Et si ce que vient de se passer à l’Esplanade des Trois Pouvoirs à Brasilia était l’avenir de la France ?
Financé par les milliardaires brésiliens de l’agrobusiness, bénéficiaires directs de la destruction de l’Amazonie, cent autobus sont arrivés à Brasilia, capitale du pays, le dimanche 8 Janvier, remplis de mercenaires misérables, payés 50 reais par jour (même pas 10 euros), plus le gîte et le couvert, pour envahir et détruire le Palais du Gouvernement, celui du Congrès et celui du Pouvoir Judiciaire. Ceci, soit disant, pour venger leur leader invertébré enfui au USA ; en fait, dans l’espoir que l’armée y trouve prétexte pour intervenir et installer une dictature fasciste à la place du front uni qui a porté Luis Ignacio Lula da Silva au pouvoir, victoire arrachée en dépit du torrent d’argent publique utilisé par Bolsonaro pour acheter des voix entre les deux tours de l’élection. - Les caisses de l’Etat sont vides.
Le contraste était saisissant entre la violence de cette barbarie et la fête qui a accompagné l’investiture du Président Lula et ses Ministres.
l’Esplanade et le Capitole
On a comparé, à juste titre, les envahisseurs de l’Esplanade à ceux du Capitole. On a aussi constaté que l’étendu des dégâts après leur passage étaient, au Brésil, des images d’un village saccagé suite à un bombardement. Cette différence tient à la composition des deux groupes. Celui du Capitole fut constitué par une foule armée de militants de la terreur, décidés à assassiner le vice-président et la porte-parole des députés démocrates pour installer dans ce lieu du pouvoir leur roi psychotique. Au Brésil, il s’agissait d’une meute d’agonisants sociaux, sortie de la horde monstrueuse des personnages du Goya des peintures noires. Pour eux, la beauté des formes des bâtiments de Niemeyer, Patrimoine de l’Humanité, est une insulte à la laideur de leurs existences ; la propreté des lieux vient rappeler la saleté, sinon la pourriture, des endroits où ils vivent ; l’ampleur et la pureté des espaces sous la lumière de l’été brésilien se fracassent devant le cauchemar de l’exiguïté sombre des habitations où ils s’entassent avec leurs familles nombreuses et affamées ; les tableaux aux murs, les sculptures dans les jardins et dans les pièces des palais, leur évoquent confusément un monde d’harmonie entre la sensibilité et la pensée, monde dont ils ont été depuis toujours exclus. Ce cocktail de vie vivante les enivre de haine, convoque le monstre. La destruction du lieu n’aurait pas suffit ; il a fallu le transformer dans le décor du quotidien qu’ils connaissent. Pour eux ce lieu n’est pas le siège d’un pouvoir symbolique ; il signifie et matérialise la richesse obscène qui les opprime, la même d’ailleurs qui les paye pour faire ce boulot ignoble. Ils casseront les vitres monumentales, le mobilier, les ordinateurs, mais, c’est nécessaire, ils déféqueront et urineront partout, les agents d’entretien parlaient le lendemain d’une odeur pestilentielle, ils jetteront par terre les beaux objets, déchireront les tableaux qu’ils imaginent, à raison, comme précieux. « Un soir j’ai assis la beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée ». Le plus étonnant, paradoxe paradoxe, c’est que c’est pour cette population que le Président Lula veut gouverner, population dont il veut s’occuper en priorité. Pour la sauver de la faim et de la misère, pour éviter que ces membres ne deviennent assassins pour ne pas être assassinés. Pour que Carcárá, le mythique aigle du sertão, ne se transforme pas dans un gigantesque reptile qui bouffe du fric et qui détruit et tue tout sur son passage.
Pendant que les débauches de l’orgie haineuse se déchaînaient, les investisseurs et leurs fonctionnaires, propres sur eux et arrivés à Brasilia en jet privé ou en Porche, ceci n’est pas une figure de style, s’approprient les disques durs, dont ceux des Services de la Sécurité Nationale. Ils pourront quitter les lieux avant que la Police Militaire ne procède aux arrestations des mercenaires – 1700, avant triage, selon les dernières informations. Les commanditaires et les financiers de la tentative du coup d’état commencent à être identifiés ; ils seront arrêtés, auront leurs comptes bancaires bloqués et tous leurs biens mis sous séquestre – ils payeront la facture des dégâts. Le gouverneur de Brasilia a été suspendu de ses fonctions, le commandant du contingent militaire responsable de la protection des Palais qui n’est pas intervenu pour empêcher l’assaut est en prison, un mandat d’arrêt a été émis contre le secrétaire de la sécurité publique de Brasilia, actuellement aux USA. Des députes brésiliens et américains font des démarches pour l’extradition de Jair Bolsonaro. - Le ménage ne fait que commencer.
le choix de la guerre civile
Le coup d’état raté des fascistes brésiliens confirme la justesse d’analyse du néolibéralisme présentée dans le livre « Le choix de la guerre civile », écrit par Christian Laval, Pierre Dardot, compagnons-chercheurs de longue date, plus Haud Guen et Pierre Sauvêtre (Editions Lux, 2021). Ce que ces quatre auteurs démontrent c’est que le choix de la guerre civile est l’horizon qui accompagne en permanence les gouvernements néolibéraux, le possible qu’ils feignent de craindre et pour lequel, de fait, ils œuvrent sans relâche. Les dictatures latino-américaines des années soixante – Brésil, Argentine, Uruguay et Chili - sont à cet égard des exemples exemplaires. Netanyahu essaye avec ténacité de constituer l’Autorité Palestinienne et les Palestiniens comme l’ennemi contre qui déclarer la guerre, Trump et Bolsonaro ont échoué à convaincre la majorité du pays à criminaliser l’autre partie.
