Un propriétaire ne peut pas refuser un locataire en raison de son origine ethnique, de son âge, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de l’un des autres critères prohibés par le droit. Il s’agit d’une atteinte à la dignité des personnes qui est contraire au principe d’égalité. C’est pourquoi les discriminations sont réprimées par l’article 225-2 du code pénal.
Malgré ce cadre répressif, les enquêtes du Défenseur des Droits indiquent que le logement est perçu par près d’un Français sur deux comme l’un des principaux domaines de discriminations, suivant en cela l’emploi ou les contrôles de police.
Les études consacrées à la mesure des discriminations ethnoraciales portent essentiellement sur le marché du travail. Celles qui abordent le domaine de l’accès au logement sont plus rares et se focalisent sur le parc locatif privé mais elles permettent néanmoins de faire un état des lieux de la situation.
Toutes ces études utilisent la méthode du test par correspondance, ou testing, qui consiste à comparer les chances de succès de deux candidats fictifs semblables en tous points à l’exception du critère de discrimination testé. En l’occurrence les chercheurs envoient, pour chaque offre de logement testé, deux candidatures qui diffèrent par la consonance des noms et prénoms des candidats.
Un survol extensif de cette littérature recense 29 études qui ont utilisé cette méthode dans 15 pays différents. Et, selon ces travaux, les candidats qui suggèrent leur origine ethnique par un nom de famille à consonance étrangère ont en moyenne deux fois moins de chances que les candidats issus de l’ethnie majoritaire d’être invités à visiter un logement locatif.
Des résultats convergents sur données françaises
En France métropolitaine, quatre études de portée scientifique ont mesuré les discriminations sur le marché immobilier locatif. Les deux premières concluent à l’existence de fortes discriminations dans l’accès au logement sans en interpréter les causes.
Les deux autres études ont de surcroît testé des hypothèses permettant d’analyser les déterminants des discriminations. L’une a mesuré l’ampleur de la discrimination dans l’accès au logement de candidats d’origine maghrébine à Paris entre début avril et fin mai 2016. Quatre messages sollicitant la visite d’un logement ont été envoyés en réponse à 504 annonces immobilières émanant de particuliers ou d’agences immobilières, soit un envoi de 2016 réponses.
L’étude conclut que les discriminations à l’encontre des personnes d’origine maghrébine sont fortes dans l’accès au logement parisien et qu’elles sont peu liées à la fragilité financière supposée de ces personnes. Le candidat de référence d’origine française a un taux de réponse de 18,7 % à ses demandes. Pour le candidat d’origine maghrébine, ce taux est de 12,9 %, soit un tiers de chances en moins de recevoir une issue favorable. Si le candidat maghrébin précise qu’il est fonctionnaire, son taux de réponse est de 15,5 % ce qui reste inférieur au candidat d’origine française qui ne fait pas mention de sa situation. Lorsque c’est le candidat d’origine française qui envoie le même signal de stabilité, son taux de réponse atteint 42,9 %. Un signal de stabilité professionnelle et financière n’augmente fortement les chances d’accès au logement que pour les candidats d’origine française, ce qui suggère une forte discrimination liée aux préférences des particuliers ou des agences pour les candidats d’origine française.
Enfin, l’étude des économistes Julie Le Gallo, Yannick L’Horty, Loïc du Parquet et Pascale Petit repose sur un test de couverture nationale, couvrant les 50 plus grandes aires urbaines de France métropolitaine, pour cinq motifs de discriminations : l’âge, l’origine, le lieu de résidence et leurs combinaisons.
