AmbianceAmbiance spectrale à la bourse du travail de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Dans la grande salle, ce dimanche 11 décembre, beaucoup de sièges sont vides. Seule la moitié des 200 délégué·es au 5e congrès du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) sont encore présent·es, l’autre moitié ayant quitté les lieux avec pertes et fracas la veille, autour de l’ex-candidat à la présidentielle Philippe Poutou.
En cause, des désaccords profonds, tant sur l’orientation politique que sur le fonctionnement et la conception du parti, qui avaient rendu sa vie interne irrespirable depuis des mois.
« Nous allons continuer nos vies séparément, ont annoncé solennellement les délégué·es regroupé·es autour de la direction sortante, dans un texte interne que Mediapart a pu consulter, et qui a été défendu à la tribune le 10 décembre à la mi-journée. D’un côté, celles et ceux qui font vivre le NPA depuis des années, ses campagnes – notamment présidentielles –, ses instances démocratiques, son expression, la coordination de ses activités, sa librairie ; de l’autre, des fractions qui ont déjà leur propre vie et sont en désaccord avec le projet qui a présidé à la fondation du NPA (même si elles se revendiquent de son logo). »
Ce texte, signé par 100 des 102 délégué·es de la « plateforme B » (une des orientations proposées aux militant·es), a ouvert la voie à une séparation en bonne et due forme.
Une organisation affaiblie et fracturée
C’est l’épilogue d’une crise qui durait en réalité depuis des années, sur fond de désaccords stratégiques sur l’attitude à avoir avec La France insoumise (LFI) et de pratiques d’entrisme de « fractions » au sein du NPA. À l’issue du vote des 1 500 militant·es réuni·es en assemblées générales avant le congrès, l’organisation paraissait plus fracturée que jamais : la plateforme B (« Unitaire et révolutionnaire, un NPA utile face aux ravages du capitalisme »), signée par l’actuelle direction dont fait partie Olivier Besancenot, a recueilli 48,5 % des suffrages exprimés, contre 45,3 % pour la plateforme C (« Actualité et urgence de la révolution »), qui coalise quatre fractions internes (L’Étincelle, Anticapitalisme & révolution, Socialisme ou barbarie et Démocratie révolutionnaire). Une plateforme plus modeste, réunie sous le mot d’ordre éloquent « Ni scission, ni marasme », en a réuni 6,2 %.
Le différend entre elles est bien sûr d’ordre politique. La plateforme B, soutenue par le noyau historique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, fondée en 1966 et dissoute à la naissance du NPA en 2009), annonçait sa volonté de se rapprocher de LFI en utilisant la phraséologie du « front unique », fidèle à l’héritage trotskiste de ce courant.
« Le centre de gravité de la gauche française s’est déplacé du social-libéralisme de Hollande à l’antilibéralisme de Mélenchon,écrivent ses signataires. L’existence d’une opposition au pouvoir, à gauche, et d’une critique visible du capitalisme néolibéral, peut redonner confiance, en particulier dans des secteurs qui ne sentaient pas représentés, et suscite des dynamiques militantes. […] Il s’agit donc d’assumer et de poursuivre notre orientation unitaire. » Dans cette optique, tout en se défendant de vouloir rejoindre LFI ou de se dissoudre dans la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), ce courant affirme que « des élus anticapitalistes seraient utiles aux luttes et aux mobilisations, ainsi qu’à la critique du fonctionnement et de la nature des institutions bourgeoises ».
Cette démarche unitaire et encline aux alliances électorales avec une gauche « antilibérale » était vivement critiquée par divers courants identitaires en interne, dont celui de Gaël Quirante (Anticapitalisme & ; révolution), qui a pris la tête de la fronde.
Aux dernières élections législatives, après le refus du NPA de rejoindre la Nupes (du fait de l’intégration du Parti socialiste dans son périmètre), le parti avait toutefois décidé de soutenir les candidatures de l’union de la gauche et des écologistes, sauf celles issues du PS, voire d’anciens macronistes (comme dans la 2e circonscription de Lyon). De même, aux régionales de 2021, l’alliance avec LFI s’était faite dans plusieurs régions (Nouvelle-Aquitaine et Occitanie), suscitant des remous au sein du NPA.
