« Nous avons subi une défaite et nous devons absolument en comprendre les circonstances et les raisons. En effet, comment expliquer qu’une constitution aussi avancée, reconnaissant des droits sociaux qui ont été l’enjeu de dizaines années de luttes, élargissant la démocratie dans un pays où la démocratie est très réduite, renforçant le pouvoir des travailleurs et de leurs organisations ainsi que les services publics de l’état, reconnaissant des droits politiques et culturels des peuples originaires, portant dans de nombreux articles une forte marque pro-féministe et écologiste, respectant les droits humains, pourquoi une telle constitution a- t- elle été rejetée à une majorité si grande, par 62% des votants ? Le vote était obligatoire et la grande majorité des 4 millions de nouveaux votants se sont prononcés pour le rejet !
Certains disent alors : « Mais qu’est ce qui a été rejeté réellement ? » et avancent l’ argument selon lequel ce n’est pas la Constitution telle qu’elle était établie qui a été rejetée, mais la version déformée que la puissante et hégémonique propagande médiatique de la bourgeoisie chilienne a diffusé : « Avec la nouvelle Constitution vous perdrez votre maison, votre retraite, le Chili va éclater en plusieurs pays en fonction du nombre de peuples originaires, lesquels auront plus de droits que les chiliens…C’est à dire une masse de contre vérités que article par article nous pouvons démentir. Ce type de campagnes des droites et extrêmes droites est un phénomène mondial. Les personnes ont été trompées et n’ont pas reçu la bonne information. Il y a là une partie de la réalité, mais les choses sont plus complexes.
En revenir à la révolte d’octobre 2019
Il faut tenir compte de la crise politique globale dans laquelle nous vivons, à laquelle le Chili n’échappe pas, une crise de représentativité, des politiques et des institutions, une crise économique violente, une inflation galopante, une précarisation et un appauvrissement accrus depuis plus de 15 ans…c’est dans ce cadre qu’a éclaté la révolte d’octobre 2019…
Effectivement pour comprendre la situation actuelle il faut revenir au soulèvement populaire d’il y a 3 ans. Partie d’une protestation solidaire de jeunes du second degré contre l’augmentation du prix du billet des transports publics, cette protestation par contagion est devenue intergénérationnelle, va conduire à la paralysie des transports publics et à l’émergence d’une rage diffuse désignant comme responsable le gouvernement de Piñera, l’homme de droite multimillionnaire. Au Chili l’œuvre du néo libéralisme conduit au fait que, à chaque pas, nous nous heurtons à l’obstacle du marché : on doit payer pour tout, l’ école, le lycée, l’université, la santé etc…et cette rage accumulée pendant des décades se généralise alors : c’est la remise en cause de tout le système qui affleure…Piñera comprend qu’il devient l’ennemi commun et y répond par une déclaration de guerre, l’ état de siège et l’ armée dans les rues…la répression.
Ce sera la bascule et un élément explosif pour la généralisation de la révolte à tout le pays. Les blessures de la dictature se sont réouvertes. L’armée dans la rue…cela est vécu comme le retour du Pinochétisme. Toutes les couches y compris les non politisées, ressentent le traumatisme et une fracture qui va impulser une révolte de 3 mois dont un premier mois de manifestations et mobilisations presque quotidiennes.
Auto organisation et revendications
L’auto organisation accompagne les mobilisations : assemblées territoriales, de quartier, assemblées par ville, coordination des assemblées à Santiago et cet état de mobilisation générale établit trois demandes très transversales : la fin de la militarisation et de la violation des droits humains, la démission de Piñera et le changement de constitution. Jusqu’ici, lors des trente années antérieures, toutes les luttes se sont heurtées au mur de la Constitution et le peuple le plus organisé avait conscience de la nécessité de changer de Constitution, avec en plus dans les mémoires, la conscience qu’il s’agit d’une Constitution imposée par la force d’une dictature et ayant une forme néo libérale et donc de la nécessité d’une Constitution réalisée démocratiquement et qui soit anti néo libérale.
