Pièce centrale du Protocole de Kyoto, le marché des droits de polluer est gangrené par l’effet d’aubaine, la fraude et la corruption. C’est ce qui ressort d’une enquête de Nick Davies, dans le Guardian. L’auteur conclut que 20% des droits d’émission acquis sur le marché ne correspondent à aucune diminution réelle des émissions (1). Selon lui, le dispositif génère d’énormes profits pour les entreprises, mais son efficacité dans la lutte contre le réchauffement doit être sérieusement mise en doute. Une conclusion plutôt gênante pour les grands de ce monde qui, de G(lobal) W(arming) Bush à l’Ange(la) climatique Merkel, sont tous d’accord pour étendre et approfondir le marché des droits d’émission, en particulier le fameux Mécanisme de Développement Propre (MDP)…
Rappel : dans le cadre de Kyoto, plusieurs mécanismes sont sources de droits d’émission. 1°) au sein des pays développés qui ont ratifié le Protocole, les entreprises qui ont fait mieux que leurs objectifs de réduction peuvent vendre leur surplus. En pratique, ce système fonctionne surtout sur le marché européen d’échange de droits. 2°) plusieurs pays développés ayant ratifié Kyoto peuvent réaliser un investissement commun de réduction, ou mise en œuvre conjointe (MOC). Ce système permet par exemple aux entreprises européennes d’obtenir des droits correspondant à des investissements « propres » dans les pays de l’ex-Europe de l’Est. 3°) un système analogue (le MDP) génère des droits en faveur des entreprises et pays du Nord qui réalisent un investissement « propre » dans des pays du Sud non soumis à engagement de réduction.
Mais le MDP n’a de propre que le nom. Le système est particulièrement propice aux mécanismes de corruption, puisque les réductions d’émissions doivent être certifiées par des entreprises spécialisées et que celles-ci sont payées… par les dirigeants des projets qu’elles vérifient. Par ailleurs, une instance internationale (CDM Board) doit estimer si les projets réduiront les émissions par rapport à un scénario de référence - ce qui n’est pas évident. Exemple : le géant minier sud-africain Sasol demande que la construction d’un pipe-line gazier à partir du Mozambique génère pour lui la possibilité de vendre des droits. Argument : sans le pipe-line l’entreprise continuera à brûler du charbon, donc émettra plus de CO2. Argument recevable ? Ou tentative de profiter de l’aubaine MDP pour faire un profit extra ? Sasol a été recalée, mais d’autres ne l’ont pas été : selon le Guardian, 53% des droits certifiés viennent de six gros projets de combustion du gaz HFC-23. Sous-produit de la fabrication de HCFC (un réfrigérant), ce gaz a un pouvoir radiatif 11700 fois supérieur à celui du CO2, de sorte que chaque tonne brûlée procure 11700 crédits de carbone à vendre sur le marché des droits. Prix de revient : 1 Euro/tonne. Prix de vente : autour de 10 Euros (2). L’affaire est tellement juteuse que les entreprises ont augmenté la production de réfrigérant. Pour brûler davantage de HFC-23, donc vendre plus de droits !
Le scandale n’est pas limité au tiers-monde. Nous avons déjà dénoncé la bonne affaire réalisée par le secteur britannique de l’électricité : 800 millions de Livres sterling de bénéfices en vendant le surplus de droits généreusement alloués par le gouvernement, dans le cadre du système européen d’échange de droits (3) ! Mais les électriciens ne sont pas les seuls, selon le Guardian : Esso 10 millions ; BP 17,9 millions ; Shell 20,7 millions…
La soi-disant stratégie libérale de lutte contre le changement climatique engraisse les responsables du changement climatique ! Voilà la réalité, qui perce dans l’enquête du Guardian. Et ça ne risque pas de s’arranger. Dans son rapport adulé par la Commission Européenne, Nicholas Stern a proposé que le MDP soit libéré de toute entrave, ce qui permettrait, selon lui, d’en multiplier l’effet par quarante… Quarante fois plus de corruption et de profits frauduleux ? On n’arrête pas le progrès !
Notes
(1) « Truth about Kyoto : Huge Profits, Little Carbon Saved », The Guardian, 2 juin 2007. Voir en anglais sur le site d’ESSF : Nick Davies : Truth about Kyoto: huge profits, little carbon saved
(2) The Economist, 2/6/07.
(3) The Economist, 9/9/2006.