Avec son slogan, « travailler plus pour gagner plus », Nicolas Sarkozy reconnaît que le pouvoir d’achat des salariés est insuffisant. Mais sa proposition ne va, au mieux, rien changer, car augmenter les salaires sans ponctionner les profits patronaux, n’est pas possible. Proposer de gagner plus grâce aux heures supplémentaires évite, entre autres, l’augmentation des salaires. Au contraire, franchises médicales et TVA « sociale » entraînent assurément une diminution nette du pouvoir d’achat !
La proposition de Sarkozy permet, en premier lieu, de diviser les salariés entre eux. Il veut faire passer l’idée que ceux qui ne gagnent pas assez sont ceux qui ne veulent pas travailler beaucoup. Selon le ministère du Travail, 37 % des salariés font des heures supplémentaires : 63 % n’en font donc pas. Refuser d’augmenter les salaires de tous les salariés, en se contentant de favoriser l’amélioration des salaires par les heures supplémentaires, réduira, en fait, les salaires de tous ceux qui ne feront pas d’heures supplémentaires, à savoir la majorité des salariés.
Pour avoir le choix de gagner plus en travaillant plus, il faut pouvoir travailler plus. Or, chacun sait que les salariés n’ont pas le choix : seul l’employeur décide de qui effectue des heures supplémentaires et dans quelles conditions. Certains salariés pourraient peut-être envisager de travailler des heures supplémentaires et de gagner plus, si les patrons le décidaient et estimaient en retirer un avantage. Les patrons mettront en place des heures supplémentaires quand ils en auront besoin et qu’ils n’auront rien trouvé de plus économique que les heures sup’ façon Sarkozy, parce qu’il y a encore moins cher que les heures détaxées : les heures non payées. Sarkozy le sait bien, ayant sollicité la police à l’extrême et oublié de payer les policiers : entre 5 et 7 millions d’heures supplémentaires n’auraient pas encore été payées... Dans beaucoup de secteurs - transports, hôtellerie, bâtiment, commerce, associations, animation -, le non-paiement des heures supplémentaires est monnaie courante. Il s’explique par toute sorte de motifs : chantage à l’emploi (« si tu n’es pas content tu t’en vas ») ; « coutumes », qui font que, dans l’animation par exemple, une journée puisse être payée au forfait (40 ou 50 euros), ou que, dans le commerce artisanal, un boucher travaille toujours de onze à douze heures par jour ; organisation du travail (le temps de décompte des caisses, l’entretien des camions, etc.) ; fraude (le paiement des heures supplémentaires en primes forfaitisées à un taux inférieur au Smic).
Flexibilité
Ensuite, les patrons ont déjà les moyens d’éviter de recourir aux heures supplémentaires, grâce à la flexibilité introduite par les accords « d’aménagement et de réduction du temps de travail » des lois sur les 35 heures. Avant cette annualisation, quand il y avait beaucoup de boulot, les heures effectuées étaient payées en heures supplémentaires. Lorsqu’il y en avait moins, on travaillait moins dur. Ce temps-là est révolu : aujourd’hui, quand il y a moins de travail, on travaille moins de 35 heures, et quand il y en a plus, on travaille plus, mais ces heures ne sont pas payées en heures supplémentaires, puisqu’elles ne font que « récupérer » les heures non travaillées pendant les périodes creuses. Quand le système permet par exemple des semaines « hautes » à 46 heures et que le patron « avance » des dizaines de journées quand il n’y a pas de travail, il n’existe plus d’heures supplémentaires.
Les cadres, qu’ils soient aux horaires collectifs ou au forfait jours (un quart des cadres), ne comptent pas leurs heures : ils dépassent souvent les 45 heures par semaine. De fait, il leur est impossible de quitter le travail parce qu’il est 18 heures, ni de réclamer le paiement de ces heures. C’est tout simplement impensable dans la majorité des cas, sauf à vouloir se faire licencier. Un questionnaire de la CFDT (« Liaisons sociales », mai 2007) chez Neuf-Télécom, auprès de 753 personnes, montre que 53 % des cadres déclarent « dépasser souvent ou très souvent leurs horaires. Parmi eux, 82 % ne reçoivent aucune compensation pécuniaire ou en temps ».
Des salariés souhaitent travailler plus : les 1,2 million qui sont en temps partiel subi, essentiellement des femmes, qui représentent la majorité des travailleurs pauvres. Ils et elles représentent 41,5 % des salariés des entreprises de moins de dix salariés, dans une large proportion en CDD, dans des secteurs ayant un salaire au niveau du Smic. Ces salariés en CDD à temps partiel ne sont pas en mesure de demander trop de choses à leurs employeurs. Et même si les patrons acceptaient de leur faire efffectuer des heures de travail complémentaires, serait-ce possible ?
Exonérations
Beaucoup de salariés à temps partiel ont des horaires qui changent sans arrêt, des pauses qui occupent toute la journée. Ainsi, dans le commerce ou le nettoyage, il est plus facile, pour les patrons, d’avoir un grand nombre de salariés aux heures de pointe en ayant recours à des temps partiels. De ce fait, ces salariés n’ont pas de réelle possibilité de faire plus d’heures, sauf si on accepte des amplitudes (temps entre la première heure de travail et la dernière) de douze à quatorze heures par jour. Mais ce n’est pas toujours possible quand on a des enfants ou que, tout simplement, on cherche à faire autre chose de sa vie que travailler, et surtout pas possible à tous les âges.
