Nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère du « vivre avec ». Ce n’est pas exactement « le monde d’après » qui nous était promis, mais c’est une belle réussite quand même, basée sur le principe de la désensibilisation, qui consiste à exposer régulièrement l’organisme à de petites quantités de substance allergisante afin de réduire progressivement la réponse immunitaire vis-à-vis de celle-ci et au final la sensibilité de l’organisme. Mais dans le cas qui nous préoccupe, la désensibilisation n’est pas virologique, elle est purement psychologique.
En réalité, alors même que la population reste constamment exposée au Sars-Cov-2 et aux réinfections, la désensibilisation fonctionne depuis plusieurs mois à coups d’instillation d’éléments de langage gouvernementaux, et d’injonctions scientifiques contradictoires, dont le but final est de provoquer une forme d’anesthésie mentale à la situation. Au point que quasiment plus personne ne sait réellement où nous en sommes, de cette pandémie, ni même qu’elle perdure.
Il faut bien faire semblant de s’intéresser un peu au sujet
Depuis le début de la huitième vague, si l’on en croit TousAntiCovid, la moyenne quotidienne s’est élevée entre 30 000 et 80 000 contaminations quotidiennes. Soit autour de trois millions de personnes infectées en deux mois. Mais ce chiffre ne représente en rien la réalité, dans un pays où aucun suivi fiable n’est plus activé, où la stratégie « Tester, tracer, isoler » a été depuis longtemps abandonnée, où nombre de gens, lorsqu’ils sont malades, ne se testent plus, et où, au vu et au su des autorités de santé publique, les réinfections dans un délai inférieur à soixante jours, pourtant pas anecdotiques, ne sont pas comptabilisées. Le chiffre des hospitalisations augmente, mais qui s’en inquiète ? Sans prendre aucune mesure, la France annonce des chiffres quotidiens parce qu’il faut bien faire semblant de s’intéresser encore un peu au sujet, à l’international. Un peu comme le ministre de la Santé, François Braun, qui en France parade sans masque dans des réunions en lieu clos, ou au mieux avec un masque chirurgical, mais prend la pose dans une réunion à l’étranger, entouré de ses homologues européens, avec un masque FFP2.
Interrogé dans Libération sur le rebond des contaminations et la réintroduction du masque obligatoire en lieu clos et dans les transports en commun, le ministre répond : « Les Français sont responsables. Quand je suis rentré de Metz dimanche soir, la moitié du wagon avait le masque ». Après le fameux « retour du masque sur presque tous les visages » d’Olivier Véran, il faudra un jour se pencher sur cette énigme médicale. De même que les proches des antivax semblent avoir un risque d’AVC bien supérieur à la normale et tomber comme des mouches, la simple présence d’un ministre de la Santé dans un wagon semble décupler le port du masque par rapport à ce que nous, simples mortels, pouvons constater lors de nos déplacements.
Sur France Info, le ministre est allé plus loin : « Je vais continuer à dire qu’il faut faire confiance aux Français : le masque dans les transports, les gestes barrière, se laver les mains, c’est très utile parce que ça vous protège de la transmission de la grippe, ça vous protège de la transmission du virus pour la bronchiolite de l’enfant, ça vous protège de la transmission du Covid… Lorsqu’on est les uns sur les autres, ben, c’est plus raisonnable de mettre son masque, lorsqu’on est avec une personne très fragile, on met son masque, on s’assure qu’elle est vaccinée, on se fait vacciner soi-même si on est très proche d’elle, bref reprenons le bon sens que nos concitoyens ont maintenant depuis le début de cette crise qui date d’il y a plus de deux ans. »
Un long hiver caniculaire
Interrogé par Marc Fauvelle sur la conduite à tenir dans les écoles, le ministre de la Santé avait rappelé que « l’aération d’une pièce, on le sait, permet de lutter contre le Covid, contre la grippe, contre les VRS (virus respiratoire syncytial responsable des bronchiolites), l’ensemble de ces pathologies hivernales… » Pas un mot du grand plan d’investissement sur la qualité de l’air promis par Emmanuel Macron pendant sa campagne, et passé à la trappe selon le fameux proverbe chiraquien qui veut qu’une promesse n’engage que ceux qui y croient. On notera surtout l’injonction répétée à la responsabilité personnelle : à vous de vous protéger, à vous de vous vacciner même en l’absence de campagne vaccinale, à vous de vous assurer du statut immunitaire et vaccinal des personnes que vous croisez. L’Etat n’a pas à agir, la santé publique n’est plus une de ses missions, il lui suffit de faire appel au « bon sens » des Français, bien informés par un ministre qui sans cesse noie Sars-Cov-2 dans le pot commun des « infections hivernales », après que la France a essuyé quatre vagues de Covid en une seule année. Réchauffement climatique oblige, 2022 aura donc été un long hiver caniculaire.
Tout est fait pour que le Covid soit un non-sujet, et que les Français acceptent, sans sourciller pour la plupart, que 40 000 morts par an soient considérés comme une fatalité. La France n’a pas de pétrole, mais elle a des éléments de langage.
L’absence de protocole sanitaire à l’école, l’absence de directive sur le port du masque même en poussée épidémique lorsque le R, le fameux taux de reproduction du virus, passe au-dessus de 1, l’abandon de la politique de tracing, l’absence d’information sur les risques cumulatifs de développer un Covid long même après une forme peu symptomatique, le fait de rétrograder la pandémie au statut d’infection hivernale… C’est open bar pour Sars-Cov-2.
Christian Lehmann, médecin et écrivain