• Peux-tu rappeler les circonstances et les motifs de la plainte contre toi ?
Florimond Guimard - Le 11 novembre 2006, deux jours après une première tentative d’expulsion par bateau (déjouée grâce à l’action des marins CGT de la SNCM alertés par le RESF), deux cents personnes, enseignants, parents d’élèves, militants associatifs, syndicaux et politiques, convergent vers l’aéroport de Marignane pour protester contre l’expulsion de M. Douibi, marié et père de deux petits enfants scolarisés à Marseille dans mon groupe scolaire. Si, sur place, j’ai bien suivi à distance le véhicule de police qui amenait ce père d’élèves, je n’ai aucunement tenté de le percuter comme l’attestent de nombreux témoins, et contrairement à ce qu’affirment les policiers. Un peu plus tard, il y a eu une brève confrontation avec les forces de l’ordre et certains militants ont forcé un barrage policier pour se rendre sur la piste et empêcher l’avion de décoller. Ils seront arrêtés puis relâchés avec la promesse, après négociations sur place avec des élus, qu’il n’y aurait pas de poursuites. Finalement, grâce aux protestations des passagers, M. Douibi, embarqué de force et molesté, sera débarqué puis libéré le soir même sur décision du procureur. Aujourd’hui, cette famille, qui respecte pourtant les critères de la circulaire de régularisation des parents d’enfants scolarisés, est toujours sans papiers.
Quelques semaines plus tard, j’ai reçu, ainsi qu’une autre militante de RESF, une convocation du commissariat. Quand j’ai téléphoné, l’officier de police judiciaire m’a dit de ne pas m’inquiéter... Nous avons finalement été placés en garde à vue toute la journée ! C’est là que j’ai appris qu’il y avait plainte de policiers et des accusations assez délirantes me concernant. Je suis accusé d’avoir « commis des violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, faits commis avec arme par destination [en l’espèce mon véhicule !] » et d’« avoir volontairement exercé des violences sur agent en réunion [rien que ça !]) » parce que j’aurais touché une barrière qui aurait atteint le pouce d’un policier, lequel a bénéficié d’un jour d’incapacité totale de travail. Donc sans doute un ongle cassé... et certainement pas de ma faute. Je ressors libre mais avec une convocation au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour le 20 avril 2007.
• Comment s’est déroulée la journée du 20 avril ?
F. Guimard - Localement, nous avons souhaité saisir l’occasion de ce procès pour dénoncer, dans l’unité la plus complète et au-delà du RESF, cette forme d’intimidation et de criminalisation de l’action citoyenne et militante. Sous forme d’appel à manifester le 20 avril, une campagne nationale de pétition « La solidarité ne doit pas devenir un délit » a recueilli près de 15 000 signatures, dont celles de la plupart des responsables politiques et syndicaux de gauche. Nous avons profité de la période de campagne électorale pour intervenir dans les meetings et avons tenu plusieurs initiatives les jours précédents (projections, concerts...). Le jour du procès, une manifestation a réuni environ 2 000 personnes à Aix-en-Provence, ce qui n’est pas rien pour un vendredi matin dans cette ville et en période de vacances scolaires. Des délégations RESF de plusieurs autres villes de France étaient présentes, ainsi que plusieurs responsables syndicaux nationaux (Gérard Aschieri pour la FSU, Annick Coupé pour Solidaires, Gilles Moindrot pour le SNUIPP/FSU...). Étaient présentes également d’autres personnes actuellement poursuivies pour s’être opposées à des expulsions (Khadîdja, militante APEIS 93, François Auguste vice-président de la région Rhône-Alpes, Michel Guérin, écrivain...). L’après-midi s’est transformée en grand rassemblement devant le tribunal, mais l’audience n’a pas duré longtemps. Le juge a estimé qu’il fallait reporter le procès pour plusieurs raisons. Bien qu’informé de la date depuis quatre mois, l’avocate des policiers a demandé le report pour qu’un troisième policier puisse se porter partie civile. Un quatrième la prochaine fois ? Plus grave, le juge a estimé que l’après-midi était trop chargée (pourquoi alors avoir convoqué tant d’affaires la même après-midi ?) et que la période préélectorale ne se prêtait pas à un jugement serein. C’est cela la justice indépendante du pouvoir politique ? Plusieurs témoins convoqués par la défense venaient pourtant d’assez loin.
Ce n’est pas grave, cela témoigne surtout de la fébrilité de l’accusation mise en difficulté par cette grande mobilisation citoyenne. Le 22 octobre sera l’occasion d’une nouvelle mobilisation pour notamment montrer à Sarkozy que même président, il ne peut pas tout se permettre.
• Quels sont les enjeux pour RESF ?
F. Guimard - Il y a une volonté claire, du côté préfectoral, de décapiter le réseau local et de faire un exemple. Mais ils ne comprennent manifestement pas la nature et le fonctionnement de RESF : avec ou sans moi, les actions pour empêcher les expulsions vont continuer ! Il s’agit aussi d’une tentative d’intimidation à portée plus générale, de même que les procès intentés aux personnes que j’ai mentionnées tout à l’heure. Comme le disait explicitement le titre de la pétition de soutien, il s’agit de criminaliser les actions de solidarité. RESF a réussi à créer un réel mouvement de solidarité concrète avec les sans-papiers, par le biais de la question des enfants scolarisés et de leurs parents. Par ailleurs, il a réussi à remporter plusieurs petites victoires en empêchant des expulsions et en contribuant à des régularisations, même si le problème de fond n’est évidemment pas réglé tant qu’il n’y aura pas une régularisation de tous. C’est donc un outil important pour s’opposer à la politique de Sarkozy, à plus forte raison maintenant qu’il est élu président. On comprend que ce dernier cherche à le briser...