« Nous devons faire de la survie notre objectif principal (
Un congrès qui s’annonce hors norme. Son chiffre rond, témoin de la longévité du parti au pouvoir, y invite. Plus fondamentalement, il va marquer une rupture avec la tradition établie depuis la mort de Mao Zedong, en 1976, en désignant pour la troisième fois le même secrétaire général, M. Xi Jinping — jusqu’ici, on ne pouvait exercer plus de deux mandats. Enfin, cette réunion se déroule alors que le pays doit relever une série de défis internes (baisse de la croissance, Covid et politique de confinement total, pollution) et externes (relations dégradées avec les États-Unis, avec les voisins en mer de Chine, guerre russe en Ukraine), sans oublier les tensions avec Taïwan.
Il a fallu attendre début septembre pour en connaître la date : le 16 octobre, cinq ans, jour pour jour, après le XIXe Congrès. Cette précision de métronome est censée montrer aux 96,7 millions d’adhérents, aux 2 300 délégués de toute la Chine convergeant alors vers Pékin, et même aux simples citoyens que la direction aborde cette échéance avec sérénité. Il est vrai que, si l’essentiel des orientations et surtout de la composition de l’équipe dirigeante n’était pas réglé, le rendez-vous aurait été retardé. Car, contrairement à ce que l’on entend souvent en Occident, il y a débat au sein du saint des saints communiste. Feutré voire secret, mais réel. Cette année, les sujets de friction ne manquent pas — plus nombreux que ne s’y attendait le « président de tout », comme on surnomme parfois M. Xi pour signifier que rien de ce qui est important ne lui échappe.
Parmi les points de tension figurent les questions économiques et sociales. Certes, le bilan de sa décennie apparaît tout à fait honorable : une moyenne de 6 % de croissance, même si le taux à deux chiffres n’est plus de mise ; une éradication de la pauvreté absolue, même si la Chine reste au soixante-douzième rang mondial en termes de richesses par habitant, selon le Fonds monétaire international (FMI) ; la construction d’infrastructures modernes (chemin de fer, autoroutes, aéroport) dans un pays immense qui en manquait cruellement ; une montée en gamme réussie des productions, à tel point que, par exemple, la valeur ajoutée chinoise dans un iPhone d’Apple, qui s’élevait à 3,6 % il y a quinze ans, atteint aujourd’hui plus de 25 % (
Toutefois, cet exemple même prouve que l’industrie demeure dépendante des technologies étrangères, notamment pour les semi-conducteurs de la dernière génération conçus à Taïwan et pour les logiciels. La guerre économique américaine lancée par le président Donald Trump et renforcée par son successeur Joseph Biden, avec son cortège d’interdictions d’importations et d’exportations, compromet sérieusement l’avenir. Huawei, à la pointe mondiale pour la 5G et les réseaux de télécommunication, s’est ainsi fait couper les ailes.
Pourtant, loin de l’image véhiculée par les médias, « Xi Jinping a davantage ouvert l’économie au commerce extérieur et aux investissements », note l’économiste américain David Dollar, chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’appui. En 2020, précise-t-il, « la Chine a dépassé les États-Unis pour l’accueil des investissements directs étrangers (IDE) : 253 milliards de dollars d’entrées, contre 211 milliards. Ils ont encore augmenté en 2021, notamment dans le secteur des services et de la haute technologie » (
Reste que l’économie patine : au deuxième trimestre 2022, la croissance est restée atone (0,2 %) — du jamais-vu depuis trente ans. La baisse du commerce mondial et la stratégie zéro Covid, qui paralyse des métropoles et des régions entières, expliquent, pour partie, ces faiblesses. Tout comme l’arrêt brutal de la folle construction immobilière des dernières décennies conduisant à une bulle que le pouvoir veut faire éclater en douceur, sans y parvenir tout à fait.