Mais cette revendication ne sortait pas de secteurs organisés minoritaires et le problème de la Constitution n’était pas au centre du débat politique. Cela montre comment, dans un contexte de révolte, le peuple fait des sauts politiques, sans peur, sans grands tours et contours philosophiques, car ce qui est nécessaire devient inéluctable
Contrôler et canaliser le processus de révolte
Mais l’élite politique du système a compris la profondeur du processus engagé et décide d’en finir avec la révolte. Elle prend les devants et établit avec le gouvernement Piñera un « Accord pour la Paix sociale et une nouvelle Constitution » signé par la plupart des forces politiques parlementaires. Cet accord consiste à décider d’un processus constituant très limité dans son contenu et sa forme qui s’apparente en fait à la continuation de la politique de la Constitution pinochétiste, donnant un pouvoir aux majorités parlementaires conservatrices, limitant les thèmes dont on pouvait discuter, par exemple les Traités internationaux de libre commerce qui étaient exclus du débat. De la sorte l’élite du régime prenait la tête du processus constituant au lieu que ce soit la révolte qui impose son rythme et sa direction.
La sensation du peuple mobilisé est qu’il s’agit d’une tromperie et en même temps, comme cela a lieu dans des conjonctures si intenses, il y a un débat et une division entre des secteurs minoritaires qui estiment qu’il ne faut pas s’engager dans ce processus et une position majoritaires favorable à y participer. En effet même si ce n’était pas le terrain que nous avions choisi, il s’agissait d’un terrain par lequel nous pourrions continuer la lutte politique pour une nouvelle constitution. Formulé ainsi, aussi clairement, c’est une vision rétrospective. A l’époque cela se discutait en plein chaos, et avec le début de dislocation et déstabilisation des Assemblées et organismes territoriaux, mouvement qui allait s’accentuer avec le début de la Pandémie.
La conjoncture change
Le Covid et le confinement furent un frein brutal pour la révolte dont nous ne nous sommes pas rendus compte sur le moment. Pendant tout un temps nous pensions que la révolte continuait avec la même vie. Mais de nombreux secteurs populaires qui n’étaient pas organisés ou n’avaient pas une tradition de luttes, n’avaient qu’une seule préoccupation, survivre au virus et survivre au chômage. La conjoncture a changé dans ces moments là. La survie est devenue prioritaire. Et la lutte politique constituante est entrée en compétition avec cette préoccupation vitale.
Malgré cela un succès a été remporté lors du premier référendum constitutionnel d’octobre 2020, soit 1 an après l’explosion sociale, qui demandait si on voulait ou non une nouvelle Constitution. La réponse en faveur de l’approbation a été de 80%. Précisons, dans un contexte où le vote n’était pas obligatoire.
D’où à nouveau la question : comment est il possible qu’un peuple qui par sa révolte met en question le néo libéralisme, un peuple qui approuve dans un 80% la nécessité d’une nouvelle constitution, qui élit une majorité anti néo libérale pour la Convention constituante chargée de la rédiger, rejette finalement cette nouvelle constitution.
