Quelques dizaines de médecins ont manifesté, mardi, devant le ministère de la santé à Paris. Toutes et tous sont égaré·es dans les méandres de l’administration, depuis deux, trois ou quatre ans. Toutes et tous ont obtenu leurs diplômes en dehors de l’Union européenne, exercent en France mais doivent obtenir une reconnaissance de leurs compétences. 4 500 Padhue (pour praticien·nes à diplôme hors Union européenne) exercent ainsi en France
Il y a tous les profils. Plusieurs sont des spécialistes aux compétences rares, comme ces trois oncologues qui exercent depuis leur arrivée en France à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), le plus grand centre de lutte contre le cancer en France. Ils veulent conserver leur anonymat, surtout parce qu’ils trouvent « humiliant » de crier ainsi sous les fenêtres de la nouvelle ministre de la santé, Brigitte Bourguignon.
L’une a obtenu son diplôme aux Philippines, une autre au Maroc, le troisième au Liban. Ils ont une trentaine d’années, ont la nationalité française. En France, ils ont donné tous les gages de leur grande compétence : ils ont passé avec succès l’examen de validation des connaissances, un concours très exigeant. Ils font de la recherche médicale, publient dans des revues. Ils ont multiplié les diplômes universitaires en France. « Nos CV de quinze pages sont excellents », disent-ils, eux qui travaillent « cinquante heures par semaine » dans leur hôpital. Mais avec huit à douze années d’expérience, ils gagnent toujours entre « 2 100 et 2 800 net ». « Nos carrières, nos salaires sont bloquées. »
Celle qui dysfonctionne, c’est l’administration française, qui accuse une à deux années de retard dans le traitement des dossiers de ces médecins. La situation est ubuesque : une loi en 2019 a élargi les conditions d’accès à la titularisation des médecins étrangers. Il y a deux voies d’accès possible : la première est un concours très exigeant, l’examen de validation des compétences, suivi de deux années de stage, avant un passage devant la commission d’exercice du Centre national de gestion, qui gère les carrières des praticiens hospitaliers ; une seconde voie d’accès a été ouverte aux médecins étrangers qui exercent depuis au moins deux ans à temps plein en France. Eux aussi peuvent prétendre à la titularisation en passant devant une autre commission, devant les agences régionales de santé (ARS) cette fois. La loi fixe aussi une limite : au 1er janvier 2023, les médecins étrangers devront avoir été titularisés ou quitter leurs postes.
Des milliers de dossiers en souffrance
Naturellement, les dossiers ont afflué : 4 500 médecins étrangers ont déposé leurs dossiers auprès des ARS, qui se sont ajoutés à ceux des huit cents médecins reçus chaque année à l’examen de validation des compétences. L’administration, débordée, ne suit pas. Fin mai, seuls huit cents dossiers ont été examinés en commission. L’échéance du 1er janvier 2023 ne sera donc pas tenue, et l’angoisse monte chez les candidat·es qui attendent tous et toutes d’être reçu·es en commission, quel que soit leur parcours.
« On appelle, on écrit des mails pour savoir où en est l’avancement de notre dossier, personne ne nous répond. On est traités comme des animaux », raconte une des oncologues de l’institut Gustave-Roussy Elle a réussi l’examen de validation des compétences en 2018, est en « stage » depuis quatre ans, au lieu de deux, dans l’attente d’être enfin convoquée en commission pour obtenir son statut de praticien hospitalier.
Autre parcours, celui d’Hanane Rimi, 38 ans. Médecin généraliste diplômée au Maroc, elle exerce depuis cinq ans en France, aujourd’hui comme gériatre à l’hôpital Rives de Seine à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Elle aussi a multiplié les diplômes en France (« une capacité de gériatre, un diplôme universitaire de diabétologie et d’échographie vasculaires »), publié des articles, trouvé sa place dans son hôpital, où elle est membre de la commission médicale d’établissement. Mais la docteure Rimi reste en CDD, pour 2 500 euros net par mois quand ses collègues en gagnent le double.
D’autres attendent depuis plus longtemps encore la reconnaissance de leurs compétences, par exemple cette médecin psychiatre de 54 ans. Diplômée en Algérie, elle exerce depuis vingt-deux ans en France. D’abord interdite d’exercer comme médecin, elle a débuté comme infirmière, puis est passée cadre. Elle a ensuite tenté l’épreuve de vérification des connaissances : « Il y avait quinze places en psychiatrie, nous étions des centaines, j’ai eu 13 de moyenne, il fallait avoir 16. » Mais les besoins en médecins sont tels en France qu’elle a finalement trouvé un chemin pour exercer son métier : « J’ai été recrutée comme médecin généraliste en psychiatrie, à condition d’obtenir un diplôme universitaire. Je me suis formée trois ans. Puis j’ai travaillé aux urgences psychiatriques, tout en multipliant les examens français : une capacité en médecine d’urgence, en médecine du sport, en gynécologie. »
L’hôpital psychiatrique où elle travaille, dans l’Essonne, ne fonctionnerait pas sans ces médecins à diplôme étranger, assure-t-elle : « Dans mon service, sur cinq médecins, quatre sont des Padhue. Je suis payée 3 000 euros net, quand mes collègues praticiens hospitaliers sont eux payés le double. J’ai pourtant les mêmes responsabilités, cela m’arrive de me retrouver seule à gérer les urgences psychiatriques de mon établissement. Et comme je gagne mal ma vie, je dois faire beaucoup de gardes. »
Elle en est convaincue : l’administration de la santé les maintient volontairement dans cette situation. « On ne peut exercer qu’à l’hôpital public, qui manque terriblement de médecins. On est une main-d’œuvre bon marché, on fait faire des économies. » Elle prévient : « Le jour où les médecins à diplômes étrangers décideront tous de se mettre en grève, l’hôpital français sera paralysé. »
Caroline Coq-Chodorge