Jean-Michel Blanquer, défait dès le premier tour des élections législatives, semble disposer encore de suffisamment de pouvoir au sein du gouvernement pour avoir obtenu qu’ordre soit donné à une présidence d’université de créer ad hoc un poste qui lui soit réservé. Je relaie ci-dessous le communiqué de presse du SNESUP-FSU en date du 21 juin, dans lequel le syndicat des enseignants du supérieur s’interroge sur ce qui permet à l’ancien ministre de l’Education nationale « de contourner toutes les procédures de recrutement et de mutation des enseignant·es-chercheur·es dans le service public de l’ESR ». Le passe-droit choque d’autant plus que l’université traverse la pire crise de sous-encadrement de son histoire, en particulier un manque cruel d’ouverture de postes d’enseignants-chercheurs et une pénurie de personnels administratifs qui met en danger les fonctions support des établissements. À ce sous encadrement chronique s’ajoutent de graves problèmes du système de recrutement des enseignants-chercheurs - voir ICI les propositions du collectif Rogue ESR - et un développement exponentiel de la précarité. C’est dans un tel contexte qu’un ministre défait imagine qu’il peut user en toute impunité d’un passe-droit scandaleux. Ce fait suscite quelques questions et nous invite à la réflexion.
La révélation par Mediapart de la création ex nihilo de ce poste aura des suites. Parmi les questions que pose cette affaire, il conviendra de pouvoir répondre à celles-ci :
1. Quel est le donneur d’ordre ? Le Rectorat de Paris est-il intervenu ? Ou est-ce la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, qui a donné l’ordre à la présidence de Paris 2 ? Ou bien encore l’Elysée ?
2. Jean-Michel Blanquer étant rattaché à l’université de Paris III, pourquoi n’a-t-il pas demandé sa réintégration dans cette université, qui est de droit, avant de formuler une demande de mutation à Paris 2 ? Serait-ce que la Sorbonne nouvelle serait trop « nouvelle » pour lui ? Y craint-il des cours accompagnés de crème chantilly ?
3. Pourquoi le président de l’université Paris 2 accepte-t-il de statuer sur une demande illégale ?
4. Que pense « France universités », la nouvelle association des présidents d’université, de la faveur accordée à Jean-Michel Blanquer et par conséquent des entorses flagrantes aux règles d’affectation et de mutation des enseignants chercheurs ?
La réponse à ces questions ne permettra pas cependant de comprendre les raisons qui ont poussé Jean-Michel Blanquer à se mettre dans cette nouvelle galère. Qu’est-ce qui a pu le pousser à commettre cet abus de pouvoir ? Je formule trois hypothèses.
La première hypothèse tient au travail de fond que Jean-Michel Blanquer a opéré pendant tout le premier mandat d’Emmanuel Macron pour orienter le système éducatif vers une privatisation larvée. Quand on soumet un service public aux intérêts du privé, il n’est pas étonnant que l’on conçoive comme naturelle la création d’un poste pour un chercheur « excellent », même quand il n’a plus rien cherché depuis vingt ans. Celui qui a travaillé à dénationaliser les concours et à favoriser les recrutements locaux s’est appliqué à lui-même la politique qu’il a cherché à promouvoir. Il privatise Paris 2 pour satisfaire ses intérêts personnels.
La seconde hypothèse tient au sentiment de toute puissance qui habite Jean-Michel Blanquer et structure son comportement politique. Rappelons que Jean-Michel Blanquer s’est singularisé ces cinq dernières années par sa capacité à empiéter systématiquement sur le champ de compétence de sa collègue Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Outre le sexisme crasse de cet exercice du pouvoir à l’endroit d’une collègue universitaire et d’une collègue ministre, ce comportement témoigne de la démesure qui habite le personnage. Ce fait ne dédouane en rien Frederique Vidal du caractère hautement délétère de sa politique.
La troisième hypothèse que je risquerai tient à ce qu’on pourrait nommer la haine de l’université. Je pense qu’on commet une grave erreur à considérer que Jean-Michel Blanquer est seulement un adversaire politique ou idéologique des études de genre, des recherches décoloniales ou des pensées de l’intersectionalité. Et de celles et de ceux qu’il a stigmatisé.es sous l’appellation diffamatoire d’« islamogauchistes ». En fait, la raison profonde du combat de Jean-Michel Blanquer contre ces disciplines, c’est tout simplement la haine. Une haine pour des savoirs qui remettent directement en cause la nature et l’exercice de son pouvoir. Jean-Michel Blanquer, c’est la haine des théories critiques et de la liberté académique. Mais il incarne également un sentiment d’impunité dont sont gavés les hommes du président, parmi lesquels Darmanin, Abad, quelques autres ... et « feu » Castaner, dont personne n’oubliera la responsabilité insigne dans la répression sanglante du mouvement des gilets jaunes.
Jean-Michel Blanquer, comme bien de ses collègues, fut le ministre de la déraison. On le sait, l’excès de pouvoir peut provoquer des pathologies. Parmi celles-ci, l’hybris semble toucher un nombre conséquent de personnages qui gravitent autour du président. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer qu’il existe des liens structurels entre l’exercice vertical et autoritaire du pouvoir et les comportements sexistes. Les hommes du président aiment l’autorité. La chose a été largement documentée : le macronisme se caractérise par l’exercice d’une violence politique protéiforme. C’est pourquoi les hommes du président n’ont aucune difficulté idéologique à se rapprocher de l’extrême droite.
Dans la mythologie grecque l’hybris trouve son châtiment dans la némésis qui fait se rétracter l’individu à l’intérieur des limites qu’il a franchies. L’hybris de Jean-Michel Blanquer n’a visiblement pas encore trouvé ses limites par la sanction électorale. Faudra-t-il que son déshonneur naisse de la réprobation unanime de ses pairs et de la condamnation morale du plus grand nombre ? Ou bien que de telles pratiques qui bafouent l’éthique et le droit, alimentent tant la colère populaire que celle-ci ne pourra que s’exprimer dans la rue ?
Pascal Maillard