Interrogé par la presse, Elio Di Rupo a déclaré : « Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée de transposer un impôt sur les entreprises vers une taxe sur le CO2 ». (1) Dans sa réponse aux associations, le PS met en avant deux arguments : 1°) « Nous craignons qu’une fois encore ce soient les plus défavorisés qui pâtissent en premier des effets de cette taxe », et 2°) « Le principe de la fiscalité écologique pour le PS reste qu’il doit exister pour chacun une réelle alternative au comportement qu’on entend modifier par la fiscalité » (2).
Les promoteurs du Pacte écologique ne semblent pas disposés à prendre ces objections en considération. Pour eux, la taxe carbone est devenue la pierre de touche de toute politique écologique. Celui qui la refuse se démasque, prouve qu’il n’est pas sincère dans son engagement environnemental et doit être mis au pilori. Ecolo renchérit. Cette manière de décréter ce qui est « écologiquement correct » est assez irritante… Entendons-nous bien : si les associations exigeaient des partis qu’ils s’engagent à mener une politique permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80% à l’échelle mondiale d’ici 2050 à 2070 nous n’aurions aucune objection. En effet, cette réduction est nécessaire, selon les scientifiques, pour ne pas dépasser 2°C de hausse de la température. Mais la taxe carbone, elle, ne découle d’aucune contrainte physique de ce genre, d’aucune loi naturelle. Ce n’est qu’un moyen, qui relève d’une logique politique. D’autres moyens sont parfaitement envisageables, en fonction d’autres logiques. Refuser de les discuter revient à étouffer la politique.
Depuis 1988, le PS au gouvernement gère la politique néolibérale aux dépens de l’environnement et des acquis sociaux. Mais on peut n’avoir aucune sympathie pour ce parti et admettre que ses arguments, dans ce cas précis, ont une certaine pertinence. C’est peu dire en effet que les plus défavorisés risquent de pâtir de la taxe carbone : selon le rapport du GIEC présenté à Bangkok, il faudrait que le prix du CO2 soit fixé à 100 dollars/tonne pour que les émissions globales de gaz à effet de serre diminuent de 23 à 46% en 2030 (3). Mille litres de mazout équivalant à 2,5t de CO2, chacun peut calculer sa facture et constater qu’elle est loin d’être négligeable ! Les associations disent que la taxe serait modulée selon les secteurs : 40 Euros/t pour le chauffage, 80 Euros pour le transport... et 20 Euros à peine dans l’industrie (pour ne pas handicaper la compétitivité, sans doute ?). Or, ces montants sont insuffisants pour atteindre la moyenne de 100 dollars/t. Que dire alors de la taxe qui serait nécessaire pour atteindre 80% de réduction en 2050 ? Dans l’intérêt du débat, il serait intéressant que les associations avancent un chiffre à cet égard...
Un autre problème est l’idée de compenser la taxe par une diminution des « charges sociales » des entreprises. Elle découle évidemment du dogme libéral qui pose que « nos » entreprises sont étranglées par l’Etat. Dans la même veine, les associations environnementales décrètent que cette opération sera « favorable à l’emploi puisque la fiscalité baisse sur le travail » et que « la Belgique pourra mieux résister aux pays à bas salaires » (4), ce qui donne carrément raison aux économistes libéraux ! Pour notre notre part, nous avons déjà fait remarquer qu’un tel dispositif ferait un gros cadeau au patronat au détriment des travailleurs. Nous nous sommes basés notamment sur les simulations du Bureau du Plan, qui estime qu’arriver à 30% de réduction des émissions en 2020 par la voie fiscale impliquerait une hausse de 1,6% de la part dans le PIB des impôts indirects (les plus injustes des impôts). Par ailleurs, dans cette hypothèse, la diminution des cotisations patronales de sécurité sociale représenterait la bagatelle de 8969 millions d’Euros (3,9% de baisse du coût salarial !) (5). Nous parlons de « charges sociales » entre guillemets parce que les mots, ici, ont toute leur importance. En effet, ce n’est pas la « fiscalité sur les entreprises » (comme dit Di Rupo), et encore moins la « fiscalité sur le travail » (comme dit le Pacte écologique) que l’on envisage de raboter ainsi : c’est le salaire indirect, le salaire socialisé qui permet aux travailleurs de ne pas être totalement obligés de danser comme le productivisme siffle. Mettre cela en question est inacceptable... et incohérent, de la part d’associations qui prétendent éduquer les gens à résister aux sirènes du système.
Revenons à la taxe. Si elle réduit l’usage de combustibles fossiles, il va de soi que ses rentrées diminueront, de sorte que la Sécu pourrait manquer de ressources. Il s’agit là, on en conviendra, d’une objection sérieuse. Mais les auteurs du Pacte ne semblent guère s’en soucier. Voici leur réponse : « Si la fiscalité axée sur la dissuasion et le changement de comportement est un succès, les recettes générées diminueront à terme. Pour assurer l’assiette fiscale et l’équilibre de la Sécurité sociale, des taxes environnementales « de financement » (par exemple, pour les transports motorisés : la vignette autoroutière, la taxe de mise en circulation...) équilibreront les taxes « directrices », celles qui induisent des changements de comportement ». Cette réponse manque vraiment de sérieux, surtout que ces mêmes associations plaident par ailleurs - et à juste titre - pour une conversion de la route vers le rail !
Nous espérons avoir montré que la taxe carbone pose de sérieux problèmes. Ceux-ci ne devraient pas être laissés aux mains d’associations environnementales qui se soucient du social comme un poisson d’une pomme. Cependant, la réponse du PS est d’une faiblesse évidente, car il ne présente aucune alternative à la hauteur de l’enjeu. Di Rupo est réticent face à la taxe, mais il n’a pas de stratégie offensive pour que la Belgique contribue sérieusement à réduire les émissions de 80% à l’échelle mondiale avant la fin du siècle. Il y a un an, le PS captait l’attention complaisante des médias avec un colloque sur le changement climatique. Le message consistait seulement à dire aux gens : éteignez les lumières, mettez un couvercle sur les casseroles, baissez le thermostat d’un degré. Quelques mois plus tard, les bourgmestres PS signaient un charte sur le climat. Récemment, le sénateur Jean Cornil faisait un coup médiatique en proposant que le développement durable soit inscrit dans la constitution, et son interview sur le site du PS remettait une fois de plus l’accent sur les « gestes quotidiens » que chacun doit faire pour sauver le climat. De la communication, encore de la communication...
D’un point de vue de gauche, il y aurait pourtant des choses à proposer pour lutter contre le réchauffement. D’un côté il y a seize millions de chômeurs dans l’Union Européenne. De l’autre il y a une gigantesque transformation de l’économie, des transports, du logement, à réaliser dans des délais relativement brefs. Face à un système libéral qui réagit trop peu, trop tard, et en aggravant l’injustice sociale, n’y a-t-il pas là une formidable occasion de réhabiliter les notions de planification, d’initiative publique, de fraternité mondiale, de redistribution des richesses et d’utilisation des savoirs scientifiques au profit de la collectivité ? Si le PS prenait au sérieux ses discours sur « l’écologie sociale », c’est ce qu’il ferait. Mais, avec des « si », on met Paris en bouteille, et Sarkozy avec !
Notes
(1) Métro, 25/5/07
(2) En ligne sur www.pacte-ecologique.be
(3) Dans le scénario SRES A1B. IPCC AR4, WGIII, SPM, p. 11
(4) Acte écologique.be, p. 104.
(5) JDM du....