Faisant le bilan du quatrième congrès du NPA en 2018, Léon Crémieux avait écrit sur ce site : « Le quatrième congrès du NPA s’est terminé en laissant une situation ouverte et, en même temps, fermée. Les mois à venir nous diront dans quelle direction il évoluera ». Lors de ce congrès, la plate-forme majoritaire, avec 49,72 % des voix, était passée à un cheveu de la majorité absolue et l’absence de ce 0,28 % des voix s’est transformée en véritable épreuve pour le maintien en vie du parti.
Bien que sur les six autres plateformes présentées lors de ce congrès, la plus forte n’avait obtenu que 17% des voix, la minorité majoritaire qui avait la responsabilité de faire avancer le parti a été confrontée pendant toutes les années qui suivirent à une dynamique fractionnelle où le reste des courants, sans accord politique entre eux pour offrir une alternative à la majorité, se sont unis pour bloquer la mise en œuvre de l’orientation politique de la majorité. Et plus encore : au fil du temps, chaque fraction a consolidé sa propre structure, autonome par rapport à la structure naturelle du NPA, dans le but de transformer le NPA en un front de fractions (ou de mini-partis) en totale contradiction avec ce qui était le projet initial du NPA.
Dans ce contexte, durant ces presque cinq années, le NPA a pu passer du mauvais au bon, avec une direction qui, malgré les obstacles, a réussi à maintenir le parti en vie, à garantir son apparition publique, son intervention sectorielle et sa participation aux dynamiques unitaires et aux campagnes électorales (dont l’orientation est toujours définie lors d’une Conférence nationale, où la direction a toujours obtenu la majorité). Lors de la dernière Conférence nationale (26-27 juin 2021), le départ de la fraction CCR-Révolution permanente a quelque peu changé la donne, donnant à la direction une plus grande marge de manœuvre, ce qui a permis de développer une campagne à l’identité à la fois radicale et unitaire. Cette campagne, bien que cela ne se soit pas traduit en votes, a réussi à attirer la sympathie de larges secteurs militants qui, à l’approche des élections législatives, ont exigé que la France Insoumise (LFI) donne la priorité à un accord avec le NPA, plutôt qu’avec le Parti socialiste. Cette sympathie s’est également traduite par un afflux de nouvelles et nouveaux militant.es.
Ainsi, après le 4e congrès, la situation restait ouverte, c’est vrai, mais elle était alourdie par la dynamique sectaire des différentes fractions internes, en concurrence permanente avec la majorité du NPA, bloquant le débat et la réflexion politiques et sapant la dynamique du parti. Elles ont créé leurs propres trésoreries, leurs propres sites Internet, leurs propres structures organisationnelles et apparitions publiques, constitués leurs propres cortèges, distincts de celui du NPA, lors de manifestations... mais en continuant à utiliser la bannière du NPA, etc.
Ainsi, en vue du 5e congrès, outre l’orientation politique, le problème fondamental du NPA était de sortir de l’impasse dans laquelle les différentes fractions le conduisaient : rompre avec une dynamique fractionnelle, que les différents courants justifiaient au nom de la pluralité et de la démocratie interne, et retrouver le projet initial du NPA. Sortir de l’impasse n’était pas une tâche facile dans un parti où le respect de la pluralité et de la démocratie interne fait partie de son ADN. Et parce que, pour une grande partie des militants et de ceux qui soutenaient la plate-forme B, il était inconcevable que quiconque puisse être exclu pour des différences politiques. La majorité a donc choisi de tenir bon jusqu’au moment critique du congrès, afin que tous les délégués puissent apprécier in situ la gravité de la fracture interne et l’impossibilité de continuer aux côtés des fractions intégrées dans la plate-forme C.
Comment mettre un terme à cette situation ?
La majorité de la direction sortante, la Plateforme B (avec Chrisitine Poupin, Philippe Poutou, Pauline Salinge et Olivier Besancenot), qui avait obtenu 48,5% des voix, a affirmé dès son document initial qu’au-delà de l’orientation politique, pour continuer dans le même collectif, il fallait s’entendre sur le type de parti à construire et ses règles de fonctionnement ; en un mot, mettre fin aux royaumes des Taifas [1] qu’était devenu le parti, ce que le texte de la plateforme résumait ainsi :
« Un parti utile à ses militant·es et à la classe des exploité·es doit être un lieu d’élaboration, de bilans d’expériences communes, un intellectuel collectif capable de développer des analyses et de construire des interventions en phase avec les dynamiques réelles de la lutte de classe. Nous avons besoin d’un outil politique capable d’élaborer, de réfléchir librement, nous avons besoin de souplesse tactique, d’expérimentation, mais aussi de mise en commun de nos expériences pour en tirer collectivement les enseignements. (…)
Nous devons résister à la tentation de préserver l’appareil comme une fin en soi, tant il est illusoire de penser que le NPA pourrait continuer d’exister tel qu’actuellement. Sans changement radical, il peut mourir petit à petit, démoralisant les uns, faisant croire à d’autres qu’ils progressent à petits pas sur la route de la constitution du parti révolutionnaire.
