COVID - Une situation catastrophique à l’horizon pour la Corée du Nord ? Pyongyang a annoncé ce vendredi 13 mai son premier mort du Covid-19, précisant que le virus s’est déjà répandu à travers tout le pays, une “fièvre” s’étant “propagée de manière explosive dans tout le pays à partir de la fin avril” selon l’agence de presse officielle KCNA.
La Corée du Nord s’était jusqu’ici vantée de sa capacité à tenir le virus à distance, et n’avait pas signalé à l’Organisation mondiale de la santé le moindre cas confirmé de Covid-19. Le pays avait été l’un des premiers à fermer ses frontières en janvier 2020 après l’apparition du virus en Chine voisine et sa politique d’isolement strict a semblé tenir dans un premier temps le virus à distance pendant deux ans selon les déclarations officielles. Une affirmation régulièrement mise en doute par plusieurs experts.
Pour Lina Yoon, chercheuse principale sur la Corée à Human Rights Watch citée par The Guardian, le fait que le régime admette cette vague de virus au sein du pays est “extrêmement préoccupant”. “La situation de santé publique doit être grave”, estime également Leif-Eric Easley, professeur à l’Université Ewha de Séoul. Une épidémie de Covid-19 pourrait en effet s’avérer désastreuse pour la Corée du Nord.
L’un des pires systèmes de santé au monde
Tout d’abord, le système de santé est officiellement l’un des pires au monde, classé 193e sur 195 pays, selon une enquête de l’université Johns Hopkins en 2021. Selon les autorités, les soins de santé sont gratuits pour tous, mais les ONG affirment que la population doit depuis longtemps payer les services médicaux essentiels, généralement en cigarettes ou en alcool.
Les familles des patients doivent acheter des médicaments au marché noir, et les médecins sont contraints de pratiquer des soins clandestins pour gagner leur vie, note Sokeel Park de l’organisation Liberty in North Korea.
“Les revenus des médecins ne sont certainement pas bas selon les normes nord-coréennes, mais même avec cela, il est difficile d’acheter un kilo de riz”, déclare à l’AFP le chercheur Choi Jung-hun.
Il n’y a pas d’hôpitaux équipés d’unités de soins intensifs dans les zones rurales ou les petites villes, où vit la majorité des 25 millions d’habitants du pays, ajoute ce transfuge qui a travaillé comme médecin au Nord. Selon les chercheurs, le pays ne dispose pas non plus de centres de quarantaine équipés de systèmes de pression atmosphérique négative, ni de systèmes de stockage réfrigérés nécessaires à la distribution de vaccins à ARNm.
Une population pas vaccinée...
Comptant sur ses mesures draconiennes contre le Covid, Pyongyang a semble-t-il estimé qu’il n’était pas nécessaire de vacciner sa population.
L’année dernière, le pays a ainsi rejeté une offre de trois millions de doses de vaccin chinois, suggérant qu’elles soient données aux “pays qui en ont le plus besoin”. Il a également refusé une offre de la Russie et le vaccin AstraZeneca proposé dans le cadre du programme Covax de l’OMS.
Ces dernières heures, la nouvelle administration du président Yoon Suk-yeol en Corée du Sud a proposé d’envoyer des vaccins au Nord, mais a admis qu’elle n’en avait pas encore discuté avec Pyongyang. Selon l’OMS, la Corée du Nord et l’Érythrée sont les seuls pays à ne pas avoir lancé de campagne de vaccination.
Le système de santé défaillant de la Corée du Nord aurait probablement du mal à aider les personnes souffrant d’effets secondaires des vaccins, ce qui pourrait expliquer le rejet des dons de vaccins, selon les experts.
... Et pas en état de lutter contre le virus
Enfin, les informations sur la santé de la population sont parcellaires mais l’Organisation mondiale de la santé a déclaré en 2018 que les maladies non transmissibles comme le diabète sont responsables de 84% des décès en Corée du Nord.
A cela s’ajoute une malnutrition généralisée, causée notamment par une “crise alimentaire” officialisée par les médiats d’Etat l’année dernière, et une pénurie de médicaments.
“La plupart des Nord-Coréens souffrent de malnutrition chronique”, explique Lina Yoon, chercheuse pour Human Rights Watch, ajoutant qu’après deux ans de blocus aux frontières, “il n’y a presque plus de médicaments”.
On pense par ailleurs que la malnutrition affecte la qualité de la réponse immunitaire d’un individu à la vaccination - ce qui signifie que le pays pourrait également avoir besoin d’une aide alimentaire importante pour réussir sa campagne d’inoculation.
“La plupart des Nord-Coréens souffrent de malnutrition chronique et ne sont pas vaccinés, il n’y a pratiquement plus de médicaments dans le pays et l’infrastructure sanitaire est incapable de faire face à cette pandémie”, résume Lina Yoon.
Pyongyang va-t-il demander de l’aide internationale ?
La Chine, la Corée du Sud et l’OMS ont immédiatement offert leur soutien, le nouveau gouvernement de Séoul se disant dit prêt à envoyer des vaccins. Mais le régime de Kim Jong Un, qui a procédé au tir d’essai de trois missiles balistiques interdits quelques heures après l’annonce des premiers cas de Covid, ne semble pas vouloir saisir la main tendue.
Pourtant, les experts estiment qu’ils n’auront peut-être bientôt plus le choix. En annonçant publiquement faire face à une épidémie massive dans des médias anglophones, le régime envoie un “message indirect selon lequel le Nord pourrait demander une aide en matière de vaccins aux États-Unis ou à des organisations internationales à l’avenir”, estime Yang Moo-jin, professeur à l’Université des études nord-coréennes.
En attendant, le pays a déclaré passer en mode “prévention d’urgence maximale des épidémies”. L’agence KCNA a affirmé dans la foulée que Kim Jong Un s’était rendu au siège national de la prévention des épidémies où il a “pris connaissance de la propagation du Covid-19 dans tout le pays”.
À l’heure actuelle, le bilan officiel et donc sans vérification possible, fait état de six personnes décédées, victimes de “fièvre”, dont une testée positive au sous-variant BA.2 d’Omicron, a indiqué KCNA. “Plus de 350.000 personnes ont présenté de la fièvre en peu de temps et au moins 162.200 d’entre elles sont complètement guéries”, a détaillé la même source. “Rien que le 12 mai, quelque 18.000 personnes ont eu de la fièvre à travers tout le pays et, à l’heure actuelle, 187.800 personnes sont isolées et soignées”.
Le HuffPost