Les regards sont moins fixés sur le PCF qu’ils ne l’étaient dans le passé. Et pourtant, ce qui se passera dans la vieille organisation communiste n’aura rien d’anecdotique, dans une gauche qui aura bien du pain sur la planche si elle veut retrouver son élan.
La machinerie du congrès
La préparation d’un congrès communiste est un peu une usine à gaz, comme cela se disait du temps où l’industrie était reine. Elle s’étale en effet sur plusieurs mois : le coup d’envoi du prochain congrès a été donné le 4 décembre à Paris, pour un grand raout qui s’ouvrira à Marseille le 7 avril 2023. La première étape de ce long périple est la définition, par le Conseil national sortant, d’une « base commune » de discussion. C’est autour d’elle que, pendant quelques semaines, se mènent des débats où des avis s’expriment et des textes collectifs circulent. Ceux de ces textes qui bénéficient d’un soutien suffisant (en nombre de militants et en nombre de fédérations représentées) sont soumis plus tard au vote direct des adhérents, en même temps que le texte de la direction. Le texte qui arrive alors en tête devient la base définitive de discussion, celle qui est débattue, amendée et votée par le congrès national.
Dimanche 4 décembre, 144 membres du Conseil national (sur 185 élus au congrès de 2018) se sont prononcés sur un texte présenté par la majorité de la direction sortante : 84 d’entre eux ont voté en faveur de ce texte (58,3% des exprimés et 45,4% des inscrits), 55 ont voté contre (38,2% des exprimés et 29,7% des inscrits) et 5 se sont abstenus. C’est donc le texte défendu par Fabien Roussel qui constitue le point de départ officiel du débat communiste.
Le déclin du PCF n’est pas derrière lui
À cause du covid, près de quatre ans et demi séparent le congrès du printemps prochain du celui qui l’a précédé, en 2018 (statutairement il aurait dû se dérouler en novembre-décembre 2021). Pendant cette période, le PCF a continué globalement de s’affaiblir. Les élections législatives de 2017 l’avaient précipité dans une marginalité inhabituelle, avec à peine un peu plus de 600.000 électeurs pour 2,7% des suffrages exprimés, le score le plus bas de toute son histoire législative. Les élections européennes ont confirmé le bas niveau atteint (2,5% des exprimés et aucun élu au Parlement européen, pour la première fois depuis 1979). Quant à l’élection présidentielle de 2022, elle a placé Fabien Roussel à peine au-dessus du score de Marie-George Buffet en 2007 (2,3% contre 1,9%).
Il est vrai que le PC a doublé en 2020 le nombre de ses élus régionaux (61 contre 29 en 2015, mais 101 en 2010 et 180 en 2004) et qu’il semble avoir légèrement augmenté le nombre de ses conseillers départementaux. L’expansion numérique des régionales est toutefois due avant tout à la multiplication des accords avec le PS. Quant aux élections départementales, la stabilité globale du nombre d’élus (autour de 160) n’efface pas le recul accentué dans de vieilles zones de force, et notamment dans les trois premières métropoles, parisienne, lyonnaise et marseillaise. La perte douloureuse de la présidence du Val-de-Marne – le dernier « bastion » départemental – en a été l’expression spectaculaire.
Quant à l’organisation proprement dite, elle s’est sérieusement affaiblie. On ne discute plus guère du nombre d’adhérents, même dans le PC qui s’est longtemps enorgueilli d’être le plus étoffé des partis français. De fait, « l’adhérent » et son dénombrement n’ont plus les mêmes vertus magiques, au temps des réseaux sociaux, des mobilisations sur une seule cause et des mouvements plus ou moins éphémères, « gazeux » ou non. Il est toutefois des indicateurs plus « parlants » que d’autres. Celui des cotisants en fait partie, parce qu’il est plus facile à contrôler, qu’il est financièrement important et qu’il s’approche du noyau des militants les plus engagés, qui assurent la présence et l’enracinement territorial d’une force politique. Pour le PC, leur nombre à peu près fiable est connu, depuis que les statuts font des cotisants réguliers le corps électoral rendu public lors des consultations internes. Officiellement, ce nombre est passé de 99.000 déclarés en 2006 à 64.000 en 2013 et à 49.000 en 2018. Or, selon des sources internes non officielles, ce nombre serait tombé à 35.000 aujourd’hui, ce qui équivaudrait à une perte de 30% en moins de cinq ans. À l’échelle d’un monde partisan français amaigri, le niveau communiste n’a bien sûr rien de négligeable. Mais les quelques 35.000 cotisants et les 6500 élus déclarés de 2022 sont bien loin des 560.000 cartes placées et des 28.000 élus de 1978, au moment où va s’amorcer le déclin.