En effet, les fractions poussent à un isolement sectaire et identitaire en ne voyant dans les autres organisations non-révolutionnaires du monde ouvrier que des adversaires politiques à combattre en tout temps et en tout lieu et en prolongeant cette vision dans les désaccords internes. Toute tentative d’actualiser nos acquis programmatiques pour répondre à des questions nouvelles est ainsi taxée de réformisme voire de trahison.
Les questions organisationnelles sont un concentré de choix politiques. Nous devons prendre acte que l’existence de fractions permanentes est en fait la juxtaposition d’organisations différentes porteuses de projets politiques différents, voire contradictoires.
Dès lors, le maintien dans une seule organisation est purement artificiel. Nous devons soit acter cette séparation qui existe déjà de fait, soit mettre en place des mesures capables de reconstituer un vrai parti. La nature de ces mesures peut faire l’objet de discussions lors du congrès, il ne s’agit pas de mesures administratives mais bien d’un accord politique pour établir un certain niveau de démocratie centralisée qui autorise un droit de tendance et un droit de fraction mais limite les structures organisationnelles concurrentielles à celles du NPA et l’expression publique systématique de micro-partis qui n’ont d’appartenance au NPA que l’utilisation de son logo.
Il ne s’agit pas d’un positionnement de principe (nous ne sommes pas opposé·es au droit de fraction) mais de rétablir un fonctionnement fondé sur le centralisme démocratique, à prendre acte de l’état de dégradation des relations militantes et des divergences, désormais figées, des orientations menées par les fractions d’une façon concurrente à celle du parti » (texte « Mettre fin à la balkanisation de l’organisation »).
C’est sans doute cette ferme volonté de retour à la normale du parti, déjà annoncée lors de l’université d’été du NPA à la fin août 2022, qui a conduit les autres fractions (à l’exception de la Plateforme A ayant obtenu 6,1% des voix), à proposer une opposition commune en se regroupant dans la Plateforme C (45,6% des voix, dont les figures les plus représentatives sont Gaël Quirantes et Damien Scali) pour tenter de créer un rapport de force à même de bloquer la situation au congrès afin d’imposer la poursuite du statu quo. Une possibilité que la plate-forme B excluait en toutes circonstances.
Face à la probabilité d’un éclatement, un comité du NPA, celui du Tarn, a proposé la création d’une commission mixte afin de parvenir à un accord entre toutes les plateformes sur les critères qui devraient dorénavant régir la vie du NPA. Cependant, au cours des cinq réunions de cette commission qui ont eu lieu, les différentes fractions qui composaient la plate-forme C n’ont jamais abandonné l’idée de continuer à agir en tant que micro-partis indépendants au sein du NPA.
Dans ces conditions, le deuxième jour du congrès, après un débat émaillé d’accusations, de mensonges et d’une violence verbale sans précédent de la part des fractions envers la majorité lors du débat sur la situation politique et sur le modèle de parti, avant de passer au vote, la plate-forme B a demandé une pause afin de prendre une décision en assemblée sur la situation critique du congrès et son avenir. En conclusion, une résolution a été adoptée par 100 des 102 délégué.es présent.es (1 abstention et 1 NPPV), constatant que dans ces conditions, il n’était pas possible de continuer dans la même organisation avec la Plate-forme C. Elle a été communiquée aux deux autres Plateformes qui, pour leur part, ont continué le congrès dans des réunions séparées. En résumé, la résolution se lit comme suit :
« Puisque la fiction d’une organisation politique commune s’écroule, il est temps d’acter, avec l’adoption de ce texte, que nous sommes bien des organisations séparées. Cela veut dire que, suite à ce congrès, nous ne serons plus organisés ensemble au sein du NPA, même si nous devrons cohabiter de façon transitoire pour quelques temps encore. En conséquence, nous n’élirons pas de direction commune avec la plateforme C dans le cadre de ce congrès. Nous souhaitons continuer à dialoguer avec les camarades qui veulent faire vivre le NPA comme une organisation vivante et démocratique, sans les « fractions » publiques permanentes..
Nous allons continuer nos vies séparément : d’un côté celles et ceux qui font vivre le NPA depuis des années, ses campagnes – notamment présidentielles –, ses instances démocratiques, son expression, la coordination de ses activités, sa librairie ; de l’autre des fractions qui ont déjà leur propre vie et sont en désaccord avec le projet qui a présidé à la fondation du NPA (même si elles se revendiquent de son logo).
