La Chine considère que la mer de Chine du Sud fait partie de ses eaux territoriales. Après les différends autour des îles Paracels et Spratleys, elle donne même le sentiment d’en créer un nouveau mais avec l’Indonésie cette fois-ci. En mars 2014 en effet, un haut fonctionnaire du ministère de la Défense indonésien annonce que « la Chine a revendiqué les eaux des Natuna comme étant ses eaux territoriales. Cette revendication arbitraire est liée aux différends existants sur les îles Spratleys et Paracels entre la Chine et les Philippines. ».
L’histoire de cette prétention chinoise sur les îles Natuna est déjà ancienne comme le rappelle Douglas Johnson dans un article paru dans le journal Asian Affairs (Vol. 24, No. 3, Automne 1997, pp. 153-161) « Drawn into the Fray : Indonesia’s Natuna Islands Meet China’s Long Gaze South ». Ainsi, dès 1991, à l’époque de Soeharto, le ministre des Affaires étrangères indonésien Ali Alatas mettait en garde contre « le fait que le différend des îles Spratleys ne devienne « la prochaine zone de conflit potentielle pour l’Asie du Sud-Est » . » Et, deux ans plus tard, lors d’un séminaire autour de la questions des Spratleys à Surabaya (dans l’est de Java), la délégation chinoise présentait une carte illustrant ses « revendications historiques », qui incluaient une partie de la zone économique exclusive indonésienne. Sitôt après le séminaire, l’Indonésie envoyait une note de protestation à Pékin. L’histoire continue en 1995, lorsque l’Indonésie annonce qu’elle « augmentera les patrouilles aériennes autour des îles Natuna, son territoire le plus septentrional, pour protéger le champ de gaz en cours de développement par la compagnie pétrolière américaine [Exxon] et [la société pétrolière d’Etat indonésienne] Pertamina ». [1]
Les Natuna sont un archipel situé dans la partie méridionale de la mer de Chine du Sud. Traditionnellement, les îles faisaient partie du sultanat de Riau, qui comprenait également Johor dans le sud de la péninsule de Malacca. En 1824, les Pays-Bas et le Royaume-Uni signent à Londres un traité dont le but est de mettre fin aux tensions entre les deux puissances, qui entendent toutes deux contrôler le commerce international en Asie du Sud-Est.
Dans ce partage, Johor revient aux Britanniques et les îles Riau aux Néerlandais comme le rapporte Michael Leifer dans son ouvrage de 1978 Malacca, Singapore, and Indonesia. Aujourd’hui, les îles Riau forment une province de la République d’Indonésie, héritière des Indes néerlandaises.
Au regard de l’histoire, on comprend donc que le chef des armées indonésien, le général Moeldoko, écrive dans un article paru en avril 2014 dans le Wall Street Journal : « [L]’Indonésie est consternée par le fait que la Chine ait inclus des parties des îles Natuna dans sa ligne en neuf traits ; paraissant donc revendiquer un segment de la province indonésienne des îles Riau dans son territoire ». Le mois précédent, l’armée indonésienne avait d’ailleurs annoncé qu’elle allait moderniser la base aérienne de Ranai dans les Natuna pour y déployer des chasseurs Sukhoi et des hélicoptères d’attaque Apache.
Les propos du chef des armées contrastaient pourtant avec ceux du ministre des Affaires étrangères Marty Natalegawa, qui le mois précédent également, avait déclaré : « [I]l n’y a aucun différend territorial entre l’Indonésie et la Chine, notamment à propos des Natuna ». Il avait toutefois ajouté : « Sur la ligne en neuf traits, il est vrai que nous n’acceptons pas cela ».En 2009, la Chine présente aux Nations unies la zone dont elle revendique la souveraineté en mer de Chine. Cette zone est délimitée par une « ligne en neuf traits », encore appelée « langue de bœuf » en référence à sa forme. L’Indonésie a déposé une plainte à propos de cette ligne auprès de l’ONU en 2010.
Aujourd’hui, le nouveau gouvernement semble défendre une position plus ferme. Ainsi, en visite à Tokyo en mars 2015, le président indonésien Joko Widodo déclarait à un grand journal japonais : « La « ligne en neuf traits » [2] que la Chine dit être la démarcation de sa frontière maritime n’a aucune base dans quelque loi internationale que ce soit ». Et comme pour faire écho à sa déclaration, au mois de juillet suivant, le gouvernement annonçait un projet de construction d’une nouvelle base militaire pour garder les zones frontalières en bordure de mer de Chine du Sud. Les îles Natuna figuraient alors parmi les lieux possibles d’installation. Finalement, en septembre, le ministre de la Défense, Ryamizard Ryacudu, l’a confirmé : « Nous équiperons Natuna d’un port et allongerons la piste de sa base aérienne militaire. ».En 1996, dans la revue Ocean Yearbook Online, un article signé de Clive H. Schofield et William G. Stormon avait pour titre une question presque prophétique : « Une course aux armements en mer de Chine du Sud ? ».
Aujourd’hui, près de vingt en plus tard, citant notamment l’achat par l’Indonésie de navires de guerre néerlandais, la chaîne de télévision financière américaine CNBC y répond par l’affirmative en mai 2015. Ainsi, parce qu’elle possède des îles en mer de Chine du Sud, l’Indonésie – qui souhaiterait pourtant être amie avec tout le monde – est donc entraînée dans cette course à l’armement.
Anda Djoehana Wiradikarta