La croissance française a rebondi entre avril et juin. Selon la première estimation de l’Insee publiée vendredi 29 juillet, le PIB français a progressé de 0,5 % au deuxième trimestre de l’année. Après le recul de 0,2 % du premier trimestre, l’économie française évite donc la récession dite « technique », définie par deux trimestres de suite de contraction. On pourrait même croire qu’elle rebondit fortement, ce qui semble remarquable dans un contexte mondial troublé.
[Tableau non reproduit ici.]
L’Insee avait en effet prévu une hausse de 0,2 % sur ces trois mois. De fait, la France semble bien résister puisque la croissance allemande a été annoncé par l’office fédéral des statistiques à 0 % sur le même trimestre. Mais il faut garder la tête froide. D’abord parce que cette première estimation peut être révisée (au premier trimestre, l’Insee avait d’abord prévu une stagnation), ensuite parce que ce chiffre est inférieur à celui de la zone euro publié par Eurostat : + 0,7 %, principalement porté par l’Espagne et l’Italie). Mais aussi parce que, comme toujours, le diable est dans les détails.
La consommation en berne, le tourisme étranger en soutien
Le chiffre publié ce vendredi reflète à la fois une poursuite de la dégradation de la situation interne du pays et des éléments exceptionnels extérieurs. Le poste principal de la croissance française, celui qui constitue près de la moitié du PIB français, à savoir la consommation des ménages, a continué à se replier. Après un recul de 1,3 % au premier semestre, cet indicateur s’est contractée de 0,2 % au deuxième. Une telle baisse sur deux trimestres est très rare en France : au cours des dix dernières années, elle ne s’était produite que début 2020, sous l’effet de la crise sanitaire.
C’est un élément à la fois inquiétant et logique. Logique puisque la politique du gouvernement consiste à laisser les salaires perdre de la valeur réelle face à la forte hausse des prix prix en cours. Les ménages ont adapté leurs dépenses à cette perte de revenu réel.
Mais cela est aussi inquiétant parce que le processus est plus fort qu’attendu, et que la baisse s’est produite en dépit de la revalorisation automatique du salaire minimum le 1er mai. Concrètement, malgré la croissance apparente du PIB, la situation globale des ménages se dégrade. Et c’est en grande partie la stratégie du gouvernement : pour amortir l’inflation, les ménages doivent « ajuster », tandis que les entreprises doivent être préservées.
Face à cette stratégie, et en dépit de la croissance annoncée, on ne peut s’empêcher de constater une forme d’affaiblissement structurel de l’économie française. Certes, l’investissement des entreprises continue d’augmenter (0,8 % sur le trimestre, après 0,3 % au premier trimestre), mais sa structure ne rend guère optimiste.
Ce sont les postes « information-communication » et « services aux entreprises » qui ont principalement augmenté, respectivement de 1,8 % et de 1,7 %. Schématiquement, cela signifie que les entreprises ont acheté du matériel informatique et des services de maintenance. Il y a là, sans doute, les suites de l’évolution vers la pérennisation du télétravail dans de nombreuses entreprises. L’investissement en biens manufacturés, qui correspond très largement à des améliorations concrètes de l’appareil productif, stagne, lui, au deuxième trimestre.
Finalement, en ajoutant la hausse de 0,5 % des investissements des ménages, qui représentent des achats de logement (lesquels se sont accélérés avant l’arrivée de la hausse des taux), la demande intérieure stagne en France au deuxième trimestre.
[Tableu non reproduit ici. Le PIB français et ses composantes. © Insee]
L’essentiel de la croissance de 0,5 % du PIB vient donc d’ailleurs. Et de fait, c’est le commerce extérieur qui a apporté 0,4 point de croissance à la France au deuxième trimestre. Or, là encore, il faut regarder de près, car il y a un effet déformant.
Compte tenu de la faiblesse de la demande intérieure, les importations françaises ont reculé de 0,6 % (avec notamment un recul de 1,5 % des achats de biens). Dans ces conditions, une hausse, même modeste, des exportations a un effet important sur le PIB. C’est ce qui s’est passé au deuxième trimestre.
Alors que la hausse des exportations totales n’est que de 0,8 % sur le trimestre – soit la moitié de celle constatée au premier trimestre –, la contribution du commerce extérieur à la croissance passe de 0,1 à 0,4 point. Mais il faut encore aller plus loin. Cette hausse des exportations ne reflète pas une amélioration de la compétitivité française, loin de là : les exportations de biens reculent sur le trimestre de 0,6 %, avec des baisses marquées dans les transports (− 3,8 %) et dans l’agro-alimentaire (− 1,7 %).
L’essentiel de la hausse tient aux services et en particulier, sur deux postes : les services de transport (+ 6,3 %) et les dépenses des voyageurs étrangers (+ 8,6 %). En d’autres termes, le « rebond » de la croissance française repose principalement sur le tourisme international.
