« Je souhaite être remplacé » : les mots sont ceux de Jean-Luc Mélenchon, lors d’un entretien avec Reporterre, au cours duquel le fondateur de La France insoumise aborde la question sensible de sa succession. Le sujet s’est parfois immiscé dans les conversations pendant l’université d’été – les Amfis – de la France insoumise édition 2022, qui a donné lieu aux traditionnelles discussions sur les « refondations » à engager.
Dans le sillage du résultat de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (21,95 % des voix au premier tour) et des scores de la Nupes aux élections législatives, les débats ont beaucoup tourné autour de l’électorat cible de la France insoumise et des moyens à mettre en œuvre pour conquérir « ceux qui manquent », convaincre les « fâchés mais pas fachos » et partir à l’assaut des campagnes populaires, comme le martèle le député de la Somme François Ruffin.
D’autres enjeux, moins médiatisés, se jouent en interne concernant la structuration organisationnelle du parti, comme en témoignent l’intervention très remarquée de Clémentine Autain sur son blog personnel ou la récente contribution du sociologue Étienne Pénissat. Tous deux soulignent la nécessité de dépasser la forme originelle « gazeuse » du mouvement pour adapter son organisation à la séquence politique à venir.
Un cœur battant au Palais Bourbon
La France insoumise a tiré profit de la nouvelle donne parlementaire. Avec ses 75 élus, le parti a plus que quadruplé son nombre de députés. Surtout, les élections législatives ont propulsé à l’Assemblée nationale des chevilles ouvrières de LFI, à l’image de Clémence Guetté, jusqu’alors secrétaire générale du groupe parlementaire et coordinatrice du programme, ou de Paul Vannier, co-responsable de l’espace élections. Manuel Bompard, l’un des principaux stratèges du parti, a lui aussi migré du Parlement européen vers le Palais Bourbon.
Même en l’absence de Jean-Luc Mélenchon, dont le rôle à venir est encore incertain, le cœur du réacteur insoumis est plus que jamais implanté à l’Assemblée nationale. Cette phase de croissance institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives au mouvement créé en 2016 : accès à certains postes clés de l’Assemblée, visibilité médiatique accrue, doublement du financement public perçu chaque année, opportunités de professionnalisation pour des militants recrutés en tant qu’assistants parlementaires, etc.
Mais la centralité du groupe parlementaire dans l’ossature du mouvement soulève également nombre de questions quant à l’avenir d’une organisation jusqu’ici très centralisée et conçue sur mesure pour les campagnes électorales nationales.
Le mouvement « gazeux » à l’épreuve de l’implantation locale
La France insoumise figure parmi ces nouvelles entreprises politiques, à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement cinq étoiles italien, qui ont récusé dans les années 2010 les formes traditionnelles de structuration partisane pour revendiquer l’appellation de « mouvement ». Cela se traduit notamment par l’assouplissement de l’adhésion et l’absence de strates intermédiaires entre le groupe dirigeant et la base militante.
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La France insoumise n’a donc pas mis en place d’instances territoriales ni désigné ou élu des référents locaux. Ce choix tranche avec le fonctionnement d’autres grands partis, organisés en fédérations à l’échelle des départements, ou des régions pour Europe Écologie–Les Verts. À LFI, le maillage territorial repose tout entier sur les groupes d’action (GA) qui réunissent les militants à l’échelle d’une ville ou d’un quartier sans – sur le papier – la possibilité de mettre en place des coordinations à un échelon supérieur.
Élaboré pour concentrer les efforts sur le scrutin présidentiel, limiter la bureaucratisation du parti et prévenir l’apparition de baronnies locales, comme l’a bien expliqué le politiste Rémi Lefebvre, ce modèle peut-il perdurer dans les prochaines années ?
Jusqu’ici, la France insoumise s’est accommodée de cette structure souple et d’une base militante en grande partie évanescente, caractérisée par des engagements intermittents, affluant et refluant au gré des séquences de mobilisation électorale. La pérennité de ce modèle au cours des cinq dernières années tient en partie à son intériorisation par des militants pétris par la culture de l’action dispensée par le groupe dirigeant, constitué autour du groupe parlementaire et des quelques permanents au siège parisien du parti.
La primauté à l’action de terrain
Qu’ils soient novices ou qu’ils conçoivent leur militantisme insoumis comme le complément d’un engagement associatif ou syndical, ceux-ci, lors de mes entretiens, décrivent volontiers leur investissement comme exclusivement tourné vers l’action de terrain – à savoir le travail de mobilisation électorale – et désencombré des querelles intestines et des rigidités bureaucratiques qui caractérisent selon eux les partis traditionnels.