Travailler davantage aurait d’autres conséquences. Travailler plus, c’est augmenter le nombre d’accidents. Toutes les études le prouvent : plus la durée du travail est longue, plus il y a d’accidents. D’autant que l’aménagement du temps de travail, mis en place avec les 35 heures, a intensifié le travail : les gens sont à bout, craquent. Penser qu’ils pourraient travailler plus sans conséquences graves sur le plan sanitaire est tout simplement irréaliste. Par ailleurs, si le taux d’emploi des salariés de plus de 55 ans est si bas, c’est aussi en relation avec cette intensification du travail : quand on a déjà trimé toute sa vie, on ne peut plus tenir le rythme imposé par les cadences infernales. Comment peut-on envisager, sans sombrer dans le ridicule, que ces travailleurs pourraient non seulement reprendre un travail dans les conditions actuelles et, en plus, faire des heures supplémentaires pour gagner plus ?
Faire travailler davantage ceux qui déjà un emploi, c’est se satisfaire du taux de chômage actuel : les employeurs pourront privilégier le recours aux heures supplémentaires plutôt que de créer des emplois. C’est aussi refuser d’obliger certaines professions à améliorer les conditions de travail. Les patrons du bâtiment ou de la restauration se plaignent de ne pas trouver des salariés qui acceptent de travailler dans les conditions qu’elles proposent, malgré le chômage... mais quels emplois offrent-ils ? Il s’agit bien souvent d’emplois avec des journées de travail qui n’en finissent pas, dans des conditions de sécurité insupportables.
Les mesures de Sarkozy sur les heures supplémentaires remettent en cause la fonction des cotisations sociales. L’exonération des cotisations sociales versées par les patrons sur les heures supplémentaires (1,50 euro pour les entreprises de moins de vingt salariés et 0,50 euro dans les autres) est évidemment accueillie favorablement par les employeurs : ce qu’ils payaient jusqu’à présent va être payé par l’impôt, c’est-à-dire en partie par les salariés. Les exonérations de cotisations versées par les salariés permettraient aux salaires d’être augmentés en net de cette différence, mais cela ne pèse pas lourd pour chacun d’entre eux : 2,22 euros pour une heure sup’ rémunérée au Smic plus 25 %.
Partage des richesses
C’est un pas de plus dans le transfert du financement de la protection sociale des entreprises à l’impôt. Rappelons que les entreprises sont déjà totalement exonérées du paiement des cotisations à la Sécurité sociale au niveau du Smic, et très largement pour les salaires jusqu’à 1,6 fois le Smic. Le montant payé par l’État avec l’impôt est inférieur au montant des cotisations qui auraient dû être payées : les difficultés des caisses vont s’accentuer et les salariés en pâtiront. La défiscalisation des heures supplémentaires, qui concernerait cette fois seulement les salariés, est en discussion, prétendument pour des raisons techniques. L’avantage financier, s’il se produit, ne sera à la disposition des salariés qu’en déduction des impôts... Il faudra donc attendre pour gagner plus, et souhaiter que le déficit de l’État ne vienne pas changer les décisions.
Si l’effet pratique de ces mesures est limité, l’effet idéologique est certain : il veut faire passer l’idée que le principal frein à l’augmentation des salaires réside dans les cotisations sociales. Or, ces cotisations sont du salaire que les salariés touchent lorsqu’ils sont malades, en retraite. Une diminution des cotisations aujourd’hui, c’est une diminution des revenus des salariés à d’autres moments, c’est la limitation de la solidarité qui permet à tous les salariés d’avoir de quoi vivre, quelles que soient les difficultés qu’ils traversent. Sarkozy veut faire passer l’idée que les salaires sont bas à cause des cotisations sociales, et que chaque individu peut, par lui-même, en dehors des formes collectives de solidarité, se débrouiller. Cette exaltation de l’individualisme contre les acquis collectifs que sont la Sécurité sociale, la retraite par répartition, vise, non à augmenter le pouvoir d’achat, mais à faire quelques cadeaux supplémentaires aux patrons et à préparer les attaques contre la Sécurité sociale.
Pour gagner plus, il faut mettre en œuvre les mesures d’urgence suivantes : Smic à 1 500 euros net ; aucun revenu en dessous du Smic ; 300 euros d’augmentation pour tous ; passage à temps plein à la demande des salariés ; suppression de la modulation du temps de travail ; réduction du contingent annuel des heures supplémentaires, pour aller vers leur extinction ; réduction du temps de travail pour travailler moins et travailler toutes et tous. Pour cela, il faut s’en prendre aux profits patronaux, il faut un autre partage des richesses.
Encarts
Le cadre légal actuel
• Le paiement des heures supplémentaires :
– à 25 % dans les établissements de plus de vingt salariés (sauf si un accord d’entreprise permet de les payer 10 %) ;
– à 10 % dans les établissements de moins de vingt salariés (elles devaient passer à 25 % à compter du 1er janvier 2009).
• Possibilité d’un contingent annuel d’heures supplémentaires de 180 heures par an , qui peut passer à 220 heures par an, par accord de branche, depuis 2003 : une soixantaine de branches ont signé un tel accord, dont la métallurgie.
• Cadres au forfait : pas de comptabilisation des heures effectuées, les seules obligations sont de 11 heures de repos par jour et 218 jours de travail par an, avec la possibilité de modifier ce seuil par voie d’accord.
Le calendrier des attaques
• 20 juin : examen par le Conseil des ministres des projets de loi.
• La détaxation fiscale et l’exonération des cotisations sociales des employeurs des heures supplémentaires, pour tous les salariés y compris les cadres en forfait jours, et les heures complémentaires des salariés à temps partiel, sont annoncées. Pour les cadres en forfait jours, il n’est pas envisagé de majorer les jours supplémentaires de 25 %.
• À partir du 26 juin, session parlementaire ordinaire, puis extraordinaire, afin d’adopter ces textes.