs d’emploi pour répondre au marché du travail.
L’économie politique du macronisme : du travail vers le capital
Une fois ce tableau dressé, on saisit mieux l’économie politique du macronisme à venir. L’obsession de la protection du capital amène le pouvoir à ne voir de problème que dans l’offre. Ce vendredi 18 mars, Bruno Le Maire a, comme lors de la crise sanitaire, prétendu que la crise actuelle était une crise de l’offre et non de la demande. On a rarement vu plus d’aveuglement alors que les marges sont élevées, les investissements (non productifs) dynamiques et la consommation en recul. Une crise inflationniste gérée par l’offre conduit presque immanquablement à une récession profonde. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en 1979-1982, une crise qui a ouvert quatre décennies de croissance faible et de recul de la productivité.
Mais peu importe, la priorité, pour le président sortant, c’est l’accumulation immédiate. Et ce que le candidat a confirmé, sans le dire, ce jeudi, c’est que la fonction du monde du travail était d’ajuster le maintien de cette accumulation. À tout prix. Et c’est là le revers du « quoi qu’il en coûte » : l’absence de prix donné au sauvetage des entreprises va se traduire par une absence de coût social nécessaire à son financement.
Car Emmanuel Macron « dérisque » aussi le secteur financier détenteur de dette française, et le prix de cette garantie est la poursuite de la destruction de l’État social. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre le maintien de l’objectif de retour sous les 3 % du PIB de déficit en 2027, alors même que ce président ne cesse de proclamer au niveau européen que ce niveau n’a pas de sens. Pour réduire le risque ressenti par la finance de marché, il faut donner des gages.
En définitive, ce sont bien les ménages les plus fragiles qui subiront le coût principal de l’ajustement. Ce sont les salariés qui subiront les coûts directs de l’inflation, de la nécessité de renforcer le flux monétaire vers les détenteurs du capital et le dérisquage global des entreprises.
Le fait que le président-candidat ait été muet sur la crise inflationniste confirme que le cœur de sa politique se situe bien dans cette logique. Mais on pourrait aussi évoquer son silence sur le bilan de sa réforme de la fiscalité du capital de 2018, alors même que les évaluations sont désastreuses. Pour un candidat soucieux du dialogue permanent et de la planification, ce silence montre bien que l’objet principal de son projet est la protection du capital.
On voit, d’ailleurs, ici, qu’il n’y a pas de modification de logique majeure, simplement une adaptation à la situation. Le projet, lui, reste le même : la redistribution à l’envers, la contre-révolution fiscale et sociale, la destruction de l’État social.
Romaric Godin
• Mediapart, 18 mars 2022 à 18h08 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie/180322/le-candidat-macron-deroule-un-programme-au-service-du-capital
Le projet de Macron marche sur ses deux jambes de droite
Le président-candidat a présenté, jeudi 17 mars, les grands axes de son programme. Plus que jamais néolibéral sur le plan économique, il propose une version conservatrice des enjeux sociaux et régaliens, en occupant le terrain de ses adversaires de droite et d’extrême droite.
Un long monologue, beaucoup d’autosatisfaction, de grandes formules absconses et un pillage d’idées à droite et à droite. Jeudi 17 mars, Emmanuel Macron a présenté pendant plus de quatre heures « les grands axes » de son programme lors d’une conférence de presse filmée par les seules caméras du candidat. Ce dernier a immédiatement annoncé qu’il ne pourrait être exhaustif, renvoyant à plus tard bon nombre de sujets, tels l’outre-mer, la biodiversité ou le logement.
Défendant aveuglément le bilan de son quinquennat, le président sortant a seulement regretté de ne pas avoir mené à bout deux réformes promises en 2017 : celle des retraites, empêchée selon lui par la pandémie – ni la mobilisation sociale ni le 49-3 dégainé en première lecture à l’Assemblée nationale n’ont évidemment été évoqués – ; et celle des institutions, bloquée à l’en croire par le Sénat – mais en réalité enterrée par l’affaire Benalla, dont le nom n’a bien entendu pas été cité.
Évacuant toutes les questions portant sur son exercice solitaire du pouvoir – un mirage collectif, sans doute –, Emmanuel Macron a promis d’adopter une nouvelle méthode en cas de réélection, « pour essayer de lever les blocages ». « “Avec vous” n’est pas simplement un slogan, ce sera aussi pour moi une méthode démocratique nouvelle », a-t-il assuré, sans dire un mot de l’échec de la convention citoyenne pour le climat, mais en convoquant un sibyllin « retour de la souveraineté populaire ».