Après deux ans de difficultés, les voyages touristiques, notamment en provenance de pays extra-européens, se normalisent et, la météo aidant, la France, destination vedette en ce domaine, en a pleinement profité. C’est aussi, du reste, ce qui explique les très bons chiffres des croissances italienne (+ 1 %) et espagnole (+ 1,1 %) sur ce trimestre.
On notera cependant que les dépenses des touristes à l’étranger, elles, se contractent de 2,2 % sur le trimestre. En d’autres termes, la France semble jouer, sur ce trimestre, une politique mercantiliste : elle comprime sa propre demande et sa contribution à la croissance mondiale, et profite des revenus provenant de l’étranger. Mais cette stratégie ne concerne que le tourisme, ce qui en fait une base bien fragile. On est donc loin de la certitude affichée en réaction à ces chiffres par le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire selon laquelle la France aurait des « fondamentaux solides ».
La grande inquiétude des ménages
Il faut donc prendre avec beaucoup de précautions ces chiffres. Les économies subissent en ce moment deux effets qui brouillent fortement la vision : l’inflation et les effets encore palpables de la crise sanitaire. C’est en partie ce qui explique l’effet yo-yo actuel, où la France passe de dernière de la classe à championne de la croissance d’un trimestre sur l’autre.
Il est sans doute plus utile de s’intéresser aux grandes forces qui s’appliquent sur les économies. Or, on constate actuellement à la fois une dégradation continue de la situation des ménages, un stockage continu des entreprises depuis trois trimestres, et un affaiblissement des grandes économies partenaires de la France.
Les perspectives sont plus qu’inquiétantes. Certes, le trimestre en cours sera sans doute encore soutenu par la pleine saison touristique et l’effet de normalisation des voyages post-covid. Mais cela ne doit pas faire illusion : le moral des ménages est au plus bas. L’effet de l’inflation sur leurs revenus les conduit à la plus grande prudence. C’est ce que l’on constate en observant l’indice de la confiance des ménages en juillet publié récemment par l’Insee.
L’indicateur synthétique de cette confiance est au plus bas, à 80. C’est un niveau qui n’a été pire qu’une seule fois, selon les données historiques de l’Insee enregistrées depuis octobre 1972 : en juin 2013. Au plus fort de la crise de 2008, cet indicateur n’était tombé qu’à 81.
[Tableu non reproduit ici. Indicateur de la confiance des ménages en France. © Insee]
Le plus préoccupant est que le sous-indice des perspectives d’évolution des revenus des ménages est également très bas, à − 72, ce qui, là encore, n’a été historiquement dépassé qu’une seule fois depuis 1972, en mai 2020, au plus fort de la crise sanitaire. À ces niveaux, il ne faut pas s’attendre à un rebond notable de la consommation, même si, encore une fois, l’effet vacances d’été peut jouer.
Les ménages sont profondément inquiets pour leurs ressources. Ils se montrent donc logiquement économes lorsqu’ils le peuvent. Le sous-indice concernant « l’opportunité de faire des achats importants » est ainsi à − 39 (après − 36 en juin). C’est, si l’on exclut les mois de mars et avril 2020, le plus bas niveau atteint depuis 1972. La moyenne de long terme de cet indicateur est de − 14.
Cela traduit la volonté des ménages français de concentrer leurs dépenses sur l’essentiel. Dans ce contexte, l’investissement des entreprises, une fois les effets liés au télétravail passés, ne saurait tenir. L’économie française, fondée sur les services, est très dépendante de la consommation. Sans perspectives de ce côté, la croissance est vouée à s’affaiblir.
Or les mesures prises par le gouvernement dans le dernier collectif budgétaire, discuté à l’Assemblée nationale et dans le paquet « pouvoir d’achat » récemment voté, restent peu convaincantes. Le message envoyé par le gouvernement est même en grande partie contre-productif.
La faiblesse de la réponse du gouvernement
La « ristourne » à la pompe de 30 centimes à partir de septembre, fruit d’un compromis entre la majorité présidentielle et Les Républicains, semble ainsi largement déconnectée de la réalité d’une inflation qui commence à gagner de l’ampleur au-delà même de la question du prix de l’essence.
Vendredi 29 juin, l’Insee a annoncé que l’inflation en France avait dépassé les 6 %, à 6,1 % sur un an en juillet. Les prix accélèrent de 0,3 point sur un mois, alors même que la hausse annuelle des prix de l’énergie ralentit. On est donc déjà dans un effet de second tour qui, puisque la demande des ménages ralentit, ne peut s’expliquer que par la volonté des entreprises de maintenir leurs marges en jouant sur les prix. C’est la fameuse boucle prix-profits.
