Le XXe congrès du Parti communiste chinois (PCC) qui s’est ouvert à Pékin le 16 octobre verra, sauf improbable surprise, le président Xi Jinping reconduit dans ses fonctions pour un troisième mandat de cinq ans. Si le culte de la personnalité de l’homme fort de Pékin et le durcissement du régime observé au cours des dix dernières années ont fait l’objet de nombreux travaux dans le monde occidental, c’est surtout le bilan de sa politique des cinq dernières années que le président chinois doit présenter à cette occasion.
Si l’occasion lui est offerte de glorifier devant les 2 300 membres du parti invités dans le Palais du Peuple les résultats de son leadership et de rappeler l’objectif de faire de la Chine la première puissance mondiale d’ici 2049, son bilan sur les cinq dernières années n’en est pas moins confronté à l’épreuve des faits, et impactera fortement les orientations politiques et économiques jusqu’au prochain Congrès, en 2027.
Ainsi, quels seront les « habits neufs du président Xi » à l’issue de ce rendez-vous majeur de l’État-parti, et quelle sera sa marge de manœuvre ?
Une croissance économique plombée par la pandémie de Covid-19
Jamais depuis les années 1980 la Chine ne fut à ce point préoccupée par la santé de son économie.
L’impact de la crise asiatique de 1997 fut limité, et même après la crise financière internationale de 2008, le premier ministre de l’époque, Wen Jiabao, avait su rebondir en proposant un vaste plan de réforme du modèle de croissance, axé sur le développement de la consommation intérieure et d’une classe moyenne.
La situation actuelle est plus préoccupante, avec un taux de croissance historiquement bas – il oscille selon les trimestres entre 2 et 6 % – qui n’a fait que ralentir depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013. La volonté de s’appuyer une fois encore sur la consommation intérieure est privilégiée, mais ce levier sera insuffisant pour retrouver les chiffres vertigineux des années 2000.
La pandémie de Covid-19 et sa gestion en Chine, tant vantée par ses dirigeants – qui mettent en avant un bilan humain très faible en comparaison à l’Europe ou aux États-Unis – et qui se traduit encore aujourd’hui par des mesures très restrictives, n’a fait qu’accentuer une tendance déjà observable au cours des dernières années.
La mise à l’arrêt de provinces entières et les restrictions de déplacements ont fortement fait chuter la croissance, qui a certes rebondi depuis dix-huit mois après une annus horribilis en 2020 – comme dans le reste du monde – mais reste handicapée par l’entêtement des dirigeants dans une stratégie zéro-Covid que les autres principaux acteurs de l’économie internationale ont depuis longtemps abandonnée.
Acteur majeur de la mondialisation, la Chine souffre ainsi à la fois d’un essoufflement mondial de la croissance et de l’incapacité de son système politique à se remettre en question, au risque de délégitimer ses dirigeants. Quand la Chine affiche des taux de croissance exceptionnels et permet aux Chinois de s’enrichir, le pouvoir gagne en légitimité. Mais l’inverse est également vrai…
Une politique étrangère chahutée
Sous le règne de Xi Jinping, la Chine est sortie de sa discrétion en matière de politique étrangère, héritage de Deng Xiaoping, et se montre désormais décomplexée, tant dans son implication dans les institutions internationales, sa croissance militaire, sa relation avec ses voisins ou encore sa stratégie de développement des infrastructures dans le monde, incarnée par la très coûteuse Belt & Road Initiative (BRI) dont Xi Jinping s’est fait le champion.
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On relève cependant sur ce point un essoufflement, partiellement dû au Covid-19, mais aussi à un retour sur investissement très limité et qui fait désormais grincer les dents de nombreux Chinois, inquiets de voir des capitaux sortir du pays, là où les défis en matière de développement restent innombrables. Xi Jinping a su profiter des promesses de la BRI pour renforcer son leadership. Parviendra-t-il à éviter d’être désigné comme principal responsable des difficultés que son projet rencontre ?
La politique de voisinage de Pékin est également confrontée à des défis susceptibles de remettre brutalement en cause les promesses de Xi Jinping. L’obstination de la Chine à l’égard de Taïwan se heurte à une résistance non seulement des principaux intéressés, mais aussi du Japon ou des États-Unis, et la promesse d’une réunification pacifique et inévitable, dont Xi Jinping s’est fait le garant, est chaque jour plus improbable.
En mer de Chine méridionale, Pékin continue de clamer que la situation est sous contrôle et que les différends sont désormais terminés, mais c’est ignorer le positionnement du Vietnam, des Philippines, et désormais de l’Indonésie. En dix ans, la Chine n’a pas progressé sur ce terrain, et elle a perdu pied sur la question taiwanaise, là où prédécesseur de Xi Jinping, Hu Jintao, s’était montré plus pragmatique, avec des résultats plus convaincants.
On pourrait ajouter à cette liste les effets de la guerre en Ukraine, Pékin se montrant incapable de jouer les arbitres entre Kiev et Moscou, contrairement à ce que Xi Jinping souhaitait, ou encore les gesticulations nord-coréennes qui mettent Pékin dans l’embarras. Sous Xi Jinping, la Chine a mis en place une politique de grande puissance ; elle découvre aussi les revers d’une politique étrangère plus active.