Nous considérons que nous incarnons la continuité d’un courant politique, pour un anticapitalisme qui articule la défense des idées révolutionnaires et la nécessité de construire l’unité de notre classe. C’est ce courant qui a porté la LCR, puis le NPA, pour en faire un parti implanté et reconnu dans le paysage politique national et local. Nous ne pouvons dilapider cet acquis, et nous en revendiquons le nom et le drapeau. » (Résolution : « Acter la séparation, continuer le NPA. Construire une organisation utile à notre camp. »).
Cela a mis fin à une situation insoutenable pour le NPA dans un contexte de crise sociale, politique, démocratique, environnementale et sociale aiguë, de dérive autoritaire du régime politique et de montée d’une vague réactionnaire et xénophobe cristallisée dans l’avancée électorale de l’extrême droite. Cela rend plus urgente que jamais la construction d’une alternative révolutionnaire, dans la perspective de la reconstruction du tissu social et organisationnel des secteurs populaires, des organisations de masse et de la gauche à travers une politique unitaire permettant d’inverser l’actuel rapport de forces, défavorable. Une politique totalement opposée à l’auto-affirmation identitaire et sectaire proposée par la plate-forme C.
Des divergences politiques fondamentales
Le cœur des différences politiques entre la plate-forme B et la plate-forme C au congrès peut être résumé à deux niveaux. Le premier est la compréhension de la crise. Alors que pour la Plateforme B, la crise se déroule dans une situation désavantageuse aux secteurs populaires – avec un rapport de force défavorable – et pourrait conduire au pire scénario possible, pour la Plateforme C, la crise dans laquelle est plongé le système capitaliste [les facteurs objectifs] « pourrait converger et conduire à de véritables révolutions sociales ».
Ainsi, en termes de tâches, pour la Plate-forme B, la tâche fondamentale est de travailler aider à la reconstruction des structures des mouvements syndicaux, associatifs, féministes, LGBTI, environnementaux, etc. Et le faire avec une politique indépendante et unitaire tant avec les organisations de masse qu’avec les forces politiques de gauche. En revanche, pour la Plate-forme C, pour parvenir à ce que la colère provoquée par la crise dans les secteurs populaires se convertisse en conscience politique, le chemin à suivre est la promotion des campagnes politiques du parti en vue de mettre notre classe en mouvement, la promotion de la construction d’un front de révolutionnaires regroupés autour d’un projet identitaire et la dénonciation dogmatique du réformisme.
Au-delà, les divergences avec la Plateforme C vont de la politique internationale (elle dénonce la campagne unitaire de solidarité avec la résistance ukrainienne qui, sous le slogan Dégagez les troupes de Poutine de l’Ukraine, a manifesté à Paris le 10 décembre [2]), à la décision de participer aux structures unitaires de base héritées des élections législatives (Nupes), à la construction de mouvements sociaux tels que les mouvements féministes, écologistes ou LGBTI ; mais surtout, il faut préciser que face au refrain, non moins faux et ignominieux pour avoir été mille fois répété, la politique unitaire par rapport à Nupes ne représente en aucun cas - comme cela a été prouvé lors des discussions pour un accord électoral pour les élections législatives - d’envisager, ni à court ni à long terme, la dissolution du NPA au sein de la Nupes, mais bien le contraire : plus l’activité militante du NPA sera reconnue dans les structures de la Nupes où le NPA est présent, plus elles pourront évoluer dans le bon sens et ne pas être l’otage des aléas et des intérêts électoraux de la France Insoumise.
La suite
Comme le souligne la résolution susmentionnée, pendant un certain temps et jusqu’à ce que la scission soit aboutie, deux secteurs distincts coexisteront au sein du NPA. La plate-forme B a conclu le congrès seule et a approuvé les documents d’orientation, ainsi que les différentes motions soumises au congrès, en élisant une nouvelle direction comprenant 19 hommes (45%) et 24 femmes (56%), avec quatre porte-parole : Christine Poupin, Pauline Salingue, Philippe Poutou et Olivier Besancenot, en sécurisant le site web et les publications du NPA et en annonçant un meeting à Paris le 17 janvier. La plate-forme C maintient ses slogans sectaires et sa vaste campagne de diffamation. Reste à savoir si, une fois disparue la coquille commune dont s’étaient nourries les différentes fractions rassemblées (pour s’opposer à la majorité du NPA dans la perspective du congrès), elles pourront coexister avec les règles du jeu qu’elles ont toutes voulu imposer au NPA.