Il y a une explication élitiste qui estime que le peuple n’est pas au niveau ou qu’il se laisse tromper. Ce n’est pas la nôtre. Il y en a une encore plus conservatrice, y compris venant de secteurs de gauche, qui estime que la nouvelle constitution était trop avancée pour le peuple chilien, qu’il serait donc incapable de comprendre ses droits et garanties ! Une autre aussi qui prétend que la Constitution ne défend pas les réalités sociales matérielles, mais des causes identitaires, comme si les revendications féministes, climatiques ou des peuples originaires ne s’incarnaient pas dans des réalités matérielles. Cette explication est vraiment à laisser de côté car cela voudrait dire abandonner le contenu de nos luttes de 30 ans
Comprendre-Analyser-Assimiler
Le problème c’est que nous sommes dans un contexte de crise très dure, qui provoque inflation et chômage. Une grande partie du peuple a été à nouveau confrontée à la priorité de la survie dans une société ultra néo libérale où chacun se débrouille comme il peut, et ces nombreux secteurs, dans ce contexte, ont reçu la nouvelle constitution comme une déstabilisation et une insécurité dans cette lutte quotidienne pour la survie, une menace. En fait, ils n’ont pas été associés et n’ont pas participé au processus constituant comme produit de leur propre lutte. Ainsi, cette lutte constitutionnelle n’a pas fait sens à cette grande partie du peuple parce qu’il n’y était pas associé et que les conditions sociales et politiques, celle de la lutte individuelle pour la survie, ont perduré. Elle a fait un sens, par contre, pour les secteurs organisés et mobilisés, car nous avons avancé vers un programme de transformations sociales, un horizon, nous avons fait une expérience politique inédite unique dans l’histoire, tant dans la révolte que dans le processus constituant
Nous, les mouvements sociaux et la gauche, nous devons nous poser la question : qu’est ce qui a été mal fait par rapport aux conditions sociales et politiques qui créent communauté et qui construisent un sens collectif, et permettent de contre carrer la propagande de la droite ?
Dans la révolte, lorsque nous étions dans la rue ou dans les assemblées ou sur les barricades, nous étions tous ensemble. Nous avons construit une communauté de lutte. Les fake news n’ont pas eu le même effet.car entre nous nous savions quelle était l’information correcte. Des mensonges il y en eu toujours, même si le volume a beaucoup augmenté, mais ce que nous avons perdu c’est la communauté de lutte qui nous permet de donner un sens à la communication. Le meilleur espace pour la communication, ce sont les luttes, pour notre propre vie dans tous ses aspects.
Cela nous amène à la nécessité d’une auto critique plus profonde encore, que nous devons faire comme gauche révolutionnaire au Chili, c’est d’avoir laissé de côté, l’idée que les Constitutions, ne résolvent pas les problèmes. Les Constitutions peuvent établir le terrain de la lutte des classes, pour des décennies, mais elles ne résolvent pas les problèmes de la lutte des classes. Nous le savions ; mais nous avons fait comme s’il n’en était pas ainsi.
Certes le processus constituant était le meilleur terrain pour avancer dans notre lutte. Je ne pense pas que cela ait été une erreur d’ y participer.. Au contraire, cela a été très juste. Mais nous n’avons pas fait l’effort suffisant pour établir les liens avec les secteurs populaires, pendant le processus constituant. Nous sommes peu nombreux. Et beaucoup d’entre nous étions concentrés pour assurer cette bataille. Et nous avons beaucoup avancé jusqu’à la fin. Les actes de fin de campagne, ont vu 200.000 personnes à Santiago pour la nouvelle constitution. En face, contre nous, il y avait des manifs très faibles. Et malgré cela, ils ont gagné l’élection. Le peuple mobilisé a voté en faveur de la Constitution, Le peuple démobilisé (en incluant bien sûr la contre offensive puissante des médias et autres moyens de la droite) a voté pour le refus. C’est un coup de réalité qui s’est abattu sur nous.
Leçons du cycle des révoltes ouvert à partir de 2011
Ici la leçon politique chilienne est une chose mais il convient d’intégrer toutes les leçons internationales. Dans le cycle des révoltes ouvert depuis 2011 nous devons lucidement tirer des leçons. C’est que les révoltes sont la base de tout mais elle ne sont pas une garantie en soi. C’est ce que montrent les conséquences terminales des révolutions arabes, la réalité de ce qu’est « Podemos » aujourd’hui en Espagne après les « indignados » de 2011 ou en Equateur le gouvernement de Guillermo Lazos après les soulèvements des peuples équatoriens, ou au Chili les mobilisations étudiantes qui ont conduit finalement à la formation du « Frente amplio » de Boric. Le pire c’est le gouvernement de Bolsonaro au Brésil après un cycle de grandes mobilisations en 2013.
