Au théâtre de St-Gervais [Suisse], du 29 mai au 10 juin, Juliette Ryser et Virginie Lutz s’emparent de courts textes de Franca Rame et Dario Fo, affichant un même goût pour la théâtralité brute, une proximité avec le public, une parole féminine ardente et un corps-à-corps avec la réalité crue. Dario Fo : « Ecoutez ce silence, quel grand fracas il porte en lui ; et rien ne sert de se couvrir les oreilles. »
Médée et autres récits de femmes,
de Franca Rame et Dario Fo
mise en scène Jérôme Richer
jeu Virginie Lutz
Les récits de femmesracontent leur oppression à travers l’histoire, la libération des femmes pour laquelle Franca Rame et Dario Fo se sont engagés comme acteurs du mouvement social, luttant pour le droit au divorce, à l’avortement, contre les discriminations sexuelles et les inégalités imposées aux femmes.
Dans sa mise en scène, Jérôme Richer épure, trace les voies, libère la parole. Virginie Lutz nous fait plonger et replonger en apnée. Elle nous raconte minutieusement un viol collectif dans une camionnette. Dans un registre polyphonique, parfaitement maîtrisé, elle incarne, ou désincarne, également Médée, femme trahie, humiliée, exploitée qui veut retrouver sa nature sauvage.
Virginie Lutz habite avec justesse Ulrike Meinhof. Moi, Ulrike, je criedécrit les séjours de la militante de la RAF dans le « quartier de la mort », cellule de privation sensorielle, humiliations... Ses mots terminent un interrogatoire par un cri d’espoir, un terrible éclat de rire.
Femmes modernes et antiques, violentées, violées, voilées. De nombreuses avancées ont été réalisées, mais il reste à faire et certains acquis sont précaires. De nouvelles formes de lutte féministe sont apparues ces dix dernières années. Quels sont leurs enjeux actuels ?
Faisons un rêve : et si, un jour, on pouvait se passer du féminisme ?
Mistero buffo, de Dario Fo
dramaturgie et mise en scène : Juliette Ryser et Eric Salama
jeu : Juliette Ryser et Freddo l’Espagnol
Dario Fo : « L’ouvrier connaît 300 mots, le patron 1000, c’est pour ça qu’il est le patron »
Le deuxième duo, Juliette Ryser et Eric Salama, offre cette relecture grotesque de scènes bibliques, d’histoires désopilantes et graves aux échos universels. Selon le pape, Mystère Bouffe offense « les sentiments religieux des Italiens ». La pièce est censurée, le couple Franca Rame-Dario Fo reçoit de nombreuses menaces. « Mistero buffo est une farce sur Boniface VIII et sur le pouvoir temporel. Elle attaque simplement une façon bornée de concevoir la religion, comme un outil pour contrôler les ignorants » explique Dario Fo.
Juliette Ryser invite le public à la suivre au Temple St-Gervais, balade qui rappelle l’origine médiévale de ces fables cruelles en forçant l’éveil du spectateur.
Habile saltimbanque, troubadoure et agitatrice, elle revêt de multiples personnages : les soldats du Massacre des Innocents, une mère folle, l’aveugle et le boiteux miraculés (miracle malheureux car leur guérison les plonge aussitôt dans le monde brutal du travail), ou encore une Madone démystifiée.
Ces textes sont dits pour la première fois par une femme, donnant une résonance nouvelle et inattendue. Une exception : Freddo l’Espagnol joue La naissance du jongleur, récit sur les origines du théâtre. Origines de l’exploitation et du théâtre et pourquoi le théâtre ne peut être que politique.
La parole est une arme, ni langue de bois, ni catéchisme moralisateur, elle exprime pour Franca Rame et Dario Fo la verve et l’insolence à l’état pur, le comique vengeur, au service sans cesse renouvelé de la liberté.
La proposition des couples d’artistes n’est pas moins intelligente et porteuse que leurs spectacles, voyant le public comme acteur : « Comme à l’époque où ces pièces ont été jouées, années 70, elles sont destinées à sortir du théâtre, à être jouées pour des associations, des écoles, maisons de quartier, entreprises... Notre spectacle peut s’intégrer dans une manifestation favorisant des moments d’échanges, de débats sur l’oppression des femmes dans notre société. Dans la version alors proposée, les prologues précédant les histoires seront développés en fonction des préoccupations spécifiques du public. L’artistique et le social doivent se rencontrer. L’art nous offre la possibilité d’aborder des problématiques parfois complexes sous un angle que le social ne permettrait pas. Le théâtre peut aujourd’hui encore redevenir un espace de paroles, un véritable espace démocratique. »
Sources : entretiens de Franca Rame et Dario Fo, dossier de presse TSGG
Réservation 022 908 20 20