Face à l’extrême droite
L’argument le plus fort est qu’il faudrait tout faire pour empêcher l’arrivée de l’extrême droite. Cet argument se heurte tout d’abord à une réalité matérielle qui est que le score probable de Philippe Poutou est sans prendre de risque entre 0,5 et 2,5% à tout casser, bien loin de ce qui manque à JLM pour passer devant Le Pen hélas.
Il se heurte surtout à une contradiction essentielle : les camarades disent craindre l’extrême droite et du fascisme et ne pas vouloir d’un débat Macron – Le Pen au deuxième tour, car celui-ci serait un cap franchi dans la montée de l’extrême droite et des politiques réactionnaires. Soyons clair, les camarades ont raison d’avoir peur du fascisme et aussi des politiques que Macron mènera, appuyé sur l’extrême droite. Et, en ce sens la mise de la patte de Le Pen-Zemmour sur l’appareil d’état marquerait une rupture même avec le libéralisme autoritaire de Macron.
Mais en quoi l’arrivée de Mélenchon changerait quoi que ce soit à cet état de fait ? Cela ne diminuera pas le score de l’extrême droite, le nombre de voix qui se portent sur elle. Cela ne réduira pas le fait que des millions de personnes se tournent vers elle, qu’elle a à sa disposition une bonne partie des télévisions et radios depuis des mois, qu’elle est soutenue par une partie de plus en plus importante de la bourgeoisie. Car cela est inscrit dans les rapports de forces politiques entre les classes, à la base, dans les quartiers, dans les entreprises.
Voter Philippe Poutou ou Mélenchon, cela ne fait pas diminuer l’extrême droite et monter la gauche, cela change seulement la répartition des voix à gauche. Et dans cette répartition, comment ne pas observer que la gauche institutionnelle contribue à une forme de banalisation de certaines idées réactionnaires, avec l’utilisation du drapeau tricolore, de formules restrictives sur les migrants, des positions ambiguës sur l’impérialisme français ? Même s’il faut reconnaître que sur l’islamophobie ses positions ont fortement changé. On devrait savoir maintenant que la meilleure façon de combattre l’extrême droite n’est pas d’être ambiguë sur une partie de ses thématiques, mais de renforcer l’auto-organisation des couches les plus exploitées, que l’extrême droite et le racisme reculent d’autant plus que les sans-papiers et les personnes racisées se mobilisent. Que nous propose la gauche institutionnelle et la FI de ce point de vue ? D’économiser des grèves et des manifestations, le contraire de ce qu’il faut développer sur la nécessité de lutter, de construire une contre-offensive.
Or, c’est bien de ça dont nous avons besoin contre l’extrême droite : construire une mobilisation de masse, unitaire, un front unique de toutes les organisations. Cultiver les illusions sur le rôle des institutions dans cette bataille est plus qu’une erreur.
Crédit Photo. Meeting à Toulouse le 7 avril 2022. Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
Redonner un espoir
Un autre argument est celui que renoncer au vote Poutou permettrait de reconstruire un espoir pour les exploitéEs. Il y a une réalité : mobiliser les classes populaires pour s’exprimer dans un certain sens contribue à l’homogénéisation politique nécessaire pour reconstruire la conscience de classe. Mais en quoi en quoi le vote Poutou y participerait-il moins que le vote pour d’autres candidatEs ? Au contraire ! Le vote Poutou exprime l’affirmation la plus résolue de la nécessité de luttes sociales unitaires.
Par ailleurs, il suffit de diffuser des tracts dans la rue et de confronter cette expérience à ce qui est prévu comme montée de l’abstention pour voir que le problème n’est pas, là encore, de faire basculer les 1 ou 2 % de personnes qui veulent voter pour nous vers le candidat le mieux placé à gauche : il s’agit surtout de convaincre les millions de personnes qui rejettent le système, ne veulent pas voter, voire n’ont pas le droit de vote, de lutter avec nous.
