Depuis l’adolescence, mes convictions politiques ont évolué d’un pro-soviétisme primitif à une position militante articulée et consciente. Il est crucial pour la gauche ukrainienne de se dissocier du passé stalinien de notre pays. Par conséquent, je crois que le socialisme doit nécessairement être anti-xénophobe, sensible aux mouvements de base et aux besoins réels de la société, respectueux de l’environnement et nettement pro-féministe, ce qui signifie démocratique. Bien sûr, je crois qu’une révolution est une mesure nécessaire pour faire avancer la société, mais pour avoir une activité efficace, un mouvement politique doit être flexible et s’adapter aux conditions objectives d’un pays, d’une situation et d’un moment particuliers.
Les opinions politiques que j’avais déjà au lycée m’ont poussée à bien des égards à choisir ma profession. Récemment, j’ai obtenu une licence en graphisme de livres et j’ai appris diverses techniques qui sont maintenant très demandées pour travailler avec les médias de gauche. En plus des illustrations, je travaille souvent avec des polices de caractères, des mises en page de livres et la conception de divers produits graphiques. Le plus agréable pour moi est de travailler avec des techniques d’impression traditionnelles comme la linogravure, la collagraphie et la gravure, mais pendant la guerre, mes possibilités techniques et temporelles sont très limitées.
Aujourd’hui, je suis membre active du Socialniy Rukh, où je milite en tant que designer bénévole et crée une gamme complète de supports visuels pour l’organisation : posts Instagram, t-shirts, illustrations, brochures et affiches. Il est assez difficile d’imaginer ce que je n’ai pas fait pour mes camarades. Je communique très étroitement avec le comité de l’organisation, et j’ai des sentiments vraiment amicaux pour nos militant.es, bien que leur position ne soit pas monolithique et qu’il y ait parfois des discussions.
Dans le passé, j’ai vécu l’expérience de l’organisation de manifestations étudiantes à Kharkiv, je milite toujours activement avec la communauté de mon académie des arts, où je suis membre du conseil des étudiant.es et responsable du dortoir. Avant la guerre, je supervisais un petit groupe de lecture marxiste à Kharkiv et j’essayais d’être un lien pour la gauche de cette ville. Aujourd’hui, même sous le statut de réfugiée, je participe toujours activement au mouvement socialiste ukrainien et je fais tout ce qui est en mon pouvoir : du travail médiatique au travail physique rude en tant que bénévole.
Comme toute ma famille s’est retrouvée dans un Marioupol occupé et que certains membres de ma famille sont morts à cause des hostilités, il peut être psychologiquement difficile pour moi de travailler et de consacrer suffisamment de temps à l’art. Mais désormais, je réalise beaucoup plus de travaux artistiques qu’avant la guerre, car chacun se bat sur son front, et la tâche principale pour moi est de populariser les idées du socialisme en Ukraine, de créer un nouveau style reconnaissable de la gauche est-européenne, et bien sûr, d’aider notre société à s’opposer à l’impérialisme russe. Les groupes de gauche ukrainiens et russes à courte vue, ainsi que le gouvernement de la Fédération de Russie, qui parasite l’héritage soviétique, ont considérablement altéré l’opinion du peuple ukrainien sur les communistes et les divers·es militant·es de gauche. La conviction de certain.es militant.es que la guerre oppose les deux impérialistes, l’OTAN et la Russie, et que c’est une bonne idée de saboter l’armée ukrainienne, ou de ne rien faire du tout, est fondamentalement erronée.
Une telle opinion nous éloigne de la victoire de l’Ukraine, qui se bat dans une lutte décoloniale, et pour le mouvement de gauche ukrainien de la possibilité de se développer. J’espère que toute cette horreur prendra fin le plus tôt possible, et qu’ensemble nous commencerons à reconstruire notre beau pays, en le rapprochant au fur et à mesure du modèle d’un État social fort qui traitera avec soin et sensibilité son peuple, qui travaille honnêtement pour un monde meilleur.
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Katya Gritseva
Patrick Le Trehondat
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