Au moins 54 personnes ont été tuées et des centaines arrêtées depuis le début des émeutes liées à la mort de Mahsa Amini aux mains de la police, le 16 septembre. Le gouvernement conservateur de Ebrahim Raïssi tente de museler une mobilisation qui prend de l’ampleur dans de nombreuses villes du pays.
Sur la vidéo, elle apparaît de dos. Habillée d’un tee-shirt noir et tête nue, la jeune femme noue ses cheveux avec une détermination qui traduit une certaine impatience.
La scène se passe la semaine dernière à Karadj, une ville-dortoir de la banlieue ouest de Téhéran, alors que se déroule tout autour l’une des nombreuses manifestations déclenchées par la mort en détention le 16 septembre de Mahsa Amini, une Iranienne de 22 ans originaire de la province du Kurdistan.
Selon plusieurs journalistes en exil, la jeune femme au chignon a été tuée par balles. Hadis Najafi – c’était son nom – avait 20 ans.
Le nombre exact des victimes de la répression est encore inconnu, mais il est déjà élevé après presque dix jours d’une contestation qui semble gagner en intensité.
Initialement parties du Kurdistan et de la capitale, les manifestations ont été signalées dans presque toutes les provinces, même dans les villes conservatrices, comme Kerman, ou celles abritant des centres religieux comme Mashhad et de Qom, qui s’apparentent à des Vatican du chiisme, la religion d’Etat et majoritaire en Iran.
La colère face à une énième violence policière, elle-même liée à l’imposition de plus en plus stricte du port du voile, s’est rapidement transformée en un mouvement de rejet radical du régime théocratique, avec une énergie conquérante.
« A balles réelles »
Un slogan courant dans les manifestations (« n’ayons pas peur, nous sommes ensemble ! ») a ainsi été revisité pour devenir « ayez peur, nous sommes ensemble ! ». « Femme, vie, liberté », mot d’ordre de ces mobilisations, propose un contre-modèle de société.
« Pas de voile ni de coups de matraque, jusqu’à quand durera cette humiliation ? », lancent aussi les protestataires, qui ciblent directement le sommet du pouvoir : « Mort à Khamenei l’assassin [le Guide suprême, ndlr] », « Mort au dictateur », « Le régime des mollahs, nous n’en voulons pas ! »
Pour l’heure, le pouvoir a répondu par la répression. Ses forces de sécurité, la police et les bassidjs, ces milices fidèles au régime, saturent les rues des grandes villes pour empêcher tout regroupement.
Selon Amnesty International, elles ont tiré « délibérément à balles réelles sur des manifestants », et ont fait un usage « illégal de grenaille de plomb et autres billes métalliques, de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de coups de matraque ». L’ONG de défense des droits humains a des preuves que six hommes, une femme et un enfant, ont été tués dans la province du Kurdistan les 19 et 20 septembre.
Une autre organisation, Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, fait état d’un bilan d’au moins 54 personnes sur l’ensemble du territoire.
Accès à Internet restreint
Les autorités tentent de camoufler l’ampleur de la répression. « La remise des corps aux familles est conditionnée à un enterrement dans le secret », rapporte ainsi IHR.
Samedi soir, la télévision d’Etat iranienne a diffusé le chiffre de 41 morts « lors des émeutes récentes ».
De même les arrestations se comptent par centaines. Dans la seule province du Gilan, dans le nord-ouest du pays, « 739 émeutiers » ont été interpellés, dont 60 femmes, d’après le chef de la police régionale, le général Azizollah Maleki, cité par l’agence de presse Tasnim. Et le pouvoir continue de menacer les protestataires. Sans entendre les réprobations à l’étranger.
L’Union européenne, par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell, a jugé dimanche « injustifiable et inacceptable » l’usage « généralisé et disproportionné de la force » contre les manifestants. Dans sa déclaration, Borrell condamne aussi « la décision des autorités iraniennes de restreindre drastiquement l’accès à Internet et de bloquer les plateformes de messagerie instantanée ».
17 journalistes arrêtés
– Alors qu’il faisait miroiter une enquête sur la cause de la mort de Mahsa Amini, le président Ebrahim Raïssi, un ultraconservateur aux affaires depuis l’été 2021, a exhorté samedi « les autorités concernées à agir fermement contre ceux qui portent atteinte à la sécurité et à la paix du pays et du peuple ».
– Dimanche, le chef du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejei, a insisté sur « la nécessité d’agir sans aucune indulgence » contre les instigateurs des « émeutes ».
– Dès jeudi soir, le commandement central des Gardiens de la révolution, puissante armée ne répondant qu’au Guide suprême, avait promis « une défaite exemplaire » aux acteurs de la « sédition », qu’ils réduisaient à une « conspiration de l’ennemi ».
Comme lors des précédents mouvements de contestation, la répression a lieu quasiment à huis clos.
Les connexions à Internet depuis l’Iran sont extrêmement perturbées. D’après l’organisation spécialisée NetBlocks, les réseaux mobiles ont été coupés dès le 21 septembre et le sont ponctuellement depuis. Les derniers rares réseaux sociaux ou applications de messagerie qui n’étaient pas encore bloqués par la censure le sont désormais : c’est le cas de Skype, Instagram et WhatsApp, qui fonctionne par intermittence.
Quant à ceux qui pourraient témoigner, ils sont pourchassés. Selon le comité pour la protection des journalistes, 17 reporters, rédacteurs ou photographes, ont été arrêtés.