C’est contre ce rapprochement que les fractions du NPA réunies dans la plateforme C s’élèvent. Dans leur texte, elles analysent différemment la position dominante désormais occupée par LFI à gauche : « Cette percée électorale de la FI et le rééquilibrage au sein de la “gauche” institutionnelle au profit de la FI ne changent pas notre objectif fondamental qui est de construire des organisations indépendantes de la bourgeoisie mais aussi de toutes les nuances de la “gauche institutionnelle”, dont la FI. » Ellesse défendent pour autant d’entrer dans une logique d’isolement, en reprenant à leur compte la formule léniniste « marcher séparément, frapper ensemble », considérant que des jonctions sont possibles avec LFI dans la rue.
Un fonctionnement devenu impossible
La plupart de ces fractions privilégient cependant un rapprochement avec Lutte ouvrière (LO) – L’Étincelle est d’ailleurs issue d’une scission de LO en 2008, de même que Démocratie révolutionnaire, qui avait rejoint la LCR à la fin des années 1990. « S’il y a un front à faire, c’est avec toutes les forces d’extrême gauche, de LO au CCR [Courant communiste révolutionnaire – ndlr] », défend ainsi Maurice Amzallay, retraité cheminot et militant à L’Étincelle. « Faire un pôle avec LO, ce serait un phare plus lumineux pour celles et ceux qui veulent donner une perspective révolutionnaire à leur colère », abonde son camarade Damien Scali.
Mais les divergences ne sont pas que politiques. Elles portent aussi sur le fonctionnement de l’organisation. C’était le point qui était à l’ordre du jour quand la séparation a été actée. Déjà au congrès du NPA en 2018, la direction s’inquiétait de la constitution d’un « front de fractions » en son sein. Depuis, le groupe CCR, plus connu sous le nom de son média Révolution permanente, a quitté le NPA et tenté de présenter un candidat à la présidentielle – en vain.
Mais la crise interne a continué au point que la direction du NPA parle d’un véritable « front d’organisations » : « Nous refusons que, comme c’est le cas aujourd’hui, des fractions qui sont en réalité des organisations séparées transforment le NPA en un front d’organisations », écrit-elle, dénonçant notamment des recrutements propres, des trésoreries parallèles et un « fonctionnement dédoublé par rapport au NPA ».
« Un prétexte », estime Damien Scali, ex-porte-parole de Philippe Poutou pendant la présidentielle de 2022, désormais dans la plateforme C, qui dénonce « l’irresponsabilité » de la direction, à « casser un outil comme le NPA ». « Hier, aucun délégué n’avait pour mandat explicite de faire scission. Les militants du NPA n’ont pas eu à se prononcer dessus », fustige-t-il.
Aux yeux de la direction, ces problèmes de fonctionnement ne sont cependant pas pour rien dans l’hémorragie militante du parti, passé de 10 000 membres à sa fondation en 2009 à quelque 1 500 aujourd’hui. Le départ de la Gauche anticapitaliste, qui avait rejoint le Front de gauche en 2012, témoignant déjà du champ magnétique exercé par le courant de Jean-Luc Mélenchon, n’était certes pas pour rien dans cet affaiblissement numérique. Il fut suivi d’autres départs vers LFI, dont beaucoup militent dans Ensemble ! autour de Clémentine Autain.
Le problème organisationnel n’a pas arrangé les choses : « Le front d’organisations ne permet pas d’échanger, on s’éloignait de ce qu’on avait voulu faire depuis 2009 : un parti unitaire, et révolutionnaire », défend ainsi Philippe Poutou. « Le NPA a fait le choix de ne pas devenir un front de tendances ni une secte politique. On n’a pas de rapport fétichiste au parti politique, on veut réaffirmer notre disponibilité unitaire », ajoute Olivier Besancenot, porte-parole du NPA. « On avait besoin d’avoir un NPA fidèle à son histoire, radical sur le fond, mais accueillant », abonde Christine Poupin, une historique de la LCR, qui espère renouer avec ce fil.
S’ouvre désormais une période incertaine, pendant laquelle les deux parties – qui affirment toutes deux vouloir « continuer le NPA » – vont se disputer la légitimité d’utiliser le nom du parti, ses réseaux sociaux, sa trésorerie ou encore ses locaux. Une commission de contact, vouée à discuter des modalités de cette séparation, pourrait se réunir dès le 12 décembre. La bagarre ne fait donc que commencer. Dimanche, les membres de la plateforme C disaient regretter « l’émiettement de l’extrême gauche ». Avec cette séparation, et la fondation annoncée par Révolution permanente d’une « nouvelle organisation » d’extrême gauche le week-end prochain, l’archipélisation d’un courant né il y a plus d’un demi-siècle se poursuit.
Mathieu Dejean