• Comment s’est préparé le forum social des quartiers populaires ?
Kaïssa Titous - Ce forum résulte d’une réflexion collective et de multiples rencontres, depuis 2005, entre plusieurs groupes de militants des quartiers s’étant mobilisés au sein du MIB, Divercités et Motivés. Cette réflexion venait après des années de batailles menées dans les quartiers populaires, sans le relais politique qui aurait permis de changer la vie des habitants. Les révoltes de 2005, et bien d’autres avant, ont confirmé les craintes de ces militants de terrain, qui n’ont eu de cesse d’alerter quant à la dégradation sociale de certains quartiers. D’autre part, ces révoltes ont pris tout le monde de court et ont posé la question d’un débouché politique. Ce constat, fait depuis de nombreuses années au sein de nos mouvements, a conduit à la nécessité de se rassembler, de faire le point et de poser des pistes de réflexion et d’action précises par rapport aux réalités sociales vécues par les hommes et les femmes dans les quartiers, et notamment à travers la tenue de ce premier Forum social des quartiers populaires.
Une cinquantaine d’associations se sont jointes à cette initiative, qui aura lieu les 22, 23 et 24 juin à Saint-Denis : trois jours de débats, de rencontres, de concerts et de projections de films ; trois jours où seront enfin visibles toutes les luttes menées dans les quartiers populaires. Un espace femmes non mixte abordera la question de l’égalité de traitement et des discriminations entre homme et femmes, afin de sortir des instrumentalisations actuelles de cette question. D’autre part, l’autonomie de nos luttes suppose que toutes les personnes concernées par les luttes des quartiers populaires prennent leurs responsabilités, dont celle de l’autofinancement. C’est pour cela que nous avons mis en place un appel aux dons, soutien financier nécessaire à la réalisation de ce premier Forum des quartiers. En contribuant financièrement au projet, vous devenez les garants de son indépendance et vous permettez qu’une dynamique inédite puisse émerger des quartiers.
• Pourquoi avoir organisé ce forum ?
K. Titous - Les raisons essentielles sont : rendre visibles des mobilisations et des associations invisibles dans les médias ; lutter contre l’idée que les quartiers populaires sont des déserts politiques ; mutualiser les expériences de lutte, faire sortir les associations de leur isolement et de leur éparpillement ; poser des problématiques communes aux quartiers populaires dans l’agenda politique, sans les phénomènes de distorsion dus aux médias et aux partis politiques dominants ; impulser des luttes communes et favoriser des convergences, tout en veillant à leur dimension autonome parce que nous avons fait le constat de l’échec des gauches et de leur incapacité à être les porte-parole des quartiers populaires ; lutter contre la professionnalisation de la classe politique - la distance sociale entre la classe populaire et le personnel politique.
Les problèmes rencontrés dans les quartiers populaires sont des questions politiques. Les organisations politiques doivent s’en emparer et mener des luttes. Faire de la politique dans ces quartiers ne doit pas seulement se traduire la distribution du même tract sur tous les marchés de France. Cela doit prendre en compte la dimension locale et les vraies questions posées par les habitants des quartiers. C’est organiser, aider les habitants à mener des luttes sur des questions qui touchent leur vie quotidienne - l’école, le cadre de vie, le logement, les discriminations, etc. C’est ainsi qu’on retrouve confiance dans l’action collective. En transformant des réalités écrasantes, en donnant de l’espoir à des familles et à leurs enfants.
• Quels liens envisagez-vous avec les mouvements politiques et sociaux ?
K. Titous - Poser la question des relations entre le mouvement social et les quartiers populaires est essentiel. Ils doivent revenir se battre dans ces quartiers, ils doivent venir transmettre des mémoires de lutte et jeter leurs forces pour permettre que les paroles et les exigences des quartiers soient relayées, entendues et prises en compte. Cela pose aussi la question de la pratique syndicale dans les quartiers : comment organiser les luttes des habitants des quartiers et les articuler avec la question sociale ? Comment se battre contre le chômage ? Qui décide des priorités des luttes, les habitants ou les appareils ? Quelle démocratie locale, quand beaucoup ont même renoncé à voter ou à s’exprimer ? Que faire dans les quartiers où les organisations religieuses font faire du porte-à-porte à des dizaines de militants ?
Le Forum social s’inscrit dans une démarche autonome. L’autonomie ne signifie pas le séparatisme ou le repli communautaire, dont on accuse les habitants des quartiers, l’apartheid urbain n’est pas le choix des habitants : ce sont plutôt les conséquences d’un système qui regroupe les plus pauvres entre eux, créant des ghettos de Noirs, d’Arabes ou d’autres. Cette communautarisation, cette relégation, est organisée par ceux-là même qui la dénoncent en faisant peur aux Français. Le lien avec le mouvement social est nécessaire, mais il doit se fonder sur des bases claires, qui prennent conscience d’une forme de « domination » des habitants des quartiers par ces organisations - le clivage social entre les organisations de gauche et les classes populaires. Ce lien doit se construire sur une base égalitaire, et non sur la logique des porte-parole autoproclamés.
• Quelles sont vos perspectives d’action ?
K. Titous - Les débouchés seront en conformité avec la volonté des gens - nous ne venons pas avec une organisation ficelée ou un programme. Nous voulons tout simplement faire émerger des luttes et des problèmes communs, afin de nous rassembler et d’y faire face. Cela se passera peut-être dans des campagnes nationales sur le logement, les discriminations à l’embauche contre les jeunes, le racisme, l’école ou la pauvreté croissante. Nous avons besoin de mettre ensemble nos mémoires, nos luttes et de construire des solidarités de lutte, parce que nous en avons assez de ne pas pouvoir peser réellement sur notre réalité sociale. Cela passera-t-il par la construction d’une organisation ? On verra. De toute façon, nous avons déjà décidé de nous retrouver à l’automne. Ce forum n’est qu’un moment.
• Rens. : www.fsqp.free.fr, fsqp gmail.com, 01 40 36 24 66.