Les révoltes ne sont la garantie de rien. Même si elles peuvent ouvrir beaucoup de choses, elles ne les résolvent pas. Une des autocritiques que nous avons faites après la défaite du référendum du 4 septembre, c’est que après le premier référendum d’octobre 2020 où 80% des électeurs ont voté pour une nouvelle Constitution, après l’élection d’une majorité néo libérale dans la Convention Constituante, avec la rédaction d’une Constitution très avancée, nous pensions que nous étions encore sous la poussée de la révolte d’octobre 2019. Il y avait en nous une sorte d’ illusion d’octobre, comme si tout le Chili avait changé, que les consciences étaient définitivement gagnées. Certes le Chili s’était réveillé et c’est ce que nous disions à ce moment là, mais on peut se réveiller et s’endormir à nouveau ou être contraint de faire autre chose que changer le monde. La lutte des classes est un processus permanent. Dans les révoltes il faut construire une médiation pour pouvoir assurer les triomphes politiques postérieurs. Il nous faut donc combiner toutes les leçons, celles d’ Espagne, de Grèce, du Brésil. Le cas du Brésil est dramatique car l’élection de Bolsonaro a beaucoup à voir avec le tournant centriste du gouvernement du PT et de Lula qui a déçu beaucoup de gens.
Et on en revient au problème de l’alternative. Car nous ne devons pas en rester là et nous lamenter. Malgré ce coup porté je crois qu’il y a une vraie opportunité. Ce n’est pas le moment de reculer. Comme je le disais, nous avons beaucoup avancé. Il nous faut construire à partir de ce peuple mobilisé, qui croyait en ce projet, et réussir à rassembler, mobiliser et additionner les autres secteurs. qui ont voté contre une constitution qu’ils ont senti comme une menace. Notre défaite n’est pas une victoire de la droite ! La droite aujourd’hui essaye de négocier un nouveau processus constituant, mais n’a pas de projet de société sinon celui de continuer à défendre les chefs d’entreprise.et donc une perspective conservatrice et autoritaire
Le gouvernement Boric
Le gouvernement Boric. a une responsabilité très grande dans le résultat du référendum. Son programme était aussi un programme de démocratisation, de garanties et de droits. qui se rapprochait du contenu de la nouvelle Constitution. Le destin du processus constituant et du gouvernement Boric sont apparus très liés. C’était une arme à double tranchant, car si le gouvernement va mal le processus va mal aussi et c’est ce qui est arrivé. Cela a pesé dans le résultat. Ce résultat a été ressenti comme un coup fatal au gouvernement Boric. Personnellement je ne crois pas que cela soit à ce point. Mais ce gouvernement l’a ainsi interprété. Et il a donc décidé de se déplacer politiquement encore plus vers le centre.
Il s’agit d’un gouvernement complexe formé de deux coalitions : la coalition du Président qui s’appelle « Apruebo dignidad », formée du « Frente Amplio », le parti de Boric, et du Parti Communiste (PCC) et d’un autre côté, la coalition « Socialismo démocratico » (qui n’ rien à voir ni avec l’une ou l’ autre des qualifications), formée du Parti Socialiste et de ses complices et qui ont fait partie de l’ ex « Concertacion » néo libérale qui a administré les années de gouvernement après la mort de Pinochet.
Il y a dans une partie du gouvernement, des secteurs du « Frente Amplio » ou du PCC avec lesquels nous avons mené des luttes communes. Au niveau local, dans certaines municipalités ils adoptent des mesures sociales qui ressemblent aux revendications du mouvement social ou féministes. Il serait absurde de les repousser. Parfois même nous devons les défendre contre l’offensive de la droite. Mais sur la marche générale du gouvernement il se situe de l’autre côté de la barricade et il n’y a pas d’autre position que de l’attaquer. Nous devons garder notre indépendance vis-à-vis de lui.
