La précarisation des travailleurs-euses agricoles en Suisse est due principalement à cinq raisons :
1. L’absence de vraies dispositions légales contraignantes qui permettraient une adéquation aux normes de travail usuelles en Suisse. Pour des raisons historiques et avec la complicité évidente des milieux paysans dominants, la main d’œuvre agricole n’est pas soumise à la Loi sur le Travail (LTr). Alors que les rythmes de travail s’accélèrent et que la majorité de l’emploi agricole est soumise à des cadences industrielles (production et conditionnement), la régularisation du temps de travail est laissée aux seuls cantons qui ont l’obligation d’édicter des contrats-types de travail, auxquels il peut être dérogé par contrat écrit. Le travail hebdomadaire fluctue de ce fait très fortement, entre 48 et 66 heures, selon les cantons et le statut du travailleur, qu’il soit engagé à l’année ou saisonnier. La grande majorité des CTT cantonaux ne reconnaît pas de salaire minimum. L’Union Suisse des Paysans (USP) recommande un barème salarial qui permet de rémunérer 55 heures hebdomadaires pour un salaire mensuel de 3020 Fr. soit un salaire horaire de 12 francs et 69 centimes, ceci brut, les cotisations sociales (AVS, chômage, accident, comme le logement et nourriture, etc.) étant encore déduites. Le salaire peut être évidemment moindre, pour autant que le producteur trouve du personnel, ce qui est courant pour des personnes sans permis de travail (Sans-Papiers).
2. Une très faible organisation syndicale des employé-e-s agricoles. Alors que dans quelques cantons, romands notamment, l’organisation syndicale a permis des améliorations, la représentation syndicale reste faible dans les autres. Aujourd’hui, le syndicat majoritaire UNIA reconnaît la nécessité d’intensifier les efforts afin d’obtenir une réglementation nationale pour les salarié-e-s de l’agriculture et relance le débat et la mobilisation avec d’autres syndicats régionaux.
3. L’intransigeance de l’USP et du monde politique face aux revendications justifiées des travailleurs agricoles. Les coûts à la production augmentent et les revenus agricoles sont sous pression, ceci dû à la libéralisation des marchés. Le maillon le plus faible de la chaîne de production, la main d’œuvre agricole, est déconsidéré par les organisations des producteurs. L’ouvrier-ère agricole n’est pas perçu comme partenaire social, il n’a pas réussi, à l’exemple de l’ouvrier-ère industriel, à s’affranchir aux cours des luttes sociales qui ont fait suite à l’industrialisation dès la fin du XIXe siècle. L’USP a mis en consultation, du bout des lèvres, un projet de convention collective, convention sans salaires minimums et avec des horaires de travail de 50 et 55 heures. Il va sans dire que ses propres troupes rejettent ce projet minimaliste, le trouvant trop contraignant, à l’instar de l’Union Maraîchère Suisse (UMS) dont les membres sont les principaux employeurs de main d’œuvre agricole. Il faut par contre relever que certaines organisations agricoles minoritaires, à l’exemple du syndicat paysan UNITERRE, prennent position en faveur d’une juste rémunération des employé-e-s agricoles et participent activement à la Plate-forme pour une agriculture socialement durable. [...]
4. Les consommateurs-trices ne sont aujourd’hui que très mal informés et peu conscients des conditions sociales de la production des denrées alimentaires indispensables à l’alimentation quotidienne. L’écologie et la protection des animaux ont fait leur place dans la législation, à juste titre ! Les conditions sociales du petit producteur ou de l’employé-e agricole manquent fortement dans la réflexion et n’ont qu’une infime influence sur le choix des aliments qui atterrissent dans le panier d’achat. Les consommatrices-teurs jouent un rôle important, rôle qu’il s’agit de renforcer en faveur de conditions de travail équitables.
5. Et enfin les principaux intéressés : les travailleuses-eurs agricoles. Le travail agricole ne jouit pas d’un grand prestige pour les raisons évoquées plus haut. Les Suisses ne veulent pas exécuter des tâches répétitives dans de mauvaises conditions. Plus de la moitié des employé-e-s agricoles, quelque 20000 personnes, engagées à l’année ou pour des travaux saisonniers, sont d’origine étrangère. Alors que les employé-e-s suisses, qui sont majoritairement à des postes de responsabilités, arrivent à mieux défendre individuellement leurs conditions de travail, les travailleurs-euses étrangers, souvent saisonniers, doivent se soumettre aux conditions cadres énumérées plus haut. Parmi les travailleurs-euses étrangers, nous estimons le nombre de Sans-Papiers à quelque 8000 personnes. Celles-ci sont sans aucun doute les plus vulnérables. [...]
Conclusions : l’industrialisation de l’agriculture renforce évidemment la pression sur les petits producteurs et la maind’œuvre agricole, tout en précarisant les conditions de travail.
Nous avons besoin :
– De conditions légales de travail pour l’agriculture, qui doivent être en adéquation avec le niveau de vie et les normes de travail usuelles en Suisse.
– D’un travail syndical de proximité et de défense des intérêts des travailleurs et travailleuses agricoles accru.
– D’une attitude offensive en faveur de la main-d’œuvre agricole de la part de l’USP et des organisations y étant affiliées, soit la reconnaissance des travailleurs et travailleuses agricoles en tant que partenaires sociaux.
– D’un large débat sur la souveraineté alimentaire qui permettra de situer la production agricole dans un contexte global. Cette réflexion permettra également aux consommateurs de prendre position quant aux conditions sociales requises pour les produits agricoles d’importation ou de production nationale.
– D’une législation, qui régularise le statut des milliers de travailleurs agricoles Sans-Papiers, en Europe comme en Suisse.