Cela induit deux conséquences. D’abord, se concentrer sur les prix de l’énergie comme le fait le gouvernement, par le bouclier énergétique et la ristourne à la pompe, est insuffisant. Ensuite, il est urgent de mettre à contribution les entreprises pour casser la dynamique et rééquilibrer l’économie par la redistribution.
Mais là encore, Bruno Le Maire a refusé, malgré certaines demandes venant de ses propres rangs, d’avoir recours à une taxation exceptionnelle des surprofits. Quant à un contrôle des prix, il est hors de la discussion. Plus que jamais, le gouvernement refuse de prendre au sérieux l’inquiétude des ménages face à l’inflation. Ce vendredi, il l’a répété : la hausse des prix est juste « un cap à passer ». Et les français devront le franchir sans l’aide de l’État. Ce qui risque de transformer le cap en une péninsule...
Dès lors, la dynamique actuelle ne peut que se poursuivre et la situation de l’inflation en France n’a aucune raison de s’apaiser. La politique gouvernementale est d’autant moins un soutien pour les ménages qu’elle ignore la question centrale des salaires réels et que les revalorisations annoncées (autour de 4 % pour les prestations sociales et les retraites, et de 3,5 % pour les fonctionnaires) sont déjà largement dépassées par la dynamique inflationniste.
Enfin, le gouvernement joue avec le feu en tenant un discours de faucon sur les dépenses publiques. Dans la trajectoire budgétaire récemment envoyée à Bruxelles, il a promis de réduire ses dépenses pour maintenir son objectif d’un retour du déficit à 3 % du PIB en 2027. Avec une croissance de 0,6 % en moyenne par an, ces dépenses seraient donc sous pression permanente.
Compte tenu de l’état dégradé de la demande intérieure, c’est un message très négatif envoyé à l’ensemble de l’économie. On notera, d’ailleurs, qu’au deuxième trimestre, la consommation de l’État a reculé de 0,2 %, et ses investissements ont stagné sur trois mois.
Même s’il peut y avoir des rebonds conjoncturels, la consommation des ménages français reste sous la menace de l’inflation et de la politique du gouvernement, qui laisse l’essentiel des revenus sans protection face à la hausse des prix. Dans ces conditions, on ne peut que s’attendre à un second semestre difficile, alors même que les pénuries diverses et livraisons réduites de gaz russe menacent.
La dégradation de l’économie mondiale
À cela s’ajoute le contexte international global. Et il est, lui aussi, très dégradé. Là encore, le rebond touristique qui a soutenu la croissance en zone euro au printemps ne doit pas tromper. Les États-Unis sont déjà entrés en récession. Jeudi 28 juillet, le département du commerce a annoncé un recul du PIB au deuxième trimestre de 0,9 % en rythme annualisé, après − 1,6 % au premier trimestre. Le revenu réel des citoyens étasuniens a chuté de 0,5 % sur le trimestre.
De son côté, la Chine est aussi en grande difficulté. Selon le Bureau national des statistiques du pays, le PIB du deuxième trimestre s’est contracté de 2,6 % sur un trimestre et n’a progressé que de 0,4 % sur un an. La chute est particulièrement sensible dans l’immobilier, qui constitue l’essentiel de la richesse des ménages (− 7,7 % sur an) et dans les ventes au détail (− 1,8 % sur un an).
Cette situation a amené récemment le Fonds monétaire international (FMI) à se montrer particulièrement prudent et à revoir encore à la baisse ses prévisions de croissance pour 2022. Si la croissance mondiale doit encore progresser de 3,2 % sur un an, il ne faut pas oublier que cette hausse s’explique en grande partie par l’effet de la chute de 2020 et son impact sur la base de calcul du PIB de 2022.
Mais le FMI n’est guère optimiste : il a titré son rapport de juillet sur les perspectives mondiales : « morne et plus incertain ». Il est vrai que le resserrement monétaire engagé par la Fed et la Banque centrale européenne (BCE), mais aussi par la plupart des banques centrales, n’incite guère à l’optimisme sur les perspectives de croissance.
Les trimestres à venir ne sont guère encourageants. Outre la menace persistante du Covid-19, qui peut amener Pékin à refermer à nouveau son économie à tout moment, la crise ukrainienne ne semble pas en voie de règlement et pourrait donc donner lieu à de nouvelles poussées de fièvre sur les marchés de l’énergie et des matières premières.
Dans ces conditions, l’effet positif du tourisme sur l’économie européenne et française devrait rester limité. Chinois et Étasuniens vont immanquablement devoir réduire leurs dépenses de voyage. Bref, le pire semble encore à venir. La stratégie du gouvernement français, qui mise tout sur un hypothétique « plein emploi » apparaît donc comme, au mieux, décalée. Et au pire inquiétante quant à sa capacité de mener une politique économique adaptée à la situation.
Romaric Godin