Heureusement, le monde a beaucoup appris ces dernières années au sujet des manœuvres américaines et des coups tordus qui finissent par se retourner contre eux tout en faisant des ravages terribles tout autour.
Les articles attachés, écrits par des journalistes anglo-saxons, sont basés sur la conviction que les américains ont demandé aux séoudiens de financer, par l’intermédiaire des banques de Hariri, la création au Liban de groupuscules fondamentaliste sunnites chargés de faire contrepoids au Hezbollah. Côté américain, c’est Dick Cheney qui est à la manœuvre. Chez les séoudiens, c’est le prince Bandar, ancien ambassadeur à Washington (pendant 20 ans) et actuel président du conseil de sécurité séoudien. Ici, c’est le petit Saad Hariri.
Résultat : tout comme ils pensaient contrôler Ben Laden, et tout comme celui-ci s’est avéré avoir un agenda et un programme d’action différents de ceux qu’ils pensaient lui avoir assigné, les groupuscules fondamentalistes sunnites créés au Liban échappent aujourd’hui au contrôle de leurs parrains. Il faut donc les écraser dans l’urgence. Le problème est qu’ils ont prospéré dans un terreau fertile, la misère au Liban-Nord, et que cela fait des années qu’ils se développent. Comment les attaquer de front sans provoquer une extension des combats aux milieux suburbains de Tripoli et à leur extension rurale (le Akkar et la région de Denniyé) où ils bénéficient de la symphatie de catégories sociales entières ? Si la troupe est constituée de recrues locales, sunnites elles aussi, il y a risque de défections, inefficacité, révolte dans les villages des soldats qui seront tués, etc. (on l’a déjà vu). Si elle est constituée de soldats de communautés différentes, il y a risque de troubles confessionnels, ...(déjà des communiqués menaçant les « croisés chrétiens » et leurs chefs puisque le commandant en chef de l’armée est chrétien...). C’est gai, non ?
L’un des articles évoque l’hypothèse d’une scission de l’armée. De manière plus réaliste, nous pouvons envisager que les sunnites de l’armée (des tripolitains et des gens du Akkar, essentiellement) refusent de se battre contre d’autres sunnites (tout ce beau monde a été mobilisé sous la même bannière par les haririens depuis des années - comment leur faire faire maintenant tout le contraire de ce qu’on leur a mis en tête ?). Nous pouvons aussi envisager que les chiites de l’armée refusent aussi après que le chef du Hezbollah a appelé à une solution politique et non pas militaire. C’est alors la création d’une zone supplémentaire de non droit comme il en existe déjà tant dans le pays, mais une zone aux mains de fondamentalistes sunnites, ce qui donnerait de sacrés cauchemards à nos amis américains (raison pour laquelle ils feront tout pour éviter cette solution). L’armée est alors réduite à faire le tampon entre cette zone et les autres diverses zones communautaires du pays, ce qu’elle fait déjà partout. Je vous rappelle qu’elle est postée sur toutes les anciennes lignes de démarcation entre zones communautaires nées durant la période 1975-1990.