Le traitement juridique des militants italiens de la lutte armée par les gouvernements successifs de leur pays est, de ce point de vue, très éclairant. Il est de notoriété publique que les meurtres de masse commis par l’extrême droite italienne dans la même période, meurtres jamais punis, sont incomparablement plus nombreux et terribles. N’importe ; l’important est l’usage que peut faire le pouvoir d’une extrême gauche comme potentiellement aussi dangereuse 40, 50 ans après les événements. La communication gouvernementale, toutes tendances politiques confondues, a été d’une grande efficacité : jusqu’aujourd’hui des papys et des mamies sont traités comme des parias par les citoyens de La Botte.
En France, Nicolas Sarkozy a essayé de transformer les habitants de Tarnac en dangereux terroristes ; il a été suivi dans cette voie, toujours sans succès, par Manuel Valls sous l’autorité de François Hollande. La démarche est toujours la même : criminaliser tout mouvement d’opposition. Sous Macron : traiter les gilets jaunes comme un danger pour la République et, ce faisant, les réprimer avec des moyens militaires et l’arsenal lourd qui va avec – des mains arrachées, des yeux éborgnés, des traumas crâniens, une femme et un homme tués. Les responsables des massacres ont été décorés par le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, qui devient après le président du groupe gouvernemental à l’Assemblée Nationale, avant de recevoir la Légion d’Honneur. Puis, avec Gérald Darmanin, criminaliser les musulmans, puis les écolos, puis la NUPES qualifiée d’extrême, en attendant les retraités qui vont battre le pavé bientôt.
Quant à Emmanuel Macron, il a finalement répondu positivement à l’initiative prise par le Ministre de l’Intérieur italien néofasciste, Matteo Salvini, d’extrader les 10 militant(e)s s italien(e)s vivant en France depuis au moins 40 ans et qui bénéficient de la garantie de l’Etat français, depuis la Présidence de François Mitterrand, de pouvoir vivre, aimer et travailler ici contre l’engagement de déposer leurs armes. L’accord obstiné de Macron pour leur extradition, malgré des attendus très motivés d’une Cour qui l’a refusée récemment, trahit la parole de la France, ignore la douleur engendrée chez les enfants de ces hommes et ces femmes, rabaisse une doctrine d’Etat à des simples opinions échangées entre commères dans la file d’attente d’une boucherie.
pas d’alternative
Chez Emmanuel Macron, il ne s’agit pas d’un entêtement infantile à ne pas reconnaître les doléances de tel ou tel secteur ; il s’agit, bien au contraire, d’aller contre les mouvements qui les portent, voire de convoquer l’indignation de cette opposition, comme pour la reforme des retraites, maintenue malgré le rejet massif de l’ensemble des citoyens. L’objectif est toujours de provoquer une tension qui justifierait une répression sociale violente, meurtrière, répression qui viendrait occulter le vrai sens de la politique choisie : la guerre contre le peuple au bénéficie des grands groupes financiers et de leurs actionnaires. (Cf. la présentation impitoyable, faite par François Ruffin à l’Assemblée, textes gouvernementaux à l’appui, de comment la reforme de retraites servira à financer le grand capital :
https://www.youtube.com/watch?v=C-9h-mQ4E6I )
Et ce n’est pas tout. Un autre pan de cette guerre se dévoile avec la destruction de la ZAD de Notre Dame des Landes par Macron : il ne faut pas qu’une alternative d’organisation sociale soit tolérée – c’était déjà la raison qui faisait que Nicolas Sarkozy a voulu détruire, et a détruit, la communauté de Tarnac ; ils reprennent, l’un et l’autre, la rengaine de Margaret Thacher : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’alternative au néolibéralisme.
Il faut donc comprendre que le pouvoir actuel en France a déclaré la guerre au peuple en général, aux pauvres en particulier, et à tous ceux qui, comme le Président Lula, soient solidaires d’une plus juste redistribution des richesses et du maintien de services publics efficaces. Emmanuel Macron est un agent du capital, compatible avec le néofascisme, qui utilise la démocratie comme habit de camouflage. Nous devons combattre ce gouvernement grotesque avec l’indignation que tout ce mépris de classe et cette médiocrité arrogante méritent. Pour ce combat nous devons utiliser les outils démocratiques. Mais nous ne devons pas oublier que ce gouvernement n’hésitera pas, si c’est nécessaire pour perpétuer le système dont il n’est que le garant et le gérant, de nous assassiner. *
Heitor O’Dwyer de Macedo
* Pour le terme grotesque je vous renvoie au texte de Leslie Kaplan, Le stade grotesque du capitalisme, la langue du néolibéralisme ici publié :
https://blogs.mediapart.fr/leslie-kaplan/blog/051121/le-stade-grotesque-la-langue-du-neoliberalisme