À court terme, nous assisterons probablement à deux processus à partir de maintenant. D’une part, le résultat des pourparlers sur la séparation avec la plate-forme C et l’attitude adoptée par la plate-forme A (qui en principe est encline à continuer dans le NPA avec la plate-forme B) ; d’autre part, le congrès est le point de départ – et non la conclusion - d’un processus de séparation avec les courants-fractions-groupes. En fonction des réalités locales, chacun devra choisir si, au niveau de son comité ou de sa localité respective, il peut continuer à travailler – voire se réunir – avec les camarades qui, ayant voté pour la Plate-forme C, ne font pas partie des secteurs organisés dans les groupes-fractions actuels qui la composent. D’après ce que l’on sait, il existe déjà des comités au sein desquels des militants qui soutenaient différentes plates-formes à l’approche du congrès ont décidé de continuer ensemble.
Mais au-delà de la manière dont la situation est résolue en interne, l’importance du congrès réside dans le fait que mettre fin à la dynamique des factions donne au NPA un nouveau souffle pour faire face à la situation politique actuelle.
Une situation politique complexe dans laquelle l’offensive tous azimuts du gouvernement Macron (avec la réforme des retraites comme étendard), mais aussi avec une extrême droite violente de plus en plus active, comme nous l’avons vu en décembre, exige de se libérer des entraves internes pour pouvoir agir avec une capacité d’initiative.
Le tournant qui marque ce congrès dans l’histoire du NPA intervient également à un moment politique où le terrain de la gauche française est mouvant et nécessite une dose de réflexion politique, de flexibilité tactique et de capacité de dialogue avec les autres forces politiques. Sans aucun doute, dans les semaines et les mois à venir, le NPA devra reprendre, dans une atmosphère plus sereine et constructive, les débats sur les aspects de la stratégie, de la tactique et de la construction du parti. Une réflexion au fond que, en raison de la nécessité de répondre à la pression des fractions, il a été impossible de développer pleinement jusqu’à présent. D’autant plus dans un contexte où le camp de la gauche est en mutation continue, comme l’ont montré la campagne de l’élection présidentielle et surtout les élections législatives, avec la création de Nupes et la perte d’hégémonie du social-libéralisme dans cette coalition.
Le succès électoral de la Nupes a également signifié l’émergence de nouveaux secteurs politiques qui continuent à militer de manière unie et ouverte dans les groupes locaux de la Nupes, même si la réalité de ces groupes varie selon les localités et le poids des forces politiques en leur sein, sans que l’on puisse d’ailleurs parler d’une Nupes organisée et coordonnée au niveau national à ce jour. Le développement de ces collectifs est autonome là où ils existent et se développent de manière autonome. Dans tous les cas, elles constituent un espace dans lequel il doit être possible de s’intégrer, de partager, de développer des initiatives unitaires et mener des débats contradictoires avec les militant.es (de partis ou non) qui en font partie.
D’autre part, rien n’est aujourd’hui stable dans aucun parti. Bien qu’ayant leurs propres particularités, toutes les eaux sont agitées : tant au PCF (scindé en deux avant le prochain congrès) qu’à la LFI (en plein conflit après l’élection de la nouvelle direction [3] dans laquelle l’exclusion de figures telles que Clémentine Autin, Alexis Corbière, François Ruffin et Éric Coquerel, n’a laissé personne indifférent, ainsi que la position fort modérée de la direction face à l’un de ses membres condamné pour violences envers sa compagne, réaction « modérée » qui a déjà provoqué des démissions collectives dans la LFI. La question est d’autant plus sensible que la personne en question apparaissait, avant que sa condamnation ne soit rendue publique, comme le successeur le plus probable de Mélenchon. En ce qui concerne le PS, il reste à voir comment son congrès (27-29 janvier) se conclura, avec deux alternatives de remplacement à la direction actuelle, et comment cela affectera la Nupes.
Enfin, à partir de janvier, la question sociale sera au centre de l’agenda. La réforme des retraites voulue par Macron aurait dû être annoncée le 15 décembre (échéance reportée au 10 janvier à la suite de l’accord unanime de tous les syndicats pour se mobiliser dès janvier), la casse des services publics (éducation, hôpitaux...), les conditions de travail qui y règnent, sans parler de la cherté de la vie ou des restrictions énergétiques annoncées – le tout définit une situation politique dans laquelle, pour éviter que le malaise social qui s’accumule ne finisse dans les braises de l’extrême droite, la gauche sociale et politique est obligée de promouvoir des initiatives unitaires contre Macron et son monde. C’est sur ce terrain que la NPA doit prouver son utilité, et son avenir est sans aucun doute en jeu. Après ce 5e congrès, une fenêtre s’est ouverte sur l’espoir pour le NPA.
Josu Egireun, membre de la rédaction de Viento sur, militant du NPA.