Évêque de Gap jusqu’à son départ à la retraite en 2017, Jean-Michel Di Falco fait l’objet d’une assignation au civil pour des accusations de viols et agressions sexuelles sur mineur, comme l’avait révélé Mediapart en 2016. La victime, qui réclame des indemnisations financières à l’ancien évêque, a été déboutée en appel, sur la base de la prescription des faits, datés des années 1970. Mais le dossier a été relancé par un arrêt de la Cour de cassation de juillet 2022.
L’Église a aussi révélé que deux autres évêques, qui ne sont aujourd’hui plus en fonctions, « font l’objet d’enquêtes aujourd’hui de la part de la justice de notre pays après des signalements faits par un évêque ». Un troisième, dont on ne sait pas s’il est encore en poste, a fait l’objet d’un signalement au procureur, resté sans réponse à ce jour. Ce dernier fait l’objet de mesures de « restriction de son ministère » de la part de Rome.
Ces trois affaires n’ont pas été détaillées. Une méthode qui laisse libre cours à toutes les rumeurs et qui expose l’Église à vivre une déflagration à chaque fois qu’un nouveau nom sera rendu public. « C’est du goutte-à-goutte, un supplice chinois, même si je comprends le souci de ne pas jeter des noms en pâture si les procédures judiciaires ne sont pas très avancées », soupire Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre.
Enfin, la CEF ajoute à cette liste les cas de trois évêques qui n’ont pas dénoncé des agressions commises par des prêtres dont ils avaient la charge. Il s’agit de Pierre Pican, ancien évêque de Bayeux, condamné en 2001 à trois ans de prison avec sursis, d’André Fort, ex-évêque d’Orléans, condamné en 2018 à huit mois de prison avec sursis, et de Philippe Barbarin, ancien archevêque de Lyon. Condamné en première instance à six mois de prison avec sursis en 2019, ce dernier a été relaxé en appel l’année suivante. Il figure malgré tout dans le décompte de la CEF, qui garde peut-être en tête les quatre autres dossiers mettant en cause la responsabilité de l’ex-primat des Gaules, documentés par Mediapart.
Transparente, mais pas trop
Que retenir de cette communication ? D’abord que la transparence de l’Église ne s’applique jamais a priori. Elle reste un exercice sous contrainte. Car l’épiscopat était en réalité au pied du mur, sous le coup d’une double pression.
Pression de centaines de catholiques d’abord, regroupés ces dernières semaines derrière le mot d’ordre « Sortons les poubelles » et enjoignant à l’institution de quitter son entre-soi. Pression de certains responsables cléricaux aussi. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut interpréter une petite phrase d’Éric de Moulins-Beaufort : « Les transformations concrètes suscitent toujours des résistances, raisonnables ou non. Il en va de même chez les évêques. »
En « off », un évêque décrit un épiscopat « fracturé et paralysé par les prochains noms qui pourraient sortir ». « Ils voient bien que les catholiques sont de moins en moins patients sur ce sujet », ajoute-t-il. Il y a un an, un appel signé par trois personnalités catholiques réclamait une démission collective des évêques, présentée comme la « seule issue honorable » face à la « faillite » de l’institution.
Ensuite, cette transparence reste toute relative. Jamais en effet l’Église n’a abordé frontalement la question des affaires couvertes par ses évêques. Dès 2017, Mediapart avait pourtant dénombré vingt-sept dossiers dans lesquels les prélats s’étaient abstenus de porter les faits à la connaissance de la justice.
Le président de la CEF lui-même, lorsqu’il était en poste au diocèse de Paris, a maintenu au contact de jeunes un prêtre dont le comportement posait pourtant selon lui « un réel problème ». Sans aucune réaction de l’Église. Cette fois, pas question de dévoiler une liste lors d’une conférence de presse.
C’est toute l’ambivalence de l’Église. Elle est capable à la fois de faire un travail de qualité, à l’image du rapport de la Ciase qui inspire notamment la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants lancée par le gouvernement, et de le fragiliser aussitôt en évoquant, par l’intermédiaire de Moulins-Beaufort, le « secret de la confession […] plus fort que les lois de la République ».
Elle est aussi accusée de lenteurs coupables dans l’indemnisation des victimes (moins d’une cinquantaine de personnes ont reçu une indemnité financière à ce jour, pour des montants allant de 8 000 à 60 000 euros) ou pour réformer en profondeur la formation et le statut des prêtres.
Se dégage finalement l’impression que l’Église n’en finit pas de vouloir tirer les leçons de vingt ans de scandales de violences sexuelles en son sein. Après avoir admis mardi que la confiance des catholiques envers leurs plus hauts responsables a été une nouvelle fois « brisée », Éric de Moulins-Beaufort s’est empressé d’ajouter que l’Église a « travaillé » pour « tirer au clair ce qui s’était passé ». Comme si les prêtres, juristes, chercheurs, sociologues, théologiens, journalistes qui ont démontré la manière dont ces violences et l’omerta ont pu prospérer dans l’institution n’avaient jamais existé. Comme si l’Église partait d’une page blanche à chaque nouvelle affaire.
Mathieu Périsse (We Report)