Ce qui est le pire dans ce gouvernement c’est qu’il gouverne avec ceux là même contre lesquels ils ont combattu lors des luttes à partir de 2006 et 2011. Ils demandent à ceux qui sont contre leur programme d’appliquer ce programme ! C’est un peu ce qui se passe en Espagne entre Podemos et le PSOE, c’est donc quelque chose de connu. D’ailleurs les secteurs du gouvernement ont eu une attitude très tiède dans le processus constituant : ce ne sont pas eux qui ont défendu les aspects avancés de la constitution, ils y ont même beaucoup résisté, et ils ont voté avec la droite sur pas mal d’articles. A la fin du processus ils ont dit que si la nouvelle Constitution était repoussée, ce n’était pas si grave car on pouvait en faire une autre. Position stupide, car il s’agissait là de demander à un peuple qui déteste les politiques qu’il doit se concentrer sur sa vie quotidienne et accepter que pendant un an et demi les politique se mettent d’accord pour écrire une nouvelle constitution. Cela a renforcé le vote en faveur du refus De plus il ajoutait que de toutes manières, même adoptée, il serait possible de changer la constitution à n’importe quel moment. Position totalement erronée. Le gouvernement était « dans un entre deux » ; et il continue actuellement en approuvant récemment par exemple un nouveau traité Traité commercial multilatéral, le Traité Transpacifique contre lequel il était au départ. Le gouvernement Boric recule sur beaucoup de points et fait ce que la droite voulait faire, continuer à militariser les territoires indigènes, ou les frontières du Nord, réprimer les étudiants qui protestent..
Nous sommes donc dans un moment complexe pour la politique au Chili, car ceux qui sont aux aguets des erreurs de Boric, c’est l’extrême droite. Le tournant vers le centre du gouvernement s’est consolidé et l’espace d’une gauche qui ne soit pas au gouvernement est à occuper. Notre principal adversaire pour gagner le peuple et lutter avec lui ce n’est pas le « réformisme » ou le dit « progressisme », c’est l’ultra droite
Pour une alternative politique
En ce moment, à part les secteurs de gauche qui sont dans le gouvernement, il n’y a pas une alternative de gauche réelle au chili. Certes il existe des petites organisations comme la mienne. Mais nous ne sommes pas en mesure d’ouvrir un chemin différent. Le défi aujourd’hui c’est de construire cette alternative qui doit reprendre toute l’expérience de la révolte, (les tactiques de défense de rue, les assemblées territoriales etc…) et toute l’expérience politique du processus constituant. Celle-ci a été très significative pour les mouvements sociaux qui ne s’étaient jamais posé le problème de disputer le pouvoir, de cette manière, massive, au niveau national.
Nous avons expérimenté notre capacité de nous confronter dans une même enceinte, dans une institution nationale se posant tous les problèmes d’organisation de la société et aussi notre capacité à mobiliser dans la rue, et à’ impulser des mobilisations. Jusqu’ici les mouvements sociaux, étaient des facteurs de mobilisation ou de luttes pour certaines revendications, qui adressaient des demandes face à l’Etat. Dans le processus constituant, c’est un processus d’ auto représentation politique que nous avons vécu ; il ne s’agit plus d’ élire un représentant politique qui représente notre mouvement, nous avons directement une personne du mouvement qui nous représente, Certes, conjoncturellement, nous avions pu avoir un élu ici ou là, un maire, ou une députée, mais, à cette occasion, on a vécu un déploiement politique national, certes un peu chaotique, difficile, ce n’était pas parfait, mais c’est une première expérience à ce niveau de portée nationale.