Il y a un paradoxe fort à vouloir utiliser l’élection présidentielle pour donner un espoir : c’est l’élection la plus antidémocratique, celle qui focalise le plus sur un individu, qui détourne le plus d’action collective. Nous y participons parce que c’est celle dans laquelle il est le plus facile pour une petite organisation d’apparaitre, de défendre un programme, mais il faut faire attention à ne pas basculer dans un fétichisme de l’élection, dans lequel le jeu des acteurs et la puissance médiatique et institutionnelle fait passer l’élection la plus antidémocratique et la plus substitutiste pour le levier le plus important de la situation.
Renforcer ces tendances, c’est contribuer à ce que le pouvoir exécutif prenne le pas sur le pouvoir législatif, le monarque sur le débat politique pluriel et pluraliste.
Là où nous devrions dénoncer la fonction présidentielle et la Ve République, le risque est fort de contribuer à la confusion. Là où la candidature de Philippe Poutou explicite que la solution ne peut venir que d’en bas et du collectif, celle des candidats de la gauche institutionnelle glorifient unE saveur/ses suprème.
Face aux illusions institutionnelles
D’autres camarades enfin, voudraient que « le NPA a raison de rappeler l’importance de la rue. Il a tort de l’opposer à la prise de pouvoir institutionnel. Chercher à combiner les deux n’est pas une garantie absolue mais cela ouvre la possibilité d’une bifurcation révolutionnaire. » [1] Il y a quelques années, les camarades nous appelaient à combiner action de rue et batailles électorales, ils avaient raison et nous tentons de le faire, à la mesure de nos moyens. L’expérience historique a montré également que des victoires électorales d’organisations du mouvement ouvrier pouvaient contribuer à des luttes de masse. Mais la formule de Fred réalise un glissement en nous proposant de nous associer à une « prise du pouvoir institutionnel ». Les expériences du Chili, de la Russie de 1917 et, plus près de nous, de la Grèce de Tsipras et du Brésil de Lula nous montrent que dans les victoires électorales, ce sont davantage les institutions qui prennent le pouvoir dans les organisations du mouvement ouvrier que l’inverse. Et que les révolutionnaires ont tout intérêt à se tenir à distance – c’est d’ailleurs ce qu’a défendu notre courant, depuis les années 20 et notamment autour du débat sur la victoire de Mitterrand – des gestions gouvernementales de la gauche.
Et la boucle est bouclée : les positions sont variées, de camarades qui croient – ou prétendent croire plutôt – que Mélenchon pourrait gagner l’élection présidentielle à celles et ceux qui veulent seulement le voir arriver au deuxième tour, mais elles ont en commun, sous la pression du système politique de la 5e République, devant la force de la démocratie bourgeoise, qui représente de façon déformée les rapports de forces politiques, de se placer du mauvais côté des possibilités qui existent pour les révolutionnaires. En effet, ce qui est possible dans cette élection pour les révolutionnaires, c’est de s’exprimer, de montrer qu’il faut tout changer, de le dire de façon pédagogique. Cela n’existe pas dans tant de pays que ça et dans tant d’élections que ça, et nous serons peut-être de nouveau condamnéEs au silence dans quelques jours et pour plusieurs mois à des reculs sur ce point. Il faut en profiter.
En revanche, modifier le rapport de forces entre les classes dans cette élection, construire un mouvement antifasciste et les luttes sociales, tout cela ne se passera pas dans cette élection. Parce que ce n’est pas le lieu. Et le vote Poutou est encore le meilleur moyen de préparer ces batailles parce que, on peut le dire, c’est la seule candidature qui défend, dans la rue et dans les urnes, la nécessité de les construire. Le seul qui montre concrètement qu’on ne débat pas avec les fascistes, le seul qui vient aux manifestations antifascistes, le seul qui propose de construire un mouvement social unitaire, avec toutes les organisations de gauche, là où les autres veulent la solution électorale à tous les problèmes.
En bref, c’est le vote qu’il faut renforcer. Ça ne changera pas la situation politique et les rapports de forces, mais ça contribuera à renforcer, dans les rapports de forces internes à la gauche, le courant le plus combatif, le plus unitaire et le plus radical.
Antoine Larrache