Mais pourquoi le PCF n’est-il plus ce qu’il était ?
Voilà longtemps – depuis 1978 – que le PC a perdu la place hégémonique qui était la sienne au sein de la gauche française et du mouvement ouvrier. Il a perdu sa fonction historique de représentation politique privilégiée du monde ouvrier et urbain, qu’incarnait si bien la « banlieue rouge ». Il a perdu sa fonction projective ou utopique, du temps des grandes espérances où il pouvait mobiliser le mythe soviétique – le mythe, bien sûr, pas la réalité… – pour prolonger le vieux rêve de la « République démocratique et sociale ». Quant au modèle d’union de la gauche, raccordé aux souvenirs du Front populaire, il s’est trouvé bien malmené par les désillusions cruelles qui ont suivi l’expérience du programme commun (1972-1978).
Le problème est que le PCF n’a pas plus compris ce qui avait provoqué son déclin qu’il n’avait vraiment compris ce qui avait fait son succès antérieur. Il a pensé que la source de son dynamisme se trouvait avant tout en lui-même, dans cette structure originale installée par le bolchevisme russe des origines, que le stalinisme avait certes ossifiée, mais que l’intelligence du groupe dirigeant « thorézien », au milieu des années 1930, avait heureusement acclimatée aux réalités sociopolitiques nationales. Il était « le » parti de la classe ouvrière, révolutionnaire et de masse : tout était dit…
Quand il a senti que la dynamique favorable s’enrayait, dès le début des années 1970, le parti a réagi de façon conjoncturelle, tantôt en valorisant son « identité », tantôt en insistant sur ses capacités d’ouverture, tantôt en fustigeant « l’opportunisme de droite » et la dilution identitaire, tantôt dénonçant « le sectarisme de gauche » et le risque d’isolement. Mais il n’a jamais remis en question les bases de son rapport à la société et au monde, comme si elles relevaient d’une évidence intangible : le PCF n’est-il pas depuis 1920 le parti populaire par excellence, le plus révolutionnaire, le plus à gauche et le plus crédible ? En bref, la synthèse enfin trouvé de la pureté de classe et de la capacité expansive de la gauche issue de 1789-1794…
À plusieurs reprises, les directions communistes ont mis en avant ce qui leur paraissait être la cause évidente du déclin. Sur les onze élections présidentielles au suffrage universel qui se sont égrenées après 1962, le PCF s’est désisté quatre fois, deux fois en faveur de François Mitterrand (1965 et 1974), deux fois en faveur de Jean-Luc Mélenchon (2012 et 2017). Le scrutin présidentiel étant le plus structurant, l’absence de candidature communiste aurait donc délégitimé le vote communiste.
Le raisonnement serait convaincant, s’il ne se heurtait pas à un autre constat simple. Le PCF a présenté un candidat estampillé sept fois sur onze ; or, qu’il concoure ou pas à l’élection majeure, son recul n’a presque jamais été enrayé (à l’exception du score de Robert Hue en 1995). Théoriquement, cela aurait dû conduire à déplacer le regard. Si le PC a pu devenir hégémonique à gauche, entre 1945 et 1978, ce n’était ni parce qu’il se présentait à toutes les élections, ni parce que son identité partisane et sa structure organisée rendaient possible son hégémonie. Il était solidement enraciné parce qu’il était largement perçu comme utile, au moins pour une partie conséquente de la société. Or il l’était pour au moins deux raisons : par les fonctions qu’il exerçait et qui ont été rappelées plus haut (fonction de représentation, fonction utopique et fonction proprement politique) et parce que le communisme en France n’était pas seulement un parti politique. Il constituait une galaxie – ou un écosystème, si l’on préfère – qui associait du partisan, du syndical, de l’associatif et du culturel. Au fond l’équivalent à la française de la social-démocratie allemande historique (celle de la fin du XIXe siècle) ou du travaillisme britannique et ce qui rendait donc possible la conjonction – que l’on sait décisive – de la dynamique sociale (le mouvement populaire) et des majorités politiques.