Avec le processus constituant nous avons fait un saut en faveur d’un débat politique qu’avant nous ne pouvions mener. Dans le moment présent il ne faut peut être pas prétendre faire de nouveaux sauts, mais construire à partir du niveau atteint pour accompagner peut être plus modestement la construction d’une force politique, d’un front politique. Il ya une phrase de Daniel Ben Said qui a été pour moi un guide dans les dernières années, c’est que pour les petites organisations, non hégémoniques, le plus important c’est de quel point d’appui partir sur lequel on peut construire un mouvement Ainsi au Chili, il nous faut construire à partir des secteurs qui sont mobilisés et qui ont des conditions de s’unir, pour aller ensuite chercher les secteurs inorganisés, ceux qui ont voté les refus de la constitution..
Dans mon organisation « Solidaridad », nous considérons qu’il s’agit de former un front politique des mouvements sociaux, qui articule l’archipel d’organisations militantes, pour pouvoir construire une grande alliance, un mouvement de mouvements qui puisse mener toutes les batailles, la bataille pour construire un sens commun transformateur, dans les secteurs qui ne sont pas organisés, la bataille des luttes sociales, revendicatives, dans la vie quotidienne, et les luttes politiques de grande portée, régionales ou nationales. Certes c’est plus facile à dire qu’à faire. En ce moment les mouvements sociaux, et les organisations politiques qui participons à ce projet avons réussi à former le « Comando » de campagne du référendum le plus grand au chili, avec plus de 100 organisations dans tout le Chili, Nous sommes en capacité de mener ce débat, de nous rencontrer au niveau régional, et il y a une volonté très claire de vouloir construire cette grande alliance.
Mais il y a deux défis à relever et des obstacles à lever.
• Que faire avec le processus constituant qui est maintenant entre les mains du Parlement ? Nous devons poser la question de manière très honnête : la prochaine grande bataille va-t-elle être pour la constituante dans un processus aussi restreint, et sous la direction des parlementaires conservateurs, lesquels ouvertement veulent en exclure les mouvements sociaux, et voir reculer la constitution sur des minimas réduits du point de vue démocratique ?
Les formes du nouveau processus sont en train d’être discutées, et ne convainquent personne car en fait, il semble que personne ne veuille changer la Constitution, les parlementaires et responsables politiques discutent totalement à reculons…Pourtant le problème reste posé que nous avons besoin d’une nouvelle Constitution. C’est le premier défi,
• Le deuxième défi c’est comment dépasser la forte fragmentation des mouvements sociaux, le sectarisme des groupes de gauche, et la trop grande intériorisation de la défaite subie, qui ne nous a pas permis d’apprendre à gagner. Parfois, il semblerait que nous préférions perdre, quand on est sur le point de gagner, viennent les disputes les plus fortes, Il nous faut dépasser cette mesquinerie et ce manque de générosité.
Comment encadrer cette alliance de gauche pour que notre lutte aille au-delà des luttes sociales et électorales, qu’elle soit capable d’intégrer et qu’elle ait une perspective stratégique au-delà du nouveau processus constituant. Former une alliance qui dépasse ses propres faiblesses, Nous sommes dans un moment très opportun pour cela, grâce à ce que je viens de dire.
Il y a pour nous la base d’un programme dans la nouvelle constitution, et même si elle n’a pas été approuvée ça continuera à être un horizon qui réunit toutes les dernières luttes sociales. Sur cette base on peut construire ; car en plus du programme, nous avons une expérience politique, de batailles politiques et de discussions. Malgré une défaite très forte, les conditions pour continuer sont meilleures. Il faut utiliser l’opportunité du chaos actuel et faire montre de créativité comme nous avons su le faire au moment de la révolte en participant aux Assemblées territoriales, aux coordinations… mieux encore, combiner la spontanéité qui existe toujours, avec les propositions de la gauche révolutionnaire, savoir avec patience et audace construire quelque chose qui ressemblera le moins possibles aux véritables repoussoirs que sont les vieux partis politiques. Certains préfèrent penser qu’on sera toujours pire. Je pense que nous avons besoin d’un optimisme radical pour contribuer à créer ainsi les conditions de la révolution.
Paris, le 14 octobre 2022
Pablo Abufom