Chômage des jeunes qualifiés
S’y ajoutent la volonté de contrôle des géants de l’économie numérique qui avaient étendu leurs tentacules financiers, tel Alibaba (
Au total, le chômage grimpe dangereusement, notamment pour les jeunes qualifiés : près d’un sur cinq (19,6 %) ne trouve pas d’emploi. Or, au pays de l’enfant unique, la situation est explosive. Si le contrat social — promesse d’avenir meilleur contre monopole du PCC — est entamé, l’avenir sera compromis (lire « La classe moyenne a besoin d’être rassurée »). On comprend que les plus hauts fonctionnaires et cadres du parti, qui jouent leur destin personnel, ne suivent pas comme un seul homme les directives du « président de tout »…
L’autre sujet de préoccupation s’appelle Taïwan. Le refus de laisser l’île déclarer son indépendance fait quasiment l’unanimité au sein du PCC et sans doute dans la société. En revanche, la façon de traiter Taipei est contestée, M. Xi n’apparaissant pas forcément comme le plus va-t-en-guerre. Certains, notamment dans les milieux militaires, estiment que Pékin devrait frapper vite et fort « avant que les États-Unis se servent de Taïwan pour faire à la Chine ce qu’ils ont fait avec l’Ukraine à la Russie, une guerre interposée », explique un cadre de l’armée de terre, aujourd’hui reconverti, qui trouve le président trop indécis. D’autres, défendant la même idée, estiment que le pays doit continuer à se préparer militairement (
En Chine, M. Xi a inclus l’unification du territoire dans son vaste projet de rajeunissement du pays. Taïwan est donc considéré comme la « pièce manquante (
Dans l’île, les habitants ont tiré les leçons de la mise au pas de Hongkong. Ils en ont conclu que la formule « un pays, deux systèmes » prétendant assurer leur autonomie démocratique n’était qu’un slogan destiné à leur faire avaler la pilule d’une centralisation à outrance. Cela a d’ailleurs permis à Mme Tsai Ing-wen, au bilan social contesté, de se faire réélire triomphalement présidente en janvier 2020. Ce qui a encore amplifié les appréhensions de Pékin.
Aux États-Unis, la frénésie antichinoise et l’importance géostratégique de l’île poussent les dirigeants à sortir de la politique de reconnaissance d’« une seule Chine », en vigueur depuis 1979 (
Tout cela conforte M. Xi dans sa volonté de se tourner vers le monde non occidental et singulièrement l’Asie. S’il n’a pas réussi à contenir la puissance militaire et stratégique de Washington dans la région, il est parvenu à y consolider ses liens via le partenariat économique régional global (PERG), le plus grand accord de libre-échange jamais conclu, avec les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase, plus connu sous son acronyme anglais Asean), l’Australie, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande. « En 2012, les États-Unis étaient le plus grand marché pour les produits chinois », note David Dollar ; dorénavant, ils sont supplantés par les pays du PERG. Cette interdépendance économique amène la plupart des dirigeants de l’Anase à refuser de choisir entre Washington et Pékin, malgré les pressions de chaque camp.
Débats inattendus
La Chine pousse également ses pions du côté de l’Asie centrale. Pour sa première visite à l’étranger depuis deux ans et demi, le président Xi s’est rendu au Kazakhstan puis en Ouzbékistan, dans la ville mythique de Samarkand, où se tenait, début septembre, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS). Celle-ci a pour particularité de réunir quatre des cinq républiques centrasiatiques (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan), la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, membres de plein droit, auxquels se joignent les observateurs : Azerbaïdjan, Arménie, Cambodge, Népal, Sri Lanka, Mongolie, Turquie (membre de l’OTAN), Égypte, Qatar, Arabie saoudite et Iran, qui a demandé son adhésion.
Les dirigeants chinois citent souvent ce groupe de Shanghaï comme modèle de leur conception d’un nouvel ordre international, sans domination occidentale, où des pays s’opposant sur certains sujets parfois vitaux (l’Inde avec le Pakistan sur le Cachemire, ou l’Iran et l’Arabie saoudite…) peuvent travailler ensemble sur d’autres, ou en tout cas dialoguer.
Le sommet de septembre a surtout été marqué par la guerre russe en Ukraine et les rencontres bilatérales entre M. Vladimir Poutine et le président chinois d’une part, le premier ministre indien d’autre part. Peu de choses ont filtré, si ce n’est que le président russe a déclaré à M. Xi : « Nous apprécions fortement la position équilibrée de nos amis chinois quant à la crise ukrainienne (…). Nous comprenons vos questions et vos inquiétudes à propos de la guerre (
En fait, l’invasion de l’Ukraine contredit l’inviolabilité de la souveraineté nationale à laquelle la Chine est attachée. M. Wang Wenbin, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a redit, en marge de l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, que Pékin « appelle les deux parties à cesser le feu et à négocier (
Celui-ci est en tout cas fort discuté dans les rangs du PCC, où des personnalités de premier plan ont ouvertement contesté les choix actuels (
Les critiques ne se limitent pas aux relations sino-russes. Elles touchent, de plus en plus ouvertement, tous les aspects de la vie sociale. La répression et la censure, qui se sont renforcées, ne suffisent pas à les étouffer, comme l’explique Sun Liping dans un texte délicieusement intitulé « Pourquoi les moutons ne veulent pas être attachés » (
Martine Bulard
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