Ne pas se tromper de congrès
C’est lorsque la triple fonctionnalité a été pleinement assurée et que la galaxie s’est déployée que l’influence communiste a été maximale. Quand elles se sont mises à s’éroder – ce dont l’organisation communiste n’a pas su prendre la mesure – l’influence elle-même s’est étiolée, le PCF s’est affaibli et il a perdu de cette cohérence qui faisait son originalité et sa fierté.
Parce que sa culture politique le conduisait à penser que, pour réussir, il suffisait de naviguer entre le double écueil de « l’opportunisme » et du « sectarisme », le PCF a fini par s’habituer à un fonctionnement interne ternaire. Un « centre » explique qu’il faut à la fois renforcer l’activité du parti et travailler au rassemblement (mais avec qui ?), une « gauche » réputée pense qu’on en fait trop pour le rassemblement et pas assez pour le parti et une « droite » présumée réplique qu’en faisant trop pour le parti on pénalise le rassemblement.
C’est ainsi, au fil des décennies et des conjonctures, que le PCF est passé d’une longue période où la gauche était forte et polarisée (le tête-à-tête du PC et du PS en était l’expression politique majeure) à une phase où la gauche est faible (les catégories populaires s’en détournent) et où elle est conjoncturellement dominée par le concurrent inattendu, la France insoumise. Depuis 2017, la tendance dominante au sein du parti s’est alors arcboutée plus que jamais sur la conviction ancienne que l’absence dans les scrutins présidentiel de 2012 et 2017 était la cause majeure d’un recul et d’un effacement que l’on pouvait surmonter. En tout cas, c’est cette conviction assez largement partagée qui a rendu possible la mise à l’écart de Pierre Laurent (qui était associé à l’expérience du Front de gauche) et l’engagement présidentiel de son successeur.
Jusqu’à ce jour, le corps militant communiste se trouve donc, presque naturellement, tiraillé entre deux pôles. D’un côté, s’observe le sentiment qu’il faut accepter le nouveau rapport des forces à gauche pour éviter l’inutilité politique et la marginalisation ; de l’autre côté, se manifeste le désir d’une réaffirmation identitaire, reposant sur la conviction que le parti communiste est structurellement le seul capable de représenter le peuple et d’offrir une nouvelle dynamique à la gauche. Pour l’instant, les deux pôles ont en commun un seul point : la conviction qu’il y a place, au sein de la gauche, pour une organisation politique autonome qui continuerait ainsi le parti communiste maintenant centenaire. Au-delà de ce point d’accord, tout semble opposer des points de vue qui tendent progressivement à se structurer en cultures, plus encore qu’en lignes politiques.
Le congrès de 2023 devra trancher et dire lequel de ces deux pôles donnera le ton dans le parti. Mais le fond du problème ne se réduira bien sûr pas à un simple rapport des forces numérique. Dans la crise profonde du champ politique que nous connaissons, c’est la texture même du mouvement populaire et la clé du dynamisme à gauche qui sont désormais en jeu. La gauche fragilisée par les échecs de ses composantes historiques n’attire plus des catégories populaires qui balancent majoritairement entre abstention et vote à droite et surtout à l’extrême droite. Les clivages, réels ou factices s’incrustent, la colère ne s’adosse plus à l’espérance, les responsabilités du désastre social se diluent dans la recherche des boucs émissaires.
Le débat gagnerait donc à aller bien au-delà d’un dilemme entre « identité » et « rassemblement », en poussant du côté de « l’utilité ». Dans le chamboulement de ce siècle, un parti pris communiste est-il utile et si oui, à quelles conditions ? D’une façon ou d’une autre, il s’agira pour les communistes – et sans doute pas seulement les membres du PCF – de dire s’il doit y avoir ou non de la rupture communiste au sein d’une gauche toujours incertaine, s’il faut toujours un grand récit communiste et une stratégie visant tout à la fois à faire du peuple un acteur et à la gauche d’être un ferment de majorités transformatrices. Dans ce cadre, il faudra bien éclaircir le rapport au reste de la gauche, et notamment le rapport à la Nupes. Sans oublier de mesurer à la fois ce que cette alliance inattendue et fragile a de nécessaire, face à une droite radicalisée… et ce qui lui manque sans doute encore pour ne pas décevoir une fois de plus.
Roger Martelli