Presque un mois après la mort de Mahsa Amini, la contestation qui touche de nombreux secteurs ne faiblit pas. Face aux protestataires qui souhaitent la chute du régime, le Guide suprême, Ali Khamenei, appelle « les autorités judiciaires et de sécurité [à] faire leur devoir ».
Est-ce de l’inconscience, du déni ou une démonstration de force ? La police des mœurs est de retour dans les rues de la capitale iranienne.
Une vidéo, capturée mercredi matin et diffusée par le groupe d’activistes 1500tasvir, montre une patrouille en train de s’en prendre à une jeune femme. Ces unités honnies avaient disparu de la circulation depuis le début du soulèvement déclenché par la mort, le 16 septembre, de la jeune Kurde Mahsa Amini, après son interpellation par la police des mœurs.
Presque un mois plus tard, malgré les rassemblements qui surgissent quotidiennement à travers le pays, les autorités croient pouvoir revenir à une forme de normalité, à la répression quotidienne, comme avant.
Violente répression dans les régions périphériques
Le régime persiste à considérer ce mouvement, inédit par sa radicalité, comme de simples « émeutes » fourbies par les « ennemis » de l’Iran, comprendre les Etats-Unis et Israël, voire les Européens.
Le Guide suprême, Ali Khamenei, l’a répété mercredi dans sa deuxième prise de parole sur ces événements : « Aujourd’hui, tout le monde confirme l’implication des ennemis dans ces émeutes de rue. […] Les actions de l’ennemi, telles que la propagande, les tentatives d’influencer les esprits, de créer de l’excitation, d’encourager et même d’enseigner la fabrication de matériaux incendiaires, sont maintenant complètement claires. »
L’homme au pouvoir depuis 1989 a exhorté « les autorités judiciaires et de sécurité [à] faire leur devoir », comme s’il s’agissait d’une question d’ordre public.
Environ 125 personnes ont déjà été inculpées, selon un communiqué paru mercredi sur le site de la justice iranienne.
Cette réponse pénale se double d’une violente répression, particulièrement à la périphérie, au Sistan-et-Baloutchistan et au Kurdistan, où vivait Mahsa Amini (Jina de son nom de naissance qui, en tant que prénom kurde, est proscrit pour l’état-civil).
« La République islamique est partie en guerre dans ces deux provinces, s’alarme Hadi Ghaemi, du Centre pour les droits humains en Iran (CHRI), basé aux Etats-Unis. Sanandaj [la capitale du Kurdistan iranien, ndlr] est sous occupation militaire. »
Dans des vidéos diffusées en ligne par des activistes, on peut entendre des tirs à l’arme automatique la nuit à Sanandaj. « La réaction est très dure. Les forces de sécurité n’osent pas aller jusque-là à Téhéran et dans les autres grandes villes. Le régime espère que la peur va se répandre dans l’ensemble du pays », ajoute Hadi Ghaemi.
Mobilisation des ouvriers de la pétrochimie
Pour l’heure, c’est l’inverse qui se produit. Les manifestations spontanées de petits groupes sont reparties de plus belle depuis samedi 9, premier jour ouvré de la semaine en Iran. « La contestation est en train de changer de nature », relève Azadeh Kian, professeure de sociologie et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Cedref) à l’université Paris-Cité.
Les bazars du Kurdistan ont fait grève, ainsi que certains à Téhéran, même si le mouvement n’est pas encore général.
Des commerçants de Machhad, deuxième ville du pays et capitale religieuse, ont également fait grève mercredi. Surtout, des ouvriers des secteurs clefs de la pétrochimie et du pétrole ont cessé de travailler « au nom de revendications corporatistes et en solidarité avec le soulèvement », pointe Azadeh Kian, qui rappelle que le soutien de la classe ouvrière avait été crucial pour faire tomber le régime du Shah en 1979 : la révolution, initiée par des étudiants et des intellectuels, avait pris deux ans.
Après presque un mois, la détermination des protestataires ne diminue pas. Non plus que la radicalité de leur revendication : la chute du régime. « Ne dites pas contestation, c’est devenu une révolution », chantent des étudiants de la prestigieuse université Beheshti de Téhéran sur une vidéo diffusée en ligne. « Nous n’avons plus peur, nous luttons », proclamait une banderole accrochée la semaine dernière au-dessus d’une voie rapide de la capitale.
Les slogans ciblent directement la plus haute autorité du régime et sa nature dictatoriale, mais pas l’islam en tant que religion, note Azadeh Kian :
« Les manifestants font la différence entre l’islam et l’islam politique. » Les édifices religieux ne sont d’ailleurs pas visés. Et le soulèvement demeure essentiellement pacifique.
La suite dépendra beaucoup des forces de sécurité, pointe Hadi Ghaemi : « Combien de temps resteront-elles loyales au régime ? C’est une grande partie de l’énigme. » Pour l’instant, elles sont au rendez-vous et exécutent les ordres. Au moins 201 personnes, dont 23 enfants, ont été tuées selon le décompte de l’organisation Iran Human Rights, basée en Norvège.
Pierre Alonso