Nombreux sont ceux qui peuvent penser aujourd’hui que l’extrême droite ukrainienne ne fait l’objet d’aucune couverture médiatique, créant une sorte d’omerta visant à défendre un régime que la propagande russe qualifie de « fasciste ».
Spécialistes de l’Ukraine et des mouvances radicales de droite, nous voulons apporter quelques éclairages face à ces idées qui témoignent d’une méconnaissance du terrain ukrainien et de sa réalité, et qui dessert la compréhension du conflit en cours, qui est une guerre d’agression menée par une puissance militaire majeure sur la base d’accusations mensongères et d’une vision néo-impériale.
Une opinion publique informée
Depuis février 2014, de nombreux papiers et documentaires ont été publiés sur le sujet. Citons par exemple ceux signés par des journalistes de terrain (ceci doit être souligné) comme Paul Gogo, Sébastien Gobert, Benoît Vitkine et Guillaume Herbaut qui ont amorcé un décryptage du phénomène (mais aussi Fabrice Deprez et Olivier Tallès pour La Croix, NDLR), qu’a relayé ensuite tout un travail d’expertise académique par des chercheurs comme Vyacheslav Likhachev [1] et Anna Colin Lebedev [2].
Nous pouvons retrouver la même chose aux États-Unis. En effet, l’actualité diplomatique de mars 2018 souligne qu’à la suite des révélations du collectif d’investigation Bellingcat, le Congrès avait examiné la demande du ecrétaire d’État Mike Pompeo d’inscrire le fameux régiment Azov sur la liste internationale des organisations terroristes [3]. Au regard de ces faits, il semblerait étrange de penser que les médias et l’opinion publique occidentaux ne soient pas informés sur cette question.
Par ailleurs, quand certains peuvent souligner à tort une « promotion par Kiev de politiques mémorielles révisionnistes » [4], ce dernier terme n’est jamais explicité, d’autant plus qu’il n’est uniquement employé pour sa connotation négative dans la sphère publique. Il faut ainsi rappeler que les lois mémorielles ukrainiennes de 2015 - dites Symonenko - sanctionnent tout autant les symboles du IIIe Reich et de l’idéologie nazie que ceux du communisme de la période soviétique [5].
Une extrême droite très minoritaire
Si les médias occidentaux ont jugé bon de ne pas couvrir outre mesure le phénomène de l’extrême droite ukrainienne, c’est parce qu’elle ne représente tout simplement pas la réalité du paysage politique du pays. L’extrême droite a, certes, regagné en visibilité à partir du Maïdan et de la guerre en 2014, en venant suppléer, comme toute la société ukrainienne, les forces armées régulières en difficulté. Largement dépeintes dans la propagande comme de soi-disant « bataillons de représailles », ces formations supplétives sont largement composées d’engagés volontaires qui ne partagent en aucun cas les idéologies des structures politiques affiliées.
Quand bien même la guerre aurait pu favoriser la montée en puissance des partis ultra-nationalistes à des fins défensives, la société ukrainienne en a démontré le contraire. Tout comme la France ou d’autres nations, l’Ukraine post-révolutionnaire est l’expression même d’un pluralisme vif, qui ne peut prétendre à l’appellation fallacieuse de « junte » ou de dictature. Et alors que l’on observe une résurgence de l’extrême droite à l’international, électoralement, celle en Ukraine pèse bien moins qu’il n’y paraît : rappelons-le, autour de 2 % aussi bien aux présidentielles qu’aux législatives de 2019 !
Saisir avec rigueur l’importance réelle de l’extrême droite ukrainienne ne peut donc se faire de manière improvisée, au risque de soutenir les actions inqualifiables de la Russie par une Reductio ad Hitlerum injustifiée [6]. Faisons ainsi attention à ne pas fantasmer son rôle, et pensons à celles et ceux qui se font tuer au nom de la défense de la liberté et de la démocratie dans ce pays attaqué.
Bertrand de Franqueville
Adrien Nonjon
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