L’image de la Chine dans le monde en question
Déjà perceptible lors du premier mandat de Xi, le durcissement de la diplomatie chinoise illustré par l’intransigeance de ses diplomates, qualifiés de « loups combattants », a culminé au cours des cinq dernières années avec une critique soutenue des démocraties occidentales et un acharnement contre tous ceux qui osent pointer du doigt les zones d’ombre de ce pays. Dans le monde occidental, cette stratégie est un échec total, et a décrédibilisé le discours chinois auprès de ses partenaires.
Mais au-delà de la méthode, il y a aussi les faits. Le deuxième mandat de Xi Jinping fut ainsi marqué par deux dossiers de « politique intérieure » qui ont fortement terni l’image de la Chine. Les persécutions menées contre les Ouïghours du Xinjiang ont non seulement été révélées au grand jour, mais elles furent même au cœur d’un rapport de l’ONU rendu public en août dernier. Avec ce qui s’apparente à un nettoyage ethnique, c’est tout le discours inclusif du traitement des minorités par Pékin, tout autant que son image, notamment auprès de ses partenaires en Asie centrale, qui se trouve compromis.
La question de Hongkong est plus lourde de conséquences encore. Avec la neutralisation des opposants politiques, Pékin a montré son pire visage depuis le massacre de Tiananmen en 1989, et la gestion désastreuse de cette crise politique pourrait laisser des traces encore plus profondes qu’en 1989, d’autant qu’elle s’ajoute à la question taiwanaise, aux Ouïghours et plus généralement au sort de tous les opposants au pouvoir de Xi Jinping. Ce dernier n’a pas à s’en justifier lors du congrès du PCC, mais les échecs répétés de sa politique intransigeante affectent sa légitimité.
Quel avenir pour la Chine de Xi Jinping ?
Malgré un bilan peu élogieux, le président chinois restera en poste encore au moins cinq ans, consécutivement à un plébiscite dont les congrès du PCC ont le secret.
Aussi convient-il de s’interroger sur les orientations que pourrait prendre son leadership dans un contexte international qui a considérablement évolué depuis le congrès de 2017, puisque ces congrès en donnent souvent le la. Faut-il par exemple craindre une sorte de « poutinisation » du président chinois, plus isolé en interne comme à l’international, et tenté de faire une démonstration de puissance pour renforcer son image ? On pense évidemment à Taïwan, qui serait dès lors l’Ukraine de la Chine. C’est cependant oublier que les deux dossiers sont très différents, tant politiquement que d’un point de vue militaire, sans compter que l’échec de l’opération russe en Ukraine est un repoussoir plus qu’un exemple pour Pékin. La Chine n’a rien à gagner d’une guerre avec Taïwan, et Xi Jinping en est parfaitement conscient.
À l’inverse, peut-on s’attendre à un ajustement des politiques mises en place au cours des cinq dernières années, et même dix pour certaines ? Plusieurs signaux convergent en ce sens. La BRI est aujourd’hui l’objet d’un réexamen visant à sélectionner les projets de partenariat, sans pour autant abandonner l’idée d’une stratégie globale, parce que les retombées économiques sont moins importantes que prévu, parce que les moyens de Pékin ne sont pas illimités, et parce que les résistances sont nombreuses. Pékin pourrait profiter du XXe Congrès pour annoncer un agenda de « retour à la normale » sur la question de la pandémie, et la durée de la quarantaine a déjà été très sensiblement réduite, et même annulée dans certains cas.
On peut compter sur l’éloquence de Xi Jinping pour annoncer fièrement que la Chine a vaincu l’épidémie de Covid-19 et qu’il est temps de tourner la page… En matière de stratégie d’influence, le troisième mandat de Xi pourrait s’inspirer de la présidence de Hu Jintao, qui avait misé sur le soft power avec des résultats convaincants. Là aussi, on compte sur le talent du président chinois pour s’en faire le champion.
Enfin, la Chine souhaite – et doit – renouer (avec les pays occidentaux surtout, mais seulement) un lien diplomatique qui fut mis à mal ces cinq dernières années, et les loups combattants, qui ont agacé aussi bien les pays développés que les pays en développement, notamment en Asie du Sud-Est, doivent laisser place à de vrais négociateurs. Là aussi, on peut compter sur la capacité de Xi Jinping à insuffler une nouvelle orientation, dès lors qu’elle lui permettra de renforcer sa légitimité. Attention toutefois sur ce dernier point à ne pas tout confondre : la priorité de Pékin ne sera pas, durant le troisième mandat de Xi, de séduire les puissances occidentales, avec lesquelles les relations resteront difficiles (quel que soit le président chinois d’ailleurs), mais de renforcer son rôle de modèle et de partenaire aux yeux des sociétés en développement.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Barthélémy Courmont, Directeur du master Histoire — Relations internationales, Institut catholique de Lille (ICL)
Barthélémy Courmont