L’auteur d’un des articles pense que la scission de l’armée ne serait peut-être pas pour déplaire aux américains car ceci signifie aussi le retour des milices communautaires sur le devant de la scène, le morcellement du pays en cantons communautaires et l’affaiblissement des leaders pronant le dialogue intercommunautaire. Le morcellement du Moyen-Orient en micros états rivaux, commencé en Iraq, se poursuivrait au Liban. Les Israéliens pavoiseraient. Chez les chrétiens, ce scénario favoriserait le renforcement du reliquat des anciennes milices, requinquées par la sortie de prison du criminel qui leur sert de chef, aujourd’hui à la solde des américains. Elles tenteraient par la force de reprendre le contrôle des zones chrétiennes et essayer d’anéantir le courant du général Aoun. De toute manière, le climat d’ensemble dans le pays et la création de zones de non droit tenues par des extrêmistes musulmans favoriseraient les extrêmistes chrétiens et la baisse de popularité de ceux qui cherchent à reconstruire le pays par le dialogue et par un nouveau pacte intercommunautaire. Les américains auraient alors sous leur contrôle les milices druzes de Joumblat, les milices chrétiennes et quelques groupes sunnites tels que les milices palestiniennes fidèles au Fateh de Mahmoud Abbas et des milices tripolitaines non déviantes. Les bataillons sunnites de l’armée seraient retirés du nord et utilisés ailleurs. Tout ce beau monde serait lancé à l’assaut du Hezbollah dans un beau feu d’artifice qui finirait d’achever le pays et de pousser à l’exode ce qui reste de son élite intellectuelle, de ses classes moyennes. Au mieux, on assisterait, comme aujourd’hui, à une longue agonie du pays, tiraillé entre des « majorités » parlementaires bidons créées et appuyées par l’extérieur et des minorités importantes et armées telles que la communauté chiite avec, pour bien empoisonner la vie quotidienne, un tribunal international prétendûment au-dessus des querelles politiciennes libanaises mais qui serait en pratique un outil supplémentaire aux mains des américains et de la « majorité » contre la « minorité ».
Nous n’en sommes pas là. Nous en sommes au point où les américains et leur intermédiaire local, Saad Hariri, paniquent. Ils cherchent à éliminer à tout prix et le plus vite possible, donc par la manière forte, ces fondamentalistes déviants qu’ils ont eux-mêmes créés. L’armée, commandée aujourd’hui par des gens assez sages, refuse de procéder au travail de la manière que les autres ont le culot d’exiger. Le commandement de l’armée et le ministre de la défense prennent le temps de la réflexion, mesurent les véritables allégeances, étudient ce qu’ils feraient si tous les camps palestiniens du Liban se révoltaient, se radicalisaient et prenaient les armes à la fois. Mais la pression politique monte sur eux. Les américains se font pressants.
Afin de permettre cet assaut sur le camp de Nahr-el-Bared tout en évitant une insurrection générale sunnite au Nord, les arabes (financiers habituels des coups américains) ont promis des aides à cette région dont les montants grandissent à mesure que les menaces de lancer l’armée à l’assaut du camp de Nahr-el-Bared se font plus véhémentes. Mais cela sera-t-il suffisant pour endiguer la montée de l’extrêmisme et la création au Liban d’un nouvel Iraq où des fondamentalistes se font exploser tous les jours dans des lieux publics ? Imaginez l’impact sur l’économie, déjà moribonde...(quand on mise tout sur le tourisme de luxe (et rien sur la création de biens) dans un pays aussi instable, voici le résultat...). Comment traiter le problème d’une insurrection potentielle de l’ensemble des camps palestiniens du pays et de leur basculement dans le fondamentalisme (nous aurions simultanément 15 ou 20 « Nahr-el-Bared » sur les bras) ? Une autre solution en cours de discussion est de laisser les palestiniens modérés régler eux-mêmes le problème de Fateh-el-Islam, mais il semble (et on les comprend) qu’ils ne soient pas chauds pour se lancer dans une guerre interpalestinienne. Et puis il y a la solution qui consiste à priver les combattants de vivres, de les affamer. Le problème est qu’ils tiennent 10 à 15 mille personnes en otage...
J’arrête là. Je vous laisse lire les articles attachés.
Salutations à tous,
Les trois documents auquel se réfère l’auteur de la lettre sont disponibles sur le site d’ESSF.
Le premier est disponible en français (et aussi en anglais) :
Franklin Lamb, Qui se trouve derrière les combats au Nord-Liban ?
Les deux autres ne sont disponibles que dans la rubrique de langue anglaise :
Reuters, Gulf Arabs boost aid to Sunni militants in Lebanon
Democracy Now !, Seymour Hersh: U.S. Indirectly Backed Islamist Militants Fighting Lebanese Army