Cette culture partisane a toutefois été mise à l’épreuve par les dernières élections territoriales. En « enjambant » les élections municipales de 2020 et en plaçant au second plan les élections départementales et régionales en 2021, la direction de la France insoumise a pu susciter un sentiment d’abandon chez une partie des militants impliqués localement dans ces séquences électorales, qui s’est traduit par une certaine lassitude et par le désir d’une structure plus formalisée.
La croyance dans l’efficacité du « gazeux » s’est parfois effritée devant l’improvisation, la difficulté à coordonner les équipes militantes et à faire émerger des cadres clairement identifiés localement. Ces doutes ont pu être accentués par le contraste avec les partis rivaux à gauche qui, du fait d’une implantation ancienne et d’une organisation locale plus rodée, apparaissaient mieux armés pour affronter ce type de scrutins.
Cet enjeu de la structuration territoriale pourrait s’accentuer en préparation des futurs scrutins locaux. La conquête du pouvoir local est un défi que la France insoumise partage d’ailleurs avec la République en marche : les deux partis sont devenus incontournables au niveau national sans parvenir – sans chercher ? – à détrôner de leurs bastions institutionnels locaux des partis plus solidement ancrés.
Concrétiser le « parti-mouvement » ?
La culture de l’action professée par LFI est aussi éprouvée par le décalage entre l’autonomie théoriquement accordée aux groupes d’action et la faiblesse des moyens qui leur sont effectivement octroyés. Les militants sont nombreux à demander la mise en place d’un véritable mécanisme de financement des « GA » afin que ces derniers puissent louer des salles, organiser des formations, mener des actions sur leurs territoires, sans avoir à recourir, comme la plupart du temps aujourd’hui, à l’autofinancement.
Si ces demandes ne sont pas nouvelles, elles rencontrent davantage d’écho depuis le relatif succès du parti aux élections législatives, qui pose avec une acuité nouvelle la question du ruissellement des fonds partisans, et compte tenu de la volonté affichée par la France insoumise de « favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire ».
La France insoumise a-t-elle l’ambition et les moyens de se constituer en un véritable « parti-mouvement » ? Pour le politiste Herbert Kitschelt, le parti-mouvement désigne une organisation souple et peu formalisée qui importe dans la compétition partisane le répertoire d’action des mouvements sociaux, conjuguant activité parlementaire et mobilisations extra-institutionnelles.
LFI correspond déjà partiellement à cette formule. Ses militants participent de multiples mobilisations collectives et ont souvent pied dans le milieu associatif.
Des engagements ambitieux mais à faible portée
À ces multi-engagements (associatifs, syndicaux, au sein d’organisations contestataires) à la base s’ajoutent quelques initiatives portées par le groupe dirigeant, à l’image de la « marche contre le coup d’État social » au tout début du précédent quinquennat, et des votations citoyennes organisées sur le nucléaire ou sur l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution.
Toutefois, les projets les plus ambitieux sur le papier n’ont pas eu la portée escomptée. Les pratiques de « community organizing », à l’image de la méthode Alinsky, portées par le « pôle auto-organisation » de LFI, n’ont pas essaimé sur l’ensemble du territoire. À l’heure actuelle, la France insoumise est loin d’être parvenue à « se glisser dans tous les interstices de la société », comme le préconisait Manuel Bompard en 2017.
LFI renouera-t-elle avec cette ambition mouvementiste dans les mois et les années à venir ou le parti empruntera-t-il une trajectoire similaire à celle de Podemos ? Chez l’allié espagnol, les projets relatifs à l’auto-organisation populaire ont disparu de l’agenda partisan à mesure que le parti engrangeait des positions institutionnelles de premier plan.
En conséquence, les cercles de base se sont peu à peu vidés – ils comptaient, en 2020, 18 791 militants à jour de cotisation – et la capacité de mobilisation qui faisait à l’origine la force du parti s’est considérablement affaiblie.
Dans son discours de clôture des « Amfis », Jean-Luc Mélenchon exhortait les insoumis à lancer des collectes de fournitures scolaires pour la rentrée et à constituer des « escouades citoyennes » pour organiser la solidarité face aux conséquences du dérèglement climatique, en référence aux pluies diluviennes et aux inondations qui pourraient survenir à l’automne. Les propos du candidat insoumis à l’élection présidentielle sonnent comme une nouvelle réaffirmation de cette prétention mouvementiste, reste à voir dans quelle mesure ils seront traduits par l’organisation en des moyens et des dispositifs concrets.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1