Le candidat a ainsi annoncé vouloir mettre en place une autre « convention citoyenne », cette fois-ci pour trancher le débat sur la fin de vie. Comme il l’avait fait la première fois – avant de renier sa promesse –, il a indiqué qu’il soumettrait « à la représentation nationale ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera préconisé » par cette convention, par voie référendaire s’il le faut.
Interrogé sur le copier-coller du programme Les Républicains (LR) qu’il venait de présenter, le président sortant a balayé les critiques, moquant ses adversaires qui n’arrivent pas, selon lui, à « se distinguer de son projet ». « Qu’ont-ils été faire dans cette galère ? », a-t-il interrogé, avant de livrer sa vision toute personnelle du débat démocratique – les questions des journalistes étant censées remplacer la confrontation d’idées avec les autres candidat·es.
« Je m’en fiche royalement, totalement, présidentiellement », a encore répondu le chef de l’État au sujet de sa droitisation décomplexée et des commentaires qui en sont faits. « J’assume, sur ce sujet, d’être gaulliste », a-t-il avancé, s’enorgueillissant d’avoir réuni, pendant cinq ans, des personnalités politiques de tous bords : « Ce que j’ai fait n’a jamais existé dans l’histoire politique contemporaine. » Emmanuel Macron peut nier l’évidence, mais la présentation de son projet ne fait aucun doute.
Des propositions conservatrices, voire réactionnaires
Sur le plan économique, le chef de l’État a en effet confirmé son ancrage néolibéral et droitier. Certes, sur les questions énergétiques, et devant la force des événements, il a promis la vague mise en place d’une « planification par secteur qui sera déclinée territoire par territoire ». Mais de la part d’un président de la République qui a fondé un haut-commissariat au plan sans aucun plan, une telle promesse ne saurait être prise sans une immense prudence.
D’autant plus que cet îlot vague de planification est perdu dans une mer de propositions conservatrices, voire réactionnaires. Au premier chef, on doit citer la confirmation d’une nouvelle réforme des retraites qui sera mise en place, comme l’avait documenté Mediapart, « en début de quinquennat » et qui prévoit l’allongement « progressif » de l’âge légal de départ à 65 ans. Soit un abandon complet de la grande réforme de 1981 qui ramenait l’âge légal à 60 ans et qui avait déjà été partiellement attaquée par la réforme Fillon de 2010 qui le portait à 62 ans.
C’est un immense recul social que propose Emmanuel Macron. Un recul qui ne saurait se justifier par l’argument avancé de « l’allongement de la durée de vie » puisque les réformes précédentes avaient déjà permis de récupérer les gains d’espérance de vie. La seule justification est donc la réduction des dépenses publiques dans la logique du programme envoyé par le gouvernement à Bruxelles pour les cinq années à venir et qui prévoit le retour du déficit public sous les 3 % en fin de quinquennat.
Dans la même perspective, l’autre grand recul social promis par le candidat concerne la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Au nom de la prétendue « dignité » de ses bénéficiaires , il sera décidé d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine » à une « activité permettant d’aller vers l’insertion ». C’est une rupture dans le modèle social français qui se rapproche clairement du « workfare » promu aux États-Unis au début des années 1970 par Richard Nixon et qui conditionne les prestations sociales à un travail.
Les modalités de ce travail sont encore inconnues, mais les bénéficiaires du RSA devront, dans les faits, effectuer un mi-temps pour une rémunération proche du salaire minimum. La mise en œuvre concrète de cette réforme, également défendue par la candidate LR Valérie Pécresse, risque de poser problème mais l’idée est claire : il s’agit de déligitimer les prestations sociales en tant que telles, de soumettre ses prestataires à une logique marchande et d’exercer une pression sur la partie du monde du travail la plus mal payée en intensifiant la concurrence.
Emmanuel Macron juge « difficile » de mieux payer les enseignants qui ne « font pas plus d’effort ».
Cette proposition va encore offrir aux entreprises un bassin d’emplois pris en charge par l’État. Ce travail de sape est plus large, puisque Emmanuel Macron propose partout de renforcer la logique marchande et la concurrence. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’idée selon laquelle on « ne traiterait pas la pauvreté ou la précarité uniquement au travers de prestations monétaires ».
