Peux-tu rappeler les raisons de la colère et de la mobilisation des salariés de SFR Service client ?
Patrick Mahu - La direction de SFR Service client nous a annoncés, lors du comité central d’entreprise, le 23 mai dernier, la cession de trois sites - Toulouse, Lyon, Poitiers - à deux entreprises sous-traitantes, Teleperformance et Arvato. Selon notre direction, ces deux entreprises sont plus expertes que SFR dans la relation client et cette vente offrira aux 1 900 salariés concernés la possibilité d’une évolution professionnelle. Cette vente permettra surtout à SFR d’augmenter ses profits. Les dividendes versés aux actionnaires vont ainsi passer de 1,617 milliard d’euros en 2007 à 1,797 milliard d’euros en 2008. Selon un patron de centres d’appels, Éric Dahian, cette externalisation fera écono¬miser 50 millions d’euros à SFR.
Quel rôle jouent les employés du Service client de SFR ?
P. Mahu - Les chargés de clientèle du service client de SFR ont largement contribué à l’explosion de ces profits. Ils sont, depuis toujours, les « ambassadeurs » de la marque SFR. Ils ont commencé leur métier comme télé-opérateur sous-traitant, et ils ont gagné, grâce à la mobilisation de 1998, l’internalisation des services clients, qui emploient aujourd’hui près de 3 500 personnes. Mobilisation après mobilisation, les salariés de SFR ont toujours été le moteur des conflits sociaux dans le groupe, ce qui a permis d’arracher des acquis sociaux, comme une mutuelle, des titres restaurants, des temps de pause supérieurs au minimum légal, des RTT et de meilleures conditions de travail, mais aussi des augmentations de salaires supérieures à celles que nous proposait initialement la direction.
Le transfert du service à la sous-traitance signifie également un changement de convention collective pour les salariés...
P. Mahu - Aujourd’hui, nous sommes jetés comme des Kleenex, pour travailler dans des entreprises où les conditions de travail et les salaires sont catastrophiques, et où la convention collective - celle des prestataires de services - est la pire qui existe. Notre convention collective actuelle est celle des télécommunications. Lorsque nous sommes malades, nous n’avons aucun jour de carence. Avec celle des prestataires de services, c’est huit jours de carence avant de toucher notre salaire complet. Les exemples en ce sens sont nombreux. Mais SFR, malgré cette vente, peut se vanter publiquement d’être une « entreprise citoyenne », car elle a trouvé une super-astuce : le transfert d’activité par l’article L.122-12 du code du travail. Autrement dit, aucun licenciement n’est annoncé puisque les contrats de travail sont transférés. Les salariés qui refusent ce transfert sont licenciés pour faute. Elle est pas belle la vie ?
À l’annonce de ce transfert d’activité à la sous-traitance, quelles ont été les réactions des salariés ?
P. Mahu - Une révolte immédiate ! Spontanément, les salariés des sites concernés sont descendus pour s’organiser, monter une intersyndicale, créer un blog et reconduire des assemblées générales quasi quotidiennes. Mais même les salariés qui n’étaient pas concernés se sont également mobilisés, comme à Nantes et à Massy. Tout au long de la semaine, nous avons organisé différentes mobilisations - débrayages, pauses collectives. Certains, comme à Toulouse et à Nantes, ont participé au rassemblement des salariés de France Télécom, le 31 mai dernier. Nous avons, dès le début, voulu que notre combat soit connu à l’extérieur de l’entreprise, car nous savons que, pour affaiblir SFR, il faut lui faire de la « contre-pub ». C’est pour cela que nous avons utilisé le Web et créé notre blog, « SFRencolère », mais également pris contact avec des partis de gauche, le PS, le PCF et la LCR, qui nous ont tout de suite soutenus localement et nationalement. Une pétition en ligne a, très rapidement, recueilli plus de 2000 signatures.
Comment s’est déroulée la journée de grève et de mobilisation nationale, le 5 juin ?
P. Mahu - Énorme, du jamais vu ! Près de 3 000 salariés sur l’ensemble des sites ont débrayé, y compris les salariés de l’île de la Réunion (SRR). Partout, nous avons exigé le retrait pur et simple du projet d’externa¬lisation, que rien ne justifie. Plus de 600 salariés, venus de Toulouse, Lyon, Poitiers, Gentilly, Aix et Massy se sont retrouvés devant le siège de SFR, à La Défense, où l’ambiance était combative et festive. Nous avons eu beaucoup de soutiens de salariés du secteur des télécommunications et de personnalités politiques. Olivier Besancenot est venu nous soutenir, et il a promis de faire de la « pub » à SFR. Le PDG de SFR Service client a annoncé qu’il irait jusqu’au bout du projet, en dépit de la mobilisation.
Quelles sont les suites envisageables ?
P. Mahu - La déclaration du PDG ne change absolument rien à notre détermination ! Il espérait sans doute nous déstabiliser et nous déprimer. Mais, au contraire, il ne fait que radicaliser notre mouvement. Il se dit déterminé : cela tombe bien, nous aussi ! Aujourd’hui, la plupart des salariés réclament sa démission, ainsi que le retrait de son projet ! Nous ne nous laisserons pas faire ! Les clients de SFR sont avec nous. Nous recevons de nombreux mots de soutien via notre blog, et nous savons que des dizaines de clients ont d’ores et déjà résilié leur abonnement. Les clients de SFR crai¬gnent que la « qualité » du service ne pâtisse de cette externalisation. Ils ont raison : Teleperformance et Arvato sont plus connus pour développer les cadences infernales que pour favoriser la qualité. Nous continuons notre mobilisation sur tous les sites, afin que de véritables négociations aient lieu à propos de ce transfert d’activités. 1 500 salariés sur 1 900 n’en veulent pas. Nous refusons qu’ils soient licenciés pour faute. Le bras de fer ne fait que commencer.