Entre juin et décembre 2016, cinq candidatures fictives ont été envoyées en réponse à une sélection de 5 000 annonces de locations dans le parc privé réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain, soit 100 annonces par aire urbaine ou encore 25 000 réponses à des annonces immobilières. Les auteurs ne parviennent pas à mettre en évidence de discriminations en raison de l’âge du loueur ou de son lieu de résidence, mais ils trouvent d’importantes discriminations selon l’origine qui pénalisent les candidats signalant par leurs noms et prénoms une origine maghrébine ou une origine d’Afrique subsaharienne. Relativement au candidat de référence présumé d’origine française, Sébastien Petit, le candidat maghrébin Mohamed Chettouh a 26,7 % de chances en moins de voir ses démarches d’accès au logement aboutir.
Les auteurs trouvent aussi que les discriminations sont très différentes selon les territoires. Elles sont patentes dans un petit nombre d’aires urbaines dont ils établissent la liste. Perpignan, Limoges, Avignon et Nancy sont en tête des classements établis à partir d’indicateurs différents. Les dix villes où l’intensité des discriminations est la plus forte ne sont ni les plus grandes ni les plus petites. Aucune n’est une capitale régionale. Toutes sont des préfectures ou des sous-préfectures. Leur taille est proche de la médiane des grandes aires urbaines et elles sont dispersées dans l’espace métropolitain.
La discrimination limite la mixité sociale des quartiers
Malgré des tailles d’échantillon et des méthodologies parfois différentes, les résultats de ces travaux convergent sur plusieurs points. Les discriminations sont élevées dans tous les territoires testés, à l’encontre des candidats français originaires d’Afrique subsaharienne tout autant que pour ceux originaires d’Afrique du Nord. Elles sont plus fortes lorsque l’offre de location émane d’un particulier mais elles sont significatives aussi pour les offres publiées par des agences immobilières. Elles sont peu sensibles au degré local de tension sur le marché immobilier et aux prix pratiqués localement. Elles ne sont que faiblement atténuées lorsque le candidat à la location ajoute un signal de qualité en précisant qu’il est fonctionnaire.
De telles discriminations sont susceptibles de produire des conséquences durables. Les personnes discriminées subissent des coûts de recherche élevés et elles sont limitées dans leur choix de localisation ce qui réduit leur mobilité résidentielle. Ces contraintes peuvent alimenter les processus de ségrégation urbaine, limiter la mixité sociale des quartiers et pénaliser en retour l’accès à l’emploi et à la formation.
En Nouvelle-Calédonie, l’un des seuls territoires de l’espace républicain français, avec la Polynésie, où il existe des statistiques ethniques, une étude complémentaire a été réalisée. Dans ce territoire, ce sont les candidats kanaks et wallisiens qui sont discriminés par rapport aux candidats européens. Le niveau de discrimination varie, par ailleurs, avec la composition du quartier dans lequel se trouve le logement : la discrimination diminue significativement lorsque la part des minorités dépasse 40 %. L’étude suggère la présence d’un point de basculement dans la composition ethnique des quartiers qui peut conduire les propriétaires à discriminer davantage pour éviter ce basculement.
Comment lutter contre ces discriminations ?
Une dernière étude par test par correspondances fournit une réponse originale. Elle consiste à évaluer l’effet d’un courrier nominatif de rappel du cadre légal adressé à des agences immobilières.
L’étude porte sur 343 agences immobilières réparties au hasard en deux groupes. Le premier groupe a été destinataire d’un courrier de sensibilisation signé par le Défenseur des Droits leur indiquant qu’elles font l’objet d’un testing et leur rappelant le cadre légal et les sanctions auxquelles elles s’exposent. Le deuxième groupe ne reçoit aucun courrier.
L’évaluation consiste à tester l’ensemble de ces agences durant les deux années suivant la réception du courrier. Les résultats indiquent que le testing, qui rend la menace de sanction juridique crédible, est un puissant réducteur de discriminations. Il réduit significativement la discrimination à l’encontre du candidat appartenant au groupe minoritaire pendant les deux années qui suivent l’envoi du courrier.
A notre connaissance, cette étude est la seule évaluation qui montre de façon rigoureuse qu’une action de lutte contre les discriminations peut être efficace si elle rend crédible l’application du cadre juridique.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave Eiffel