Aux enseignants, le président sortant refuse toute valorisation générale au profit d’un paiement pour de nouvelles prestations – remplacements inopinés, soutiens personnalisés. Il juge « difficile » de mieux payer ceux qui ne « font pas plus d’effort ». Aux salariés, il propose de « monétiser » le compte épargne temps. Pour les services publics, il veut un approfondissement des « appels ouverts à projets » où leur organisation serait soumise aux propositions du secteur privé et une « simplification » qui réduirait le pouvoir normatif de l’État à travers des « lois d’exception ».
La concurrence devra s’installer partout : entre les collectivités locales qui auront une « liberté d’innovation sur le terrain » dans un contexte où l’État leur demandera un « effort » de 20 milliards d’euros par an, mais aussi dans les universités et les écoles qui seront soumises à « l’autonomie ». Comme il l’avait esquissé à Marseille en septembre 2021, le candidat a confirmé vouloir permettre aux chefs d’établissement d’effectuer des recrutements « sur profils », rompant ainsi avec la promesse d’égalité territoriale de la fonction publique.
Reprise des récits dominants de la finance et du patronat
De façon globale, et alors que les mesures disciplinaires contre le travail se multiplieraient, Emmanuel Macron veut, en cas de réélection, poursuivre celles favorables au capital : un plan de subvention de la recherche de 30 milliards – pour notamment fonder un « Metaverse européen » (sic) –, une nouvelle baisse d’impôt de production, ainsi qu’une soumission de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale à la logique des entreprises.
La nouvelle baisse annoncée des impôts de production, en l’occurrence de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE) vient prouver que le cœur du projet économique reste le même qu’en 2017. Ces 7,5 milliards d’euros par an viendraient en effet s’ajouter aux 10 milliards par an offerts depuis 2020. Très significativement, le candidat s’est soumis à la demande expresse du patronat sur ce sujet, comme l’ont fait avant lui Éric Zemmour et Marine Le Pen.
Entre le Metaverse et les impôts de production, Emmanuel Macron reprend les récits dominants de la finance et du patronat, confirmant son ancrage à droite. Les ménages, eux, devront se contenter de mesures saupoudrées ici ou là, comme le relèvement à 150 000 euros de l’exonération des droits de succession, la suppression de la redevance audiovisuelle ou la baisse des cotisations sur les indépendants. Le président sortant a promis que cela équivalait aux 7,5 milliards d’euros offerts aux entreprises.
En réalité, face à la crise inflationniste qui pèse sur les revenus réels de la majorité de la population, le chef de l’État regarde ailleurs : il n’a pas dit un mot sur la hausse des prix, en dehors des mesures déjà lancées, et a soigneusement évité la question du niveau des salaires. Il promet donc au mieux de laisser les ménages prendre une large part de l’ajustement à la hausse des prix. Le tout avec l’épée de Damoclès constante d’une assurance-chômage vouée à être de plus en plus restrictive. En définitive, c’est bien une forme de redite bavarde mais peu ambitieuse de son programme économique antisocial qu’il propose.
Le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire.
Sur le volet régalien, pudiquement qualifié de « pacte républicain », le chef de l’État a là aussi confirmé l’adoption de toutes les antiennes de la droite la plus réactionnaire, notamment sur l’immigration. Il a ainsi annoncé vouloir opérer une « refonte de l’organisation du droit d’asile et de séjour », « avec un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français », les possibilités de recours étant aujourd’hui trop nombreuses à ses yeux.
Rappelant que la France « a et aura à faire face à des arrivées importantes de femmes et d’hommes qui fuient l’Ukraine », Emmanuel Macron a également indiqué vouloir revoir « notre modèle d’intégration ». « La carte de séjour pluriannuelle sera donnée dans des conditions beaucoup plus restrictives », a-t-il précisé. En introduction de sa présentation, il avait pourtant souligné son « attachement à un humanisme », qu’il considère même comme une « conviction philosophique ».
Alors qu’il avait récemment assuré que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes serait de nouveau la grande cause de son deuxième quinquennat, le président sortant n’a pas dit un mot sur le sujet. À peine a-t-il répondu à une question portant sur son opposition à l’allongement du délai légal de l’IVG, voté cette année par le Parlement contre l’avis du gouvernement. Il s’est « engagé » à ne pas aller au-delà, estimant que l’avortement est « toujours un drame pour les femmes ».
Interrogé sur l’actualité récente en Corse, et les propos de son ministre de l’intérieur sur une éventuelle autonomie de l’île, le chef de l’État, dont l’échec est patent sur ce dossier, s’est contenté de répéter ce qu’il avait déjà dit sur le sujet durant la campagne de 2017, puis en 2018, sans jamais aller au bout du « pacte girondin » promis à l’époque. « L’autonomie n’est pas un débat tabou », a-t-il assuré, fixant « des lignes claires », tel que le rejet de la coofficialité des langues.
Virage à 180 degrés opportuniste
La promesse d’une autonomie de la Corse fait partie des annonces et mesures bricolées à la dernière minute, que l’exécutif distille depuis quelques mois, à l’approche de l’élection présidentielle. Pour tenir la campagne avec le programme qu’il a présenté jeudi après-midi, Emmanuel Macron compte sans doute sur sa position de sortant qui lui offre non seulement une forme d’avantage permettant de se présenter comme le « capitaine » dans la tempête, mais aussi des leviers de l’État pour adresser des messages à l’opinion.
L’autre exemple de ce mélange des genres sous forme de virage à 180 degrés opportuniste, c’est l’annonce surprise de la revalorisation « avant l’été » du point d’indice des fonctionnaires. Pendant cinq ans, la ligne a pourtant été constante et claire sur ce dossier : l’augmentation générale des salaires des agents publics induite par le relèvement du point d’indice était à bannir au profit de mesures « ciblées ».
En décembre dernier, la ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, avait d’ailleurs repoussé avec dédain les demandes de revalorisation demandées par tous les syndicats de la fonction publique. « Ce n’est pas avec une simple hausse du point d’indice, solution de facilité utilisée par tant de gouvernements […] que l’on peut vraiment résoudre et résorber les inégalités dans notre fonction publique », avait alors martelé celle qui, trois mois plus tard, annonçait donc un « dégel » de ce point d’indice.
La ministre a beau prétendre que ce geste brusque n’est pas « électoraliste », mais « économique », en avançant que l’accélération de l’inflation obligerait à cette revalorisation, l’argument ne résiste pas une seconde à l’analyse. Car l’accélération de l’inflation ne date évidemment pas de l’attaque russe contre l’Ukraine : elle a commencé à l’été dernier. La question économique se posait donc au 1er janvier avec une inflation annuelle – non harmonisée – de plus de 3 % qui a été entièrement prise en charge par les fonctionnaires.
Certes, une inflation plus élevée rend le gel du point d’indice politiquement intenable. Mais en l’absence d’engagement sur le montant de ce dégel, la volte-face se limite à un effet d’annonce puisque, en période de forte inflation, c’est ce point qui est crucial. Si la hausse du point est, par exemple, de 2 % avec une inflation de 5 %, la situation réelle des fonctionnaires sera la même qu’en janvier et en aucun cas les pertes immenses de pouvoir d’achat accumulées par les agents publics depuis la fin des années 2000 ne seront compensées.
On comprend ici que l’opération ressemble à un rideau de fumée, laissant penser que si le président sortant est réélu en avril, la situation des fonctionnaires s’améliorera. Du côté de l’inflation, ce dernier n’a pas ménagé les effets d’annonce, de la prime inflation de 100 euros cet automne à la baisse de 15 centimes au litre, la semaine dernière. Dans tous les cas, ces mesures sont cosmétiques, puisqu’elles évitent soigneusement de traiter l’essentiel du problème que pose l’inflation : celui du partage de son poids entre les salaires et les profits.
Tout se passe comme si Emmanuel Macron avait cherché, à coups d’argent public, à gagner du temps en faisant croire qu’il soutenait le pouvoir d’achat pour reporter les vraies décisions. Là encore, on est dans l’effet d’affichage électoraliste pur. Et son silence durant sa présentation sur le sujet, le plus brûlant du moment pour les ménages français, confirme cette idée.
Romaric Godin et Ellen Salvi
• Mediapart, 17 mars 2022 à 21h20 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie/180322/le-candidat-macron-deroule